L’histoire de la communication est ponctuée de réglementations sur les grandes problématiques publiques : le tabac, les médicaments, les paris en ligne ou encore la nutrition. Jusqu’à ce tournant de 2020, lorsque la Convention citoyenne s’interroge sur la possibilité de faire de la publicité un outil qui limiterait «fortement les incitations quotidiennes et non-choisies à la consommation» : il ne s’agirait plus d’appliquer simplement le cadre technique qui régit la communication, mais d’en questionner sa responsabilité, sa raison d’être. Car la communication est un instrument d’influence pour vendre et faire des choix, mais c’est aussi un levier de pédagogie et de modification des comportements. En ce sens elle peut être utilisée à bon escient pour impacter positivement la consommation, pour servir un futur désirable. Elle est un levier indispensable dans un monde nouveau où entreprises et citoyens doivent agir collectivement face à l’urgence des enjeux environnementaux.
Nourrir l’imaginaire de demain. La communication contribue déjà à élever les consciences face aux problématiques sociétales. Les prises de paroles sans incitation à la consommation ne datent pas d’hier et se multiplient : lorsqu’elles dissuadent les consommateurs de téléphoner en conduisant, qu’elles luttent contre la surconsommation d’antibiotiques ou qu’elles refusent la discrimination professionnelle des personnes atteintes de cancer, les marques (publiques ou privées) ne vendent rien. Elles utilisent l’aspect incitatif de la communication pour encourager des comportements positifs et responsables.
Dans ce monde nouveau, la communication pourrait donc utiliser sa force de frappe au profit d’une consommation plus raisonnée, plus servicielle et plus utile. Pour le député écologiste Matthieu Orphelin, c’est l’opportunité pour le secteur de dresser les contours d’un avenir désirable, de «démontrer que cette meilleure consommation, voire cette sobriété, amène du bonheur. Elle amène de la qualité de vie, du pouvoir de vivre. Il y a quelque chose à faire en ce sens et certaines marques l’ont bien compris, certaines agences aussi». Pour Arnaud Leroy, président de l’Ademe, qui dit monde plus responsable, ne dit pas forcément communication culpabilisante : «le monde désirable, celui qui nous permettra de survivre, c’est un monde sobre, mais pas un monde où l’on s’ennuie, où l’on ne consomme rien. Ce n’est pas une punition généralisée.»
La créativité comme moteur
Une communication au service d’un imaginaire collectif plus vertueux, voilà donc l’ambition qui fait consensus pour le monde nouveau. Et la créativité doit être le moteur de cette transformation. Pour Matthieu Orphelin, la publicité est capable de «créer du désir et de susciter un véritable engouement pour des produits dont nous n’avons pas du tout besoin, comme elle le fait aujourd’hui pour le Black Friday. Il faut réussir à mettre cette force de créativité au service de l’imaginaire de demain.» Une perception que partage Arnaud Leroy : «il y a un côté créatif dans la communication et dans la publicité qu’il ne faut pas que l’on gâche. Je suis persuadé que pour servir le projet de futur désirable ou souhaitable, il nous faut une impulsion qui nous permettra de réenchanter les choses. La créativité peut être un levier d’accélération du changement. Et nous avons besoin d’accélérer.»
Sur qui pèse la contrainte ? Se pose la question des moyens pour créer cette nouvelle dynamique d’une communication engagée. Matthieu Orphelin estime qu’il faudrait contraindre davantage l’ensemble des acteurs du secteur pour accélérer les initiatives, citant notamment en exemple les réflexions issues de la mission Bousquet-Leroy sur les «Engagements volontaires pour une publicité plus responsable» : «j’ai l’impression que les axes définis par la mission Bousquet-Leroy concernent avant tout les agences de communication plutôt que les marques. Or il faut absolument le même cadre pour les marques qui n’ont à ce jour aucune contrainte. Et cela doit impacter aussi bien la manière de concevoir la publicité que le produit ou service dont on fait la promotion. En contraignant la publicité nous pouvons contraindre le produit.»
À l’inverse, Arnaud Leroy pense qu’il incombe à l’offre d’être plus vertueuse : «la communication ne pourra pas tout porter. Pour ma part j’estime que s’il y a des produits nocifs, ce n’est pas la publicité qu’il faut interdire ou la communication autour de ces produits, mais bien les produits en eux-mêmes. Il ne faut pas inverser les responsabilités.» Matthieu Orphelin résume ainsi : «compte tenu de l’urgence, l’autorégulation des marques et des communicants ne suffit pas. Mobiliser le secteur ne suffit pas, il faut aller beaucoup plus loin.»
Transformation en cours
Le secteur de la communication se montre réceptif à ces nouvelles attentes. Depuis 2020, les États Généraux de la Communication fédèrent ses différents acteurs (médias, agences ou marques) vers une culture de la responsabilité. Arnaud Leroy envisage ce momentum comme une opportunité de réinventer et de faire converger le secteur vers «une communication dont l’objet peut être mesuré, avec des indicateurs lisibles et compréhensibles par le plus grand nombre, c’est l’objet du contrat climat. Si les choses fonctionnent et évoluent, cela prouvera que l’on peut tendre vers du mieux grâce à un secteur qui est prêt. Ça coupera l’herbe sous le pied à ceux qui disent qu’il n’y a que de la communication de façade»… et d’inventer la communication du nouveau monde.
Pour entamer cette transformation, les formations initiales mais aussi continues, au quotidien, dans les entreprises, ont un rôle structurant à jouer pour faire évoluer les états d’esprits. Car Matthieu Orphelin et Arnaud Leroy partagent bien l’idée que ce que nous appelons «futur» est déjà notre présent. Il est donc impératif pour les professionnels de s’interroger chaque jour : que font-ils pour que leur communication soit plus engagée ?