Valérie Perruchot Garcia : L’industrie de la santé a du mal à se faire aimer du public. Pourtant, le dernier baromètre Leem/Ipsos indique que 60 % des Français saluent la façon dont elle s’est mobilisée pendant la crise. Un momentum pour renouer avec la confiance perdue ?
Clarisse Lhoste : N’accordons-nous pas notre confiance à ce que l’on connaît ? Le grand public connaît mal notre industrie car nous évoluons dans un environnement réglementaire qui ne nous permet pas toujours de communiquer. Nous avons une part de responsabilité dans ce désamour car nous nous sommes, pendant longtemps, concentrés sur notre cœur de métier sans faire suffisamment d’efforts pour lui parler de nos missions, comme la recherche ou l’innovation. Le contexte de la pandémie a représenté une opportunité de faire bouger les lignes. Notre écosystème évolue, les attentes du patient aussi, ainsi que celles des médecins. À nous de prendre ce virage pour répondre à ces attentes. Notre industrie, aujourd’hui surexposée mais encore «corsetée» dans sa communication, doit se remettre en question et lever le voile sur qui elle est vraiment.
Gérald Kierzek : La crise covid est une opportunité pour cette industrie : les innovations thérapeutiques et préventives, dont le vaccin, en sont issues et elles ont fait redémarrer le monde. La défiance vis-à-vis de ce secteur n’est pas nouvelle. De grandes affaires de santé publique – justifiées ou non – ont conduit le grand public à confondre médicament et industrie pharmaceutique. Toujours pour le pire et rarement pour le meilleur ! Pourtant, chaque jour les médecins prescrivent des médicaments sans que personne n’ait à redire quoi que ce soit et heureusement, car cela sauve des millions de vies.
Infox, désinformation, complotisme… Comment les laboratoires pharmaceutiques doivent-ils s’adapter ?
G.K. : Le temps des médias s’est considérablement accéléré. Réseaux sociaux, chaînes d’info en continu… Une information chasse l’autre et elle n’est pas toujours mise en perspective ou décryptée. Il faut faire avec et s’y adapter, avec une réactivité adéquate. Impossible par exemple de «réfléchir» ou «valider» pendant des jours avant de publier une réaction à une information ; l’urgence médiatique impose un circuit court de décision pour les industriels de la santé. Malheureusement, la viralité fait souvent vérité. Cela indique une sensibilité sociétale ou médiatique que le secteur doit apprendre à prendre en compte et traiter en toute transparence.
Justement cette transparence, comment la gérer ?
C.L. : Transparence, humilité et pédagogie sont les principes fondateurs d’une communication pertinente et différenciante. Dans un univers où l’on trouve tant d’infox, nous devons proposer des informations à haute valeur ajoutée. En dévoilant les coulisses de nos entreprises, en expliquant nos métiers, en embarquant nos partenaires comme les associations de patients ainsi que nos 100 000 collaborateurs, nous pourrons renforcer la confiance.
Comment faire, alors que communiquer sur le médicament n’est pas autorisé ? N’est-ce pas là que le bât blesse ?
C.L. : Nous ne pouvons pas communiquer sur nos innovations mais nous pouvons communiquer sur la façon dont nous les inventons et les mettons à disposition. Qui sait que l’industrie pharmaceutique fait partie des secteurs qui contribuent le plus à l’attractivité de la France en matière de recherche, par exemple ? Aucun sujet ne doit être éludé.
G.K. : À mon avis, une pédagogie sur le médicament reste nécessaire pour le grand public, via des actions d’éducation et ce, dès l’école primaire. Les autorités de santé doivent certes réguler les relations de l’industrie avec ses partenaires, mais elles ne peuvent continuer à nier leur existence ou les traiter en pestiférés.
Quels leviers seraient les plus appropriés pour rapprocher le secteur de ses usagers ?
G.K. : Il faut en finir avec la suspicion qui entoure toute action des industriels de la santé. Cette défiance sera tempérée par une information de meilleure qualité et, comme le dit Clarisse, par une communication positive sur le processus de R&D ou de production du médicament ou son encadrement réglementaire. Si le Sunshine Act à la française ou loi dite «anti-cadeaux» partait d’une bonne intention, le millefeuille législatif qui en découle paralyse toute coopération entre industriels et acteurs du système de santé. L’industrie doit redevenir persona grata dans cet écosystème, sans hypocrisie.
C.L. : Un premier levier serait donc de ne pas communiquer seuls ! Nous pouvons le faire en impliquant les différents acteurs de notre écosystème. Pourquoi ne pas montrer comment des cliniciens dans des hôpitaux travaillent avec nous pour développer les médicaments de demain ? Pourquoi ne pas démontrer qu’un lien d’intérêt – qui n’est rien autre qu’une relation de travail – n’est pas un conflit d’intérêts ?
Concrètement, comment agir ?
C.L. : Via des actions pédagogiques de grande envergure, en mettant en place des expositions pour mieux faire connaître nos métiers, l’histoire de la médecine et du médicament. En ouvrant nos portes pour montrer les étapes qui mènent à la mise à disposition d’un médicament. Je suis frappée du fossé qui existe entre la perception du public et la fierté de nos collaborateurs et partenaires… Osons dévoiler nos coulisses pour faire tomber les idées reçues !
Médicaments : une communication sous contraintes
D’après le Code de la santé publique, la publicité pour les médicaments fait l’objet d’un contrôle a priori par les autorités (l’ANSM, l’agence nationale de sécurité du médicament) et doit obtenir un visa avant toute diffusion. Pour être autorisée, la publicité doit «présenter le médicament de façon objective, favoriser son bon usage, respecter les dispositions de l’autorisation de mise sur le marché ainsi que les stratégies thérapeutiques recommandées par la Haute Autorité de santé». Pour les médicaments à prescription restreinte, elle ne peut être diffusée… qu’aux prescripteurs et aux pharmaciens qui les délivrent. Elle est possible auprès du grand public pour les médicaments vendus sans ordonnance et non remboursés par l’Assurance maladie, mais à condition de comporter un message de prudence et un certain nombre de mentions obligatoires. Enfin, l’information institutionnelle diffusée par les laboratoires vers le public ne peut avoir pour objet la promotion de leurs médicaments.