La mèche conquérante, le smoking impec, l'œillet écarlate à la boutonnière, Bernard Tapie avait, en 1984, les honneurs de la couverture de Stratégies et d'un titre convoité : celui d'«Homme de l'Année». Sur le cœur, tel un super-héros, une initiale : W comme Wonder, rachetée un franc en 1984. Pour la marque de piles, Tapie jouera les têtes d'affiche en 1986 dans une publicité qui dit toute une époque : entouré de ce que l'on appelait alors les «yuppies» [young urban professionals], tailleurs-pantalons anthracite et épaulettes hyperboliques, Tapie avance, déterminé, imperturbable, tandis que la cohorte de jeunes cadres dynamiques craquent sous la pression. Alors qu'il vient avec le plus grand calme de défoncer un mur pour rejoindre son bureau, une secrétaire transie d'admiration lui sussure : «Mais qu'est-ce qui vous fait marcher ?». «Moi ? Je marche à la Wonder». Le businessman bulldozer revendra les alcalines en 1988 pour 470 millions de francs à l'Américain Ralston...
Tapie et les marques, c'est comme Tapie et les médias : une histoire d'amour-haine. L'homme d'affaire a souvent été décrié pour ses méthodes, jugées prédatrices : depuis 1977, il s'était spécialisé dans la reprise des entreprises en dépôt de bilan. Manufrance, achetée en 1980, Terraillon, rachetée un franc en 1981 et revendue 125 millions de francs en 1986 à l'Américain Measurement Specialities, l'horloger Look, racheté un franc en 1983 et revendue pour 260 millions de francs en 1988 au propriétaire des montres suisses Ebel, La Vie claire, rachetée un franc en 1980 et revendue à Distriborg par le CDR (Consortium de réalisation du Crédit Lyonnais) en 1995, les balances Testut, rachetées un franc en 1983 et revendue par le CDR en 1999 au groupe américano-suisse Mettler Toledo ou encore la marque de tennis Donnay, rachetée un franc en 1988 et revendue 100 millions de francs en 1991 à la région wallonne. Imparable.
Autre gros coup de Tapie dans les années 1990 : alors que le buisnessman compte parmi les vingt premières fortunes de France, il se porte acquéreur de l'équipementier sportif Adidas, qui, ringardisé par Nike et Reebok, mord la poussière. «L'affaire de [ma] vie», selon Tapie, qui estime réaliser là le mariage rêvé entre ses deux passions : le sport et le business. Nouveau logo (le triangle à trois bandes vient remplacer l'historique fleur de lotus), restructurations, délocalisations... En 1993, l'entreprise est à nouveau rentable et le groupe est revendu. Avec un gros litige à la clé. L'affaire Adidas/Crédit Lyonnais, opposant, depuis 1992, Bernard Tapie à la banque - qu'il accuse de l'avoir été floué d'une plus-value réalisée à la revente d'environ 400 millions d'euros - était toujours en cours, avec une décision en appel prévue le 6 octobre.
Au-delà du rapport mouvementé entre Tapie et les marques, celle qu'il aura sans doute mieux su promouvoir est sans nul doute la sienne. Une marque «Tapie», synonyme d'ambition décomplexée et de fric-roi, dans une décennie, les années 80, où les best-sellers avaient pour nom Fortune de Paul-Loup Sulitzer, et durant laquelle le businessman publiera, en 1986, un livre au titre sans ambiguïté : Gagner, alors qu'il animait sur TF1 son émission au nom tout aussi assertif : «Ambitions». Toute une époque, qui disparaît avec ce businessman hâbleur et attachant, probablement l'homme d'affaire le plus connu des Français.