« Le masculin l’emporte sur le féminin »… À l’heure de #Metoo et d’une prise de conscience grandissante autour de la représentation des femmes dans la société, ce principe ancestral de la langue française est bousculé et son application n’est plus si évidente. L’écriture inclusive, qui désigne un ensemble de principes visant à une représentation égale des hommes et des femmes, pratiquée d’abord par une population militante, fait depuis quelques années son apparition dans des échanges de mails, certains communiqués de presse, sur les réseaux sociaux… Bien-sûr, le terme générique d’écriture inclusive comporte différents degrés : du plus controversé maniement de néologismes pour désigner des personnes ne s’inscrivant pas dans un genre défini, à l’instar du pronom neutre « iels », à l’usage du point médian, permettant de regrouper au sein d'un même mot les formes masculines et féminines (« Êtes-vous prêt·e·s ? »), en passant par la règle de proximité qui consiste à accorder le genre de l’adjectif avec le plus proche des noms qu’il qualifie.
Sujet sensible
Que dit l’Académie française ? Si l’institution, dont la fonction est de normaliser et de perfectionner la langue française, proscrit l’usage du point médian, elle a depuis 2017 avancé sur le sujet de la lutte contre les stéréotypes de genre et préconise par exemple la féminisation des fonctions tenues par une femme.
De son côté, l’Éducation nationale se réfère à la circulaire du Premier ministre du 21 novembre 2017, qui écarte également néologismes et point médian, mais conseille « l'usage de la féminisation des métiers et des fonctions. De même, le choix des exemples ou des énoncés en situation d'enseignement doit respecter l'égalité entre les filles et les garçons, tant par la féminisation des termes que par la lutte contre les représentations stéréotypées. »
Si l’écriture inclusive tend à se populariser, la question reste encore très « touchy ». Faut-il l’utiliser dans les communications, les slogans, les tweets, les discours... ? La pub doit-elle se faire le reflet des usages qui se développent de manière naturelle ? « Aujourd’hui, on a l’impression que si on l’emploie, on risque le bad buzz, mais que si on ne l’utilise pas… On risque tout autant le bad buzz ! », nous confie-t-on au sein d’une agence de publicité (précisons que très peu d’agences interrogées ont souhaité répondre aux questions sur ce sujet, preuve de sa sensibilité…).
Le monde de la communication semble demeurer actuellement à la croisée des chemins. « Il est important de noter que tout sujet tabou a d’abord été un sujet “radical”, presque militant, quelques années auparavant. Ce que l’on considère aujourd’hui comme radical apparaîtra comme une norme dans un ou deux ans. À l’instar de l’écriture inclusive, qui bad buzzait il y a deux ans et qui ne choque plus aujourd’hui, mais dont la non-utilisation bad buzzera demain », explique Marie Muzard, experte en crise digitale, fondatrice et directrice générale de MMC (Marie Muzard Conseil).
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Et des entreprises ont déjà adopté le point médian dans certaines campagnes publicitaires. C’est notamment le cas de Zalando, qui a pris le parti d’afficher des phrases comme « Je me suis réinventé·e en trouvant mon modèle » ou « Hésitant·e et alors ? » en très grand format sur des immeubles de Paris ou de Lyon. Une campagne qui s’insère dans une stratégie générale de diversité et d'inclusion de la marque allemande.
Dynamique plus timide chez l’américain Netflix dont on ne trouve qu’une seule occurrence pour le moment, à l’occasion de la sortie de la série Marianne en 2019, avec l’accroche « La série que vous ne voudrez pas regarder seul·e ». Citons encore Eurosport qui a tenté sur les réseaux sociaux un « Il.Elle.s débarquent » en septembre 2020 pour célébrer l’arrivée de la Ligue des Champions et la Ligue européenne. « Ce que l’on remarque, c’est que l’adoption de l’écriture inclusive est rarement isolée, mais raccrochée à une réflexion plus globale de l’entreprise sur l'égalité : la communication sans stéréotype de sexe, les salaires, voire les tours de paroles en réunion, etc. », indique Raphaël Haddad, docteur en Info Com, fondateur et directeur associé de l’agence Mots-Clés, particulièrement engagée sur le sujet, avec la parution du Manuel d’écriture inclusive depuis septembre 2016. « L'adoption raisonnée de l'écriture inclusive, qui était avant-gardiste en 2017 est aujourd’hui devenue assez banale. Nous récupérons de nombreuses entreprises et institutions dont les agences n’ont pas le savoir-faire nécessaire pour les guider dans cette démarche. Il faut avoir en tête que de nombreuses agences ont été fracassées par les scandales de harcèlement et que prendre la parole sur ce thème est encore éminemment sensible.»
Stratégie d'évitement
Si pour une marque, l’écriture inclusive peut représenter un moyen de signaler un engagement sur l’égalité femmes-hommes, elle expose également au risque de polémiques. En août 2020, l'enseigne Cultura en a fait les frais en répondant sur Twitter à une cliente qui protestait après avoir reçu un e-mail de la marque rédigé en écriture inclusive : « L’écriture inclusive est née de la volonté de faire changer les mentalités sur l’égalité homme/femme par le langage. Si cela est un soucis (sic) pour vous, nous ne vous retenons pas ». Rapidement, le hashtag #BoycottCultura a pris de l’ampleur jusqu’à atteindre les top tendances du réseau social. Le problème, pour une partie des internautes : une librairie, censée valoriser la langue française, encourage l’utilisation d’une nouvelle norme orthographique et syntaxique, malgré les recommandations de l’Académie française.
Alors que faire ? La plupart des communicants aujourd'hui semblent opter pour une stratégie d'évitement. Il s’agit de trouver la tournure, le terme, qui permettra d’échapper au participe passé ou à certains pronoms… Mais cela ne revient-il pas déjà à tordre la langue française ? « Définitivement, l’inclusion est une préoccupation en agence. Et sa traduction directe - combattre les stéréotypes sexistes dans les accroches - le devient. En publicité, un pompier peut être une pompière, un maire peut en être une, on parle de “parents”, moins de “mamans”, etc. Mais en réalité, il s’agirait plutôt de parler d’écriture “dégenrée”: on s’appuie beaucoup sur du vouvoiement, de l’impératif, ou du “on”, précisément pour ne pas que la question du sexe se pose… Je ne sais qui l’emporte sur le masculin ou le féminin, mais j’ai le sentiment que le fond l’emporte sur la forme ! », assure Mélanie Pennec, directrice de création chez DDB Paris.
Cependant, pour Olivier Altmann, cofondateur de l’agence Altmann+Pacreau, « l’écriture inclusive est controversée, et l’utiliser pour une marque est à double tranchant. Pour certaines cela peut être un signe de modernité et d’inclusion. Mais à mon avis cela risque de paraître opportuniste et d'irriter tous ceux qui pensent que c’est une hérésie pour la langue française ». Même son de cloche à Influence4You, spécialisée réseaux sociaux : « Durant 6 mois, nous avons rédigé tous nos textes, communiqués et articles de blogs avec le point médian, puis nous avons rétropédalé, rappelle son fondateur Stéphane Bouillet. Nous avons aujourd’hui opté pour des tournures plus mesurées mais nous restons très attentif à inclusion. »
En l’état actuel des choses, le monde de la communication préfère se concentrer sur le fond plutôt que sur la forme, comme le confirme Laetitia Mezrahi à Sidièse, se présentant comme une agence de « communication (plus) responsable » : « Le sujet de l'“expression inclusive” est plus large. L’objectif est surtout d’inclure pour embarquer et mettre en mouvement les publics autour des engagements de l’entreprise. » Autre phénomène notable, les entreprises qui préfèrent adapter l’écriture inclusive et ses différents degrés à l’interlocuteur. Pauline Germain, fondatrice de l’agence de relations presse 40 Hertz, admet se conformer aux attentes des journalistes à qui elle adresse un mail ou communiqué : « Nous n’avons pas systématisé cette approche, mais avec certains médias qui sont passés au 100 % écriture inclusive, ou sur certaines problématiques, nous faisons du cas par cas. »
Comme pour toute innovation linguistique, il n’est pas simple de s’approprier l’écriture inclusive. Pour autant, comme le souligne Christophe Benzitoun, enseignant-chercheur en linguistique française, membre du laboratoire Atilf, et auteur de Qui veut la peau du français ?, « Il y a une demande sociale et sociétale d’une portion significative de la population. L’écriture inclusive ne veut pas la peau du français. Bien au contraire. Ce sont plutôt les conservateurs qui veulent sa peau. Car figer une langue vivante, c’est la mener à sa perte. Historiquement en tout cas, c’est ce qui a provoqué la disparition de certaines langues. Lorsqu’une langue n’est plus adaptée aux besoins des locuteurs, elle meurt. »
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« L’écriture inclusive est amenée à se diffuser »
Jean-Marc Lalanne, directeur de la rédaction des Inrockuptibles, un des rares journaux à avoir adopté l’écriture inclusive, nous explique son choix.
Quand avez-vous adopté l’écriture inclusive ?
Il y a cinq ans. Olivier Joyard, notre journaliste responsable des séries, l'a adoptée par idéologie et par choix personnel. Et j’ai décidé de laisser ses textes ainsi écrits sans les corriger. Les responsables de l’édition chez nous ont alors soulevé la question de l’uniformisation de l’écriture. J’étais favorable à respecter un choix d’auteurs mais les éditeurs ont prôné une harmonisation. Ils tenaient beaucoup à adopter cette écriture. C’était une conviction importante pour eux et on y a souscrit.
Est-ce contraignant ?
La plupart des journalistes écrivent leurs textes tels quels car l’écriture non inclusive est ancrée en nous. Beaucoup de journalistes ne s’y astreignent pas. Ce sont les éditeurs qui font le travail derrière, sans difficulté puisqu'ils y sont très attachés.
Comment réagissent vos lecteurs ?
En cinq ans, j’ai reçu moins de vingt lettres défavorables, se plaignant notamment du fait que cette écriture rendrait la lecture illisible. Certains confrères m’en ont parlé de manière ironique, comme s’il s’agissait d’une posture que nous adoptions. J’ai eu des vannes dans ma vie sociale.
Avez-vous reçu des soutiens ?
Oui et c’est assez générationnel. Au journal comme chez nos lecteurs, ce sont les jeunes qui y sont favorables et les plus anciens qui émettent des agacements.
Pourquoi si peu de titres de presse l’adoptent ?
Il y a cet a priori que cela complexifie la lecture. Mais il s'agit d’une habitude de lecture qui est amenée à s’ancrer et à se développer. Dans quelques années, plus personne n’y prêtera attention
Caroline Bonacossa