Société
Initiées dans le sillage du mouvement des droits civiques dans les années 1960, les politiques de diversité sont devenues incontournables dans le monde de l’entreprise aux États-Unis. Mais vont-elles assez loin dans un pays récemment marqué par le mouvement Black Lives Matter ?

«Autrefois, il fallait fouiller pour savoir qui était le responsable des initiatives de diversité dans les entreprises. Ce n’est plus le cas aujourd’hui», observe Daisy Auger-Dominguez. Chargée des politiques de diversité et d’inclusion au sein du groupe média Vice, cette professionnelle qui a travaillé notamment avec Google et Moody’s a vu les compagnies américaines se transformer. Création de postes de chief diversity officer, formations, recrutement de consultants spécialisés… Il n’y a pas que la diversité raciale et de genre qui intéresse « Corporate America » (surnom donné à l’univers des grandes entreprises américaines) : l’orientation sexuelle, le handicap, l’âge et même les manières de penser ­(classique, créative…) sont considérés dans le recrutement et la gestion d’équipe. À la pointe dans ce domaine, Microsoft a ainsi lancé un programme de recrutement pour individus « neuro-divers », c’est-à-dire autistes ou atteints de troubles comportementaux ou mentaux. D’autres montent des séances de discussion entre employés autour de l’expérience transgenre ou, à l’image de Starbucks, organisent des séances « antipréjugés » et nouent des partenariats avec des organisations LGBT, panasiatiques, de réfugiés… pour mieux cerner leurs besoins. « Il s’agit au fond de réimaginer ­l’entreprise et de réviser les procédures internes en se demandant : “Pour qui fonctionnent-elles ?” », résume ainsi Daisy Auger-Dominguez. La diversité dans le monde du travail est une préoccupation pourtant ancienne aux États-Unis. Le premier texte majeur en la matière – un décret du président Harry Truman pour mettre fin à la ségrégation dans l’armée américaine – date de 1948. Avec le mouvement des droits civiques dans les années 1960 et ses lois antidiscrimination, puis les politiques d’affirmative action dans les années 1970, les entreprises américaines ont progressivement ouvert leur recrutement, en particulier aux femmes et aux minorités raciales. Il a fallu attendre toutefois les années 1990 et l’adoption généralisée des pratiques de « corporate social responsibility » (CSR) – l’équivalent de notre RSE – pour que ces questions deviennent centrales. Pour les entreprises, il ne s’agit pas seulement de montrer qu’elles sont de bonnes citoyennes, elles pensent aussi à leurs performances. En 2015, le cabinet McKinsey a constaté que les sociétés les plus diverses sur le plan de la race et du genre avaient des résultats financiers supérieurs à la moyenne de leur secteur.

 

Un manque de culture d’appartenance

Malgré des progrès, la réalité reste contrastée, selon Kimberly Harden, consultante en diversité et professeure de communication à l’Université de Seattle. « Les entreprises se soucient de leurs chiffres de diversité, mais pas de créer une culture d’appartenance pour les personnes non blanches, les handicapés ou les LGBT, dit-elle. Résultat : un grand nombre d’individus, jeunes, non blancs, décident de quitter leur entreprise, où ils ne se sentent pas valorisés. Ils finissent par monter des business qui concurrencent leurs anciens employeurs ». En cause selon elle, la difficulté des PDG blancs et âgés à reconnaître le problème et à changer leurs habitudes. Le sentiment d’exclusion a éclaté au grand jour après la mort de George Floyd en mai 2020. Le mouvement de protestation engendré par le meurtre de cet Afro-Américain par un policier blanc a conduit plusieurs grandes sociétés à publier, sous la pression de consommateurs, d’employés et de militants antiracistes, leurs données de diversité raciale. Parmi les 500 plus grandes entreprises américaines, seules quatre sont dirigées par des Afro-Américains. Et ces derniers sont largement absents des conseils d’administration et des équipes de management. En réaction, plusieurs compagnies (Adidas, Starbucks, Facebook, Pepsi…) se sont engagées à accroître le nombre de Noirs et d’Hispaniques dans les postes de direction. Un début. « Pendant des années, les entreprises américaines se sont contentées de faire le minimum requis, reprend Daisy Auger-Dominguez. Mais nous nous sommes aperçus que ce minimum ne marchait pas pour beaucoup d’Afro-Américains, de la même manière qu’il ne marchait pas pour les femmes comme l’a montré le mouvement #MeToo. Le harcèlement et les pratiques discriminatoires restent une réalité. »

Les entreprises américaines « ne peuvent plus regarder vers le passé »

 

Business. Le jour même de son investiture, Joe Biden signait le retour des États-Unis dans l’Accord de Paris sur le climat. Un renouveau des préoccupations environnementales analysé par Andrew Hoffman, professeur spécialisé dans l’entreprise durable à l’Université du Michigan.

 



Suivez dans Mon Stratégies les thématiques associées.

Vous pouvez sélectionner un tag en cliquant sur le drapeau.

Lire aussi :