Et vous, vous êtes neutres ? C’est le grand problème de l’époque : être neutre en carbone. Tout le monde s’active pour la sacro-sainte « neutralité », et c’est à qui parle le plus fort pour être le plus transparent possible. À chaque pollution émise, on plante un arbre pour se racheter une âme bio. L’ennui ? C'est que ça ne sert à rien. La neutralité carbone à échelle individuelle ne règle aucun problème. C’est même l’Ademe qui le dit. Il faut penser à grande échelle. On n’est pas neutre, mais on « contribue à la neutralité carbone de la planète ». Ce qui complique l’équation. Car chaque organisation n’est que le maillon d’un tout, et le moindre geste a des répercussions évincées du modèle lorsqu’on ne réfléchit que sur soi. Autrement dit : c’est comme détruire un mur porteur d’un édifice et ériger une palissade au bout du jardin pour s’estimer heureux d’avoir compensé son acte. Faudra pas venir se plaindre si la maison s’écroule ! Pourquoi n’arrive-t-on pas à sortir de ce prisme ? C’est une vision comptable et religieuse. L’arrivée de la comptabilité à partie double dans l’histoire économique occidentale correspond à l’émergence de la notion de purgatoire, comme le décrit le philosophe Édouard Jourdain dans Théologie du capital (Puf). Et c’est de cette vision double du rachat de ses péchés que viendra le formalisme de l’égalisation entre les débits et crédits. Pour un vol d’œufs, c’est trois Pater, pour un bœuf, c'est dix : on compense… Et combien d'Ave pour un kilo de carbone ?