Automobile
En cinq ans, Rosapark a opéré une mue de l’image de marque du constructeur tchèque Skoda sur fond de montée en gamme. Récit.

C’est le genre de pub qui fait arrêter immédiatement ce que l’on était en train de faire. Quand le dernier film Skoda arrive dans notre boîte mail, on se prend 60 secondes pour voir ce qu’ils ont encore trouvé. Cela fait cinq ans que ça dure et ce n’est, avouons-le, jamais décevant. Ces pubs, ce sont les pubs Skoda conçues pour la France par Rosapark. L’agence du groupe Havas travaille pour la marque tchèque de Volkswagen depuis 2016. Dans un secteur automobile à la créativité publicitaire poussive, l’agence a dynamité les codes avec des films léchés, drôles et inattendus. Les briefs n’ont pourtant rien de simple. Dans le dernier, « Epic Option », sorti début mars, il fallait mettre en avant une baguette en plastique protégeant l’extrémité des portières. Et sur une Skoda.

Le résultat nous plonge à bord d’un Skoda Kodiaq en compagnie d’un couple sûr de son dessein. Le véhicule se gare à côté d’un énorme Chevrolet Escalade de mafieux. Et là le temps s’arrête. Sur fond de Chevauchée des Walkyries, les balafrés en cuir noir, attablés au bar du coin, stoppent leur partie de poker pour attendre notre couple au tournant. Vont-ils rayer la caisse en ouvrant la porte ? Ladite porte s’entrouvre. Puis s’ouvre. Elle s’ouvre franchement – les loubards se préparent – et elle tape leur SUV ! C’est là que la protection de portière rétractable de la Skoda entre en jeu, évitant le pire. Chez Rosapark, on appelle ça une « smart idea ». Une option simple mais bien pensée dont Skoda aurait le secret. Et que l’agence a pris l’habitude de mettre en scène de façon drôle. Une autre campagne vantait le « pack sommeil » à travers une série de portraits de passagers dormant à moitié étranglés par leur ceinture… Avant d’en arriver là publicitairement, Skoda a dû reposer les bases en 2016.

Le culot de la mocheté

Ce repositionnement de Skoda en France est l’affaire d’un duo : Rosapark et Paul Barrocas, ancien directeur commercial chez Audi, passé par Skoda au début des années 2000, et directeur marketing de Skoda France depuis 2016. A cette époque, Skoda est encore « le Volkswagen dégriffé ». La marque tchèque, créée en 1895 sous le nom de Laurin & Klement, appartient au groupe de Wolfsburg depuis 1991 et a pour vocation de conquérir les marchés de l’Est de l’Europe ; quand l’espagnol Seat, repris par l’allemand en 1984, doit gagner le Sud. Dans ce contexte, « il a fallu arriver à exister », rappelle Paul Barrocas. « On ne nie pas faire partie du groupe mais il a fallu trouver son territoire. » Au début des années 2000, la marque avait un atout bien installé. « Skoda, c’était les taxis. Ils avaient tous une Skoda Superb. Il y a de l’espace à bord, elles sont fiables… Si un chauffeur de taxi fait ce choix, il ne peut pas se tromper », pointe Paul Barrocas. La marque repose alors essentiellement sur le « value for money » ; entendez, « on en a pour son argent ».

« Le nœud du problème était de faire évoluer cette perception mais là, on affronte en neurosciences une résistance mentale au changement sévère », rappelle Sacha Lacroix, directeur général de Rosapark en charge du compte Skoda. « Si nous voulons que les gens nous écoutent, il faut accepter ce qu’ils pensent de nous. Il faut accueillir leur opinion pour mieux les amener à voir ce que nous voulons leur montrer ensuite », explique le publicitaire. C’est ainsi qu’à la surprise générale – et en pleine tendance revival des années 90 – Skoda dégaine en septembre 2018 « Moche dans les années 90 ». Les Skoda des années 90 étaient moches ? Et vous, alors ! Le clip d’une minute réalisé par Jean-Baptiste Saurel (Big Productions), rappelle le pire de notre look de cette période (banane à la ceinture, mulet derrière la nuque, gel fixation extrême) avec force humour. Le film vaut à Rosapark et à Skoda le 42e Grand Prix Stratégies de la publicité en 2019. Surtout, un plafond de verre est cassé.

Maintenant que le public a saisi que Skoda ne partageait plus rien avec les années 1990, il doit comprendre qu’il ne s’agit pas d’un sous-Volkswagen – bien que les bases techniques soient communes. Pour cela, pas question de remiser l’humour. « Dans les années 2000, l’automobile était l’un des meilleurs secteurs avec Renault avec Altmann, Peugeot avec BETC, Volkswagen avec DDB… mais aujourd’hui, c’est devenu pire que la distrib ! Les étudiants en pub disent que les marques auto sont des lessiviers avec des films qu’on a tous vu cent fois : un homme de 45 ans habillé un peu cool passe une vitesse puis un slogan du genre "devenez-vous-même" ponctue le tout », pique Paul Barrocas. Le hic est que ces films sont souvent internationaux et qu’ils doivent toucher 25 marchés en même temps. À force de vouloir tout dire, on ne dit rien. D’ailleurs Skoda, pour ses clips internationaux, n’y échappe pas

Campagne de marque locale

« Les campagnes internationales ont un rôle de visibilité », rappelle Sacha Lacroix. La particularité des pubs françaises du tchèque est qu’elles sont des campagnes de marque. Pour un fabricant auto, c’est assez inhabituel d’autoriser une prise de parole si haute pour un pays. « C’est fou, une campagne de marque locale, ça n’existe pas dans l’auto, pointe Sacha Lacroix. Nous sommes allés pitcher à Prague ! » L’autre spécificité est qu’elles ne sont pas diffusées en télévision mais sur les réseaux sociaux. « On a tendance à mettre tout dans le même panier sur les réseaux mais ici, il s’agit d’une vraie démarche soutenue par le marketing et les performances sont au rendez-vous : la France est le pays le plus performant sur les réseaux pour Skoda, avec le plus d’engagement », se féilicite le directeur général de Rosapark.

Pour continuer d’accompagner ce repositionnement de Skoda, plusieurs films suivent en 2019 : « Doug the dog », qui met l’accent sur la ceinture de sécurité pour chien en mettant en scène un canidé géant, « un projectile de plus d’une tonne en cas d’accident ». Puis « L’hésitation n’est plus une option », qui nous campe un client, Étienne en plein doute. « Mais bon Skoda t’en penses quoi toi ? » Le film s’amuse à comparer par l’absurde des hésitations aux enjeux éminemment plus lourdes de conséquences comme un démineur qui hésite entre deux fils. Et n'hésite pas à convoquer Jeanne d’Arc qui explique ne pas avoir hésité, elle, à prendre les armes pour bouter les Anglais. En 2019 toujours, l’hilarant « Will & Chuck », deux fiers policiers pieds nickelés américains ravis de partir en course poursuite, hélas freinés par un réglage de siège défectueux – ça ne serait pas arrivé en Skoda, avec sa clé qui mémorise la position du siège…

Tout sauf Dacia

« Quand on regarde les insights depuis la campagne sur les années 90, ils ont évolué. Les gens trouvent les voitures attractives mais hésitent », observe Sacha Lacroix. « Il y a quatre ans, le portrait-robot du client Skoda était rationnel, il choisissait le prix et la fiabilité », poursuit Paul Barrocas. Mais aujourd’hui, il est plus porté sur le lifestyle et cherche plus d’émotionnel. Il y a le chantier sur l’image, et celui sur le produit. Nul doute que pour que l’alchimie fonctionne, les deux doivent avancer de concert. Et les multiples SUV qui sont venus enrichir la gamme y ont contribué. En cinq ans, le prix des Skoda a grimpé de 25% et la clientèle s’est embourgeoisée : 4 200 euros de revenus par foyer pour un client Skoda, soit 1 000 euros de plus que la moyenne française et un âge moyen d’achat de neuf de 52,5 ans contre 57 ans pour le marché. La premiumisation s’est faite par le prix mais, souligne Paul Barrocas, « par les contenus, le traitement des matériaux, la technologie embarquée… » En réalité, l’un des indicateurs les plus intéressants que regarde le directeur marketing, et ex-commercial, est « à qui est-ce que Skoda prend des clients ? » La réponse - et il « insiste là-dessus » : « Nous prenons des clients à tout le monde, sauf à Dacia ! » Pour la marque qui fut autrefois distribuée avec Lada et a longtemps souffert de l’amalgame, on sent que ne pas être confondu avec le roumain Dacia est une bonne nouvelle... Un autre indicateur, intangible, que note Sacha Lacroix, c’est la « badge value » : « Je pense qu’il y a un petit sentiment de fierté de comprendre la marque avant les autres, cela valorise l’idée d’avoir pris la vague avant tout le monde. »

Cinq ans plus tôt, Skoda était la 18e marque en France. « On avait 17 concurrents devant nous qui étaient plus connus, plus appréciés, qui avaient plus de moyens alors faire comme les autres n’était pas une solution », se rappelle le publicitaire. En 2020 et malgré la crise du Covid-19, Skoda France a moins reculé que le marché (-18% contre 25,5% pour le secteur). Mieux, il a gagné 0,2% de parts de marché, autant qu’en 2019. Skoda est aussi la deuxième marque du pays sur la fidélité dans le renouvellement d’un véhicule neuf. Bien sûr, tout cela n’est pas à mettre au crédit de Rosapark car la marque jouit aussi d’une belle tendance au niveau mondial avec, en 2020, le cap du million de véhicules livrés dans le monde. « Le début 2021 est assez fabuleux avec des rattrapages commerciaux qui portent la croissance jusqu’à 30 à 40% et des ventes soutenues par l’Octavia », met en avant Paul Barrocas.

Garder la niaque

Pour parachever sa mue vers plus de modernité et de personnalité, Skoda a un rendez-vous à ne pas manquer en 2021 : celui de l’électrique, avec l’arrivée sur le marché du SUV Enyak électrique. C’est son premier véhicule 100% électrique. Une campagne internationale est prévue en mai. Côté français, le travail s’opère plutôt en coulisses, sur la génération de leads via le canal digital. L’électrique apportera un vernis technologique et premium en plus à la marque et devrait la renforcer sur ces assets. « Il va y avoir une cible plus haut de gamme de gens qui veulent concilier plaisir et environnement. Ce qui est nouveau, c’est de conjuguer le statut et la puissance du SUV avec l’électrique qui respecte l’environnement, cela va contribuer au côté avant-gardiste », prévoit Sacha Lacroix. Paul Barrocas voit de son côté « le besoin d’expliquer ce qu’est l’électrique et de rassurer les clients sur l’autonomie ». En parallèle, il espère que cette technologie « touche des leaders d’opinion ». Là encore, l’ex-commercial a un indicateur parlant. « Ce qui caractérise une marque premium c’est lorsque les early adopters passent commande avant même d’avoir vu le véhicule en vrai. J’ai connu ça chez Audi mais pas chez Skoda… jusqu’à ce qu’on ouvre les réservations pour l’Enyak électrique ! »

Chiffres clés : 

- 101 millions d'euros investis en médias par Skoda France (Kantar Media) en 2020 contre 91 millions en 2019 (Agence : Re-Mind PHD)

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