Introduit par Donald Norman au milieu des années 1990, le terme de «user experience» (UX, ou expérience utilisateur) a fait beaucoup parler de lui depuis dans l’écosystème digital. Dans un monde mobile-first, où l’hyperconnexion et l’instantanéité règnent en maîtres, les marques doivent désormais proposer des expériences sans couture. Il devient alors légitime de s’interroger : devenu le pilier des services numériques, l’UX est-il davantage au service de l’utilisateur ou de l’expérience de marque ? Cette dernière, plus qu’une addition de bonnes pratiques, doit se rapprocher de l’émotion.
Depuis plus de dix ans, l’expérience utilisateur s’est imposée comme étant essentielle à chaque refonte ou création de dispositif numérique. Inspirées des travaux historiques en science de l’ergonomie d’architectes de renom et autres ingénieurs informatiques, les normes UX se sont construites au fil des années et ont fait leurs preuves, notamment à l’aide d’outils développés pour juger de l’efficacité d’une interface ou d’un parcours (tests utilisateurs et A/B testing, critères heuristiques et d’accessibilité, tracking et analytics…). Ces derniers ont permis de donner naissance à certaines règles d’or pour s’assurer d’une expérience simple, utilisable et comprise par toutes et tous.
Ces normes standardisées, si elles permettent un parcours fluide qui répond aux besoins des utilisateurs, donnent lieu à des interfaces qui se ressemblent de plus en plus. Il suffit de regarder les sites web ou les applications mobiles de différents acteurs d’un même secteur (par exemple, pour la livraison de repas à domicile, les VTC ou encore les cosmétiques) pour s’en rendre compte : la différence de marque n’est plus perceptible. En réduisant ainsi les marques à des logos interchangeables, les notions d’adéquation ou de fidélité à une marque n’existent plus. Or si les expériences se ressemblent, c’est que les marques disparaissent progressivement derrière des experts de l’UX qui ne se soucient que des seuls utilisateurs.
Connexion émotionnelle
Il y a de quoi s’interroger : ces bonnes pratiques sont-elles vraiment les ingrédients de la recette miracle de l’expérience de marque ? Rien n’est moins sûr. L’expérience est avant tout l’incarnation d’un positionnement de marque, fort et ancré dans le quotidien des utilisateurs et des clients. Cette promesse doit prédominer, de sorte à assurer une expérience qui dépasse son rôle d’utile et d’utilisable pour rechercher une connexion émotionnelle entre la marque et son audience.
Plus que tout, l’émotion gouverne nos instincts. 95% des décisions que prennent les individus se font de manière émotionnelle, selon une étude publiée par le professeur Gerald Zaltman, de la Harvard Business School. En parallèle, les expériences guident nos choix, et ce, dans un espace-temps de plus en plus restreint (en moyenne 8 secondes) et face à une sollicitation massive (plus de 3 000 informations par jour). L’expérience et les marques ont donc un but commun : faire vivre des émotions à leur audience. Si l’on sait que la connexion émotionnelle entre un utilisateur et une marque augmente sa valeur, le «design émotionnel» dont on parle ici reste difficilement quantifiable.
Néanmoins, plusieurs dispositifs existent aujourd’hui pour faire de l’émotion un critère mesurable. D’une part, l’immersion émotionnelle via un système de bracelet connectée qui, en prenant en compte plusieurs indicateurs tels que le rythme cardiaque, la sudation ou encore l’ouverture des pores, va permettre de mesurer l’émotion ressentie par l’utilisateur tout au long de son parcours. D’autre part, le test émotionnel via un casque cognitif qui, en mesurant les différentes ondes cérébrales, va permettre de connaître les moments ayant suscité des pics d’émotions, de différents ordres (stress, engagement, relaxation, excitation, intérêt, lassitude…).
Nouvelle relation intime avec les marques
Pour bien comprendre les données émanant de ces dispositifs sous le prisme des enjeux d’une marque, il est essentiel de procéder en plusieurs étapes : expliquer les variations d’ondes par les performances cognitives et les intensités, mapper les performances cognitives par la catégorisation des performances en composantes émotionnelles et, enfin, considérer des verbatims par une analyse sémantique émotionnelle issue d’entretiens complétant l’enregistrement électroencéphalographique. Synthétiser l’ensemble de ces données permettra alors de comprendre l’expérience émotionnelle globale ainsi que les événements marquants au cours du parcours utilisateur.
Cette approche, couplant technologie, planning stratégique et recherche utilisateur, place les émotions au cœur même de la réflexion, de sorte à favoriser le lien émotionnel total et complet entre marques et individus. En prenant du recul sur ce qu’elle souhaite faire ressentir à son audience, une marque est ainsi en mesure de prototyper différentes interfaces avant de les tester. Nourrie par les données (déclaratives, transactionnelles, comportementales et émotionnelles), elle pourra ainsi créer des expériences qui génèrent des émotions au travers de l’ensemble de son écosystème de marque.
En ce que le canal émotionnel est le premier déclencheur d’une nouvelle relation intime avec les marques, il devient donc essentiel de penser un «design d’expérience» pour permettre aux individus qui composent l’audience d’une marque – considérés en tant qu’êtres humains avant d’être des utilisateurs ou des consommateurs – d’atteindre leurs buts en leur faisant vivre des émotions intenses.