Tout vient à point à qui sait entendre. Lancée en 2014 aux États-Unis avec Amazon Echo, suivie de près par Google en 2016 avec Nest, l'enceinte connectée n’est arrivée qu’en 2018 en France. «Le marché a progressé très rapidement pour atteindre son plafond dès 2019, observe Pierre Geismar, responsable de l’expertise Market Intelligence High-Tech pour GFK, avec 1,15 million de pièces vendues cette année-là.» La hype s’est-elle effondrée ? «En 2020, le marché a connu son premier recul de 6 points, avec seulement 1,05 million de pièces sur l’année. Mais ce n’est pas un effondrement des ventes», tempère le spécialiste. Un chiffre n’est qu’une voix parmi d’autres, et ne représente nullement le cœur de la vérité. En creux, les usages se façonnent, de redessinent. Et peu à peu, un nouveau monde de l’assistant vocal apparaît à l’horizon.
«Nous avons atteint un plafond, alors qu’on est loin d’avoir équipé tout le monde: pourquoi? s’interroge Cassandra Viennot, consultante Consumer Intelligence pour GFK. 80% des consommateurs ne sont pas intéressés. L’assistant ne répond pas à un besoin connu chez eux.» Après une course à l’échalote en termes de posture, la hype est tombée. «Les marques ont voulu rapidement se positionner, travailler leur image, en arrosant les journalistes de communiqué de presse. Mais aucune n’avait une vraie stratégie derrière, c’était du vent», reconnaît Yvon Moysan, directeur académique du master en apprentissage Digital Marketing et Innovation à l'Ieseg School of Management et co-auteur de La Révolution des assistants vocaux : Comprendre les enjeux et réussir ses stratégies marketing.
Effet confinement
Mais les choses changent. Amazon France a vu l’utilisation de ses appareils croître en 2020. «Cette augmentation est mécanique, car la population a passé plus de temps à domicile du fait des restrictions sanitaires, indique Philippe Daly, directeur général Alexa France. Les consommateurs sont allés plus en profondeur dans la découverte des usages et de l’appréhension de la voix. Exposés plus souvent à leur appareil, ils ont commencé à l’utiliser de manière plus fréquente.» Le géant a observé une hausse de 80% des requêtes vocales de contenu sur sa FireTV et sur Echo Show l’année dernière. Et ce serait peut-être ici, un des signes du changement. Car «lorsqu’on regarde les consommateurs qui sont équipés et les usages qu’ils en font, on se rend compte qu’ils sont encore très basiques, ils ne profitent pas des innovations : ils écoutent surtout de la musique», ajoute Cassandra Viennot. Au risque de se lasser. «En un an, l’écoute de [sa] musique via un assistant vocal a chuté de 20 points quand près de deux consommateurs sur trois souhaitent utiliser le contrôle vocal, précise Miriem Gout, consultante IT pour GFK. Mais un sur quatre l’utilise pour interagir avec ses équipements Smart Home, en hausse de 6 points. ». Les usages évoluent très vite. Et les marques doivent le prendre en compte.
Celles-ci ont peut-être aussi épuisé l’îlot des irréductibles early adopters. «Les deux plus gros marchés sont ceux de la population plus âgée et des jeunes, expose Yvon Moysan. Les 25-55 ans ne sont pas concernés de prime abord, alors que c’est la génération la plus intéressante en termes de pouvoir d’achat.» Et celle que les marques ont davantage visée. «Mais cette génération est plus classique. Elle tape avec ses doigts, sur des ordinateurs, des smartphones... Et reste plus compliquée à convaincre sur le vocal», pointe-t-il. C’est là tout l’enjeu des marques: ne pas la considérer comme acquise. « Elles doivent apporter assez de valeurs ajoutées pour les faire passer de l'usage classique de l’écrit à la voix. Ça s'est déjà fait, quand cette même génération a basculé du texte à l’image et à la vidéo», analyse l’auteur.
Gamme développée
Le changement pourrait arriver. D’une part, l’écosystème grandit, en termes d’agences et de start-up. D’autre part, les gammes s’étoffent. Amazon compte désormais une douzaine d’appareils en France. Idem chez Google, qui vient de lancer son Nest Hub 2, en réponse à l’Echo Show 10 du géant de l'e-commerce. Ces modèles intègrent un écran, comme le Portal de Facebook, pour mixer les usages. «La voix donne un accès plus simple à l’ensemble des contenus, permet de multiplier les tâches, de minimiser les gestes», décrit Philippe Daly.
«Au CES de 2020, tous les fabricants d’objets connectés avaient intégré de l’assistance vocale, se souvient David Bchiri, partner à San Francisco de Fabernovel. Du barbecue à la brosse à dent. Et l’une des grandes questions, c’était comment une marque pouvait choisir une des plateformes comme partenaire. Avec qui s’associer ?» Dilemme insolvable pour les fabricants: tant qu’aucun standard n’émergeait, choisir un géant revenait à exclure les autres. «Mais dans le cadre du consortium autour du protocole ZigBee permettant l’échange entre les objets connectés, un nouveau protocole d’interopérabilité baptisé “thread” a vu le jour fin 2020. Tous les objets vocaux pourront se parler.» Loin d’être anodine, cette transformation aidera le marché à s’accélérer. Toute la domotique pourrait en profiter. «Les consommateurs français sont prêts à une adoption concrète des équipements Smart Home, plus orientée domotique et commande vocale que pour de seuls usages de divertissement», indique GFK. «Le catalogue des services ne dépend pas d’Amazon, Google et autres. La standardisation du marché ouvre les portes à de nouvelles choses», s’enthousiasme Bastien Lecher, consultant pour Fabernovel.
La diversification des usages est en marche. On parle d’un rapprochement entre la start-up d’enceintes Sonos et Apple. éditeurs, médias, banques, après des coups d’essai, se structurent pour lever les frictions. Idem pour le «vocal gaming» avec des «escape game» à faire chez soi, contre son assistant vocal. Seul frein ? Les données personnelles. «Les marques vont devoir redoubler de précaution car l’inquiétude des Français sur la sécurité de leur donnée est grandissante. C’est le deuxième frein à l’achat d’un assistant vocal, en hausse de 5 points sur un an. D’autant que ce souci de protection est deux fois plus important chez les millennials», indique GFK. À bon entendeur.