Automobile
Nommé président de Mazda France en juin 2020, Laurent Thézée revient sur les enjeux de la marque après une année marquée par la pandémie et le recul des ventes.

Vous venez de terminer de former votre équipe dirigeante : quels vont être les grands axes de votre stratégie ?

Nous sommes focalisés sur la montée en gamme. Nous empruntons au premium sur tous les piliers stratégiques : les produits, l’expérience client, le réseau et la communication. L’autre axe est de proposer une offre multi-solutions avec du thermique, de l’hybride et de l’électrique et d’assumer ce positionnement. En parallèle nous visons la neutralité carbone d’ici 2050. Enfin nous sommes focalisés sur la fidélisation client et le parcours digital.

 

Montée en gamme, électrification… Tous les constructeurs généralistes misent sur ces aspects : comment se différencier de la concurrence ?

En effet, il y a cette tendance de fond, qui est poussée par la réglementation, mais cela ne nous empêche pas de garder notre ADN Mazda. La marque a fêté ses 100 ans en 2020 et s’est toujours différenciée. Si l’on regarde les cinq-six dernières années, le prix de vente a augmenté de 40% ce qui est beaucoup plus que le marché. Cette hausse est liée à l’arrivée sur le marché de véhicules fortement équipés et à la montée des SUV dans la gamme. Nous allons continuer à concilier électricité et originalité pour nous démarquer comme avec la MX30 et ses portes antagonistes - un beau clin d’œil à la RX8 - ou le recours au liège qui est lié à notre histoire de fabricant de bouchons.



Quelle est la présence de Mazda en France et allez-vous l’accentuer, par exemple au travers d’une distribution digitale ?

Nous prévoyons d’écouler 12 500 voitures en 2021 ce qui représente 0,7% de parts de marché, avec 73% de véhicules électrifiés. Bien entendu toute la France n’est pas couverte et nous en sommes parfaitement conscients. Nous investiguons dans le Nord, près de Dunkerque, Boulogne-sur-Mer et en petite et moyenne couronne parisienne pour renforcer notre réseau qui compte 106 points de vente. Nous n’avons pas l’intention d’aller dans Paris mais de ceinturer la ville. Quant au digital, il doit être au service de notre réseau, mais pas le remplacer pour faire de la vente directe en ligne.

 

Craignez-vous l’arrivée de nouveaux entrants sur le segment des SUV électriques comme le chinois Aiways, qui propose près de 400 km d’autonomie pour 40 000 euros ?

Mazda n’est pas du tout sur le même créneau. Notre segment est celui de la deuxième voiture du foyer, visant les CSP+ avec une voiture qualitative et originale. La course à l’autonomie n’est pas notre crédo. Il n’y a pas besoin d’avoir une grosse batterie pour le deuxième véhicule. Notre philosophie est le « plug and drive » qui permet d’avoir un véhicule avec un prix adapté.

 

On voit bien que ce positionnement est une réponse marketing à une contrainte technique… Mais lorsque la technologie permettra d’avoir de l’autonomie pour moins cher, garderez-vous le même discours ?

Notre objectif est la neutralité carbone en 2050. Si l’empreinte écologique est plus importante avec davantage d’autonomie, nous n’investirons pas ce créneau. Plus d’autonomie, c’est une plus grosse batterie, plus de poids et moins d’agilité. Or le plaisir de conduire fait aussi partie de notre ADN.



Mais tout de même, revendiquer une faible autonomie semble contre-intuitif alors que c’est, avec le prix, le principal point de crispation des clients vis-à-vis de l’électrique…

Oui, pour les clients non-électriques. Mais pour ceux qui ont déjà passé le premier en adoptant une voiture électrique, ils ont dépassé cette barrière de l’autonomie et de sa variation selon la température et l’intensité d’usage. Ils savent que la voiture correspond à leurs usages. En cela, la MX30 leur est parfaitement adaptée car elle permet de se recharger facilement en ville ; mais quand il faut faire de longs trajets, le parcours est plus chaotique.

 

Vos investissements médias ont drastiquement fondu en en 2020 (11 millions d’euros vs 28 millions en 2019 selon Kantar) : est-ce directement lié à la crise ? Allez-vous les relever ?

Nos investissements ont diminué de manière significative mais il y a un point que vous ne devez pas oublier : Mazda est l’un des derniers constructeurs indépendants ! Nous finançons seuls nos investissements d’entreprise, de développement produit. En temps de crise, nous avons donc une attention particulière aux médias car en parallèle, nous devons maintenir notre R&D. Il y a donc des arbitrages. Néanmoins nous restons présents sur deux types d’investissement, la notoriété et le parcours client, que nous adressons avec deux leviers : la TV et le digital. Sur l’un, nous travaillons par exemple sur le sponsoring de séries et téléfilms avec Canal+. Pour l’autre, nous aurons bientôt la possibilité de prendre rendez-vous en ligne pour une prévente.

 

Qu’est-ce que la crise a changé dans votre façon de vendre des voitures ?

Elle nous conduit à améliorer notre parcours digital et à développer de nouveaux outils, par exemple pour générer des leads vers le vendeur afin d’indiquer le moment le plus opportun d’une relance commerciale. Nous sommes également en train de finaliser notre plateforme de présentation de nos véhicules en virtuel. Bientôt vous pourrez assister en petit groupe dans un studio virtuel à une présentation en ligne avec un « product genius ». La crise a aussi affecté nos ventes de 29% en 2020, comparé à 2019, à 8 889 voitures vendues alors que le marché a reculé de 25,4%. Mais il n’y a pas eu de répercussion sur l’emploi en France, où nous employons 51 personnes.

 

Les financements sont toujours plus nombreux. Confirmez-vous cette tendance ?

Oui, chez Mazda 75% des ventes font l’objet d’un financement et parmi elles, 85% sont des location longue durée (LDD) à particulier. C’est un phénomène énorme qui correspond bien à notre parcours et permet de fidéliser le client. La tendance continue d’évoluer et c’est très bien car c’est plus premium : on ne parle plus de remise mais de budget. Nous évacuons les discussions de marchands de tapis qui ne nous permettent pas de rivaliser avec certaines marques. Nos clients ont en moyenne 54 ans contre 58 pour le marché.

 

Tous les constructeurs forment de grandes alliances pour supporter les coûteux investissements dans l’électrique : quid de Mazda ?

Effectivement, dans un monde en pleine mutation, nous avons eu des accords capitalistiques avec Toyota sur des technologies et une usine en Alabama en cours de construction. Sur les batteries, nous travaillons avec Panasonic. Quant aux voitures autonomes, nous menons des tests mais la vision de Mazda est plus de voir cela comme un copilote qu’un autopilote.

 

Allez-vous piocher dans les portefeuilles de start-up en vogue comme Rivian ou Pony AI afin de faire un bon en avant dans l’autonomie ?

Une veille est faite au Japon, tout ce que je peux dire est que ces sujets retiennent leur attention.

 

Pour éprouver les nouvelles technologies et en vanter les attributs, quel est le rôle de la compétition ? Quid d’un retour aux 24 Heures du Mans ?

J’en serais ravi car c’est une passion, et cela a réussi à Mazda avec une seule participation en 1991 et une victoire avec la 787B n°55 et son mythique moteur rotatif. Mais comme vous le savez, la compétition coûte cher et n’est pas d’actualité car nous mettons l’accent sur le développement des produits et des technologies. Après, le sport auto fait aussi partie de l’ADN de Mazda – la MX5 est la voiture la plus utilisée au monde en compétition - donc il ne faut jamais fermer la porte, mais je n’ai pas de visibilité sur un programme.

 

Vous fêtez les 10 ans du Kodo design : est-il prévu pour durer et est-il adapté aux nouvelles aspirations des clients ? Voyez-vous un retour du design rétro, comme illustré récemment par la Renault 5 ?

Cela caractérise bien notre identité depuis 10 ans et il y a une rançon du succès car l’un des premiers critères de nos clients est le design. On ne va pas changer une équipe qui gagne. Le Kodo design va évoluer vers la 7e génération avec toujours une pureté des lignes et une réflexion sur la lumière. Quant au rétro design, ce n’est pas un axe que nous exploitons mais comme pour les 24 Heures du Mans, ne fermons aucune porte.

 

Est-ce que Mazda prévoit de réinterroger ses agences Wunderman Thompson et Mindshare et quelle sera la marge de manœuvre marketing pour le marché français à l’avenir ?

Ce n’est pas à l’ordre du jour à ma connaissance. Ce partenariat se joue à l’échelle internationale. En France, la marge de manœuvre se trouve dans l’orchestration de nos campagnes TV et digitales, la production digitale et le sponsoring TV. Nous utilisons aussi des leviers programmatiques, les réseaux sociaux et l’influence. Notre marge de manœuvre est suffisante.

 

Quel regard portez-vous sur l’avenir de l’automobile ?

Nous vivons une époque passionnante. Le secteur va connaître plus de changements dans les 10 prochaines années que depuis ses débuts avec les nouvelles énergies, la connectivité et l’autonomie. Je pense que nous avons besoin de garder nos libertés individuelles et que la voiture y contribue : hors-agglomération, 70% des Français prennent leur voiture pour se rendre à leur travail dans un rayon de 5 à 30 km. Nous voyons aussi que la voiture se réaffirme avec la crise sanitaire. Avec le LLD, nous observons aussi que les clients s’habituent à l’idée de ne pas être forcément propriétaires.

 

Comme vous le dites, la voiture individuelle reste plébiscitée lorsqu’on ne vit pas dans un centre urbain bien fourni en transports en commun, mais d’un autre côté, beaucoup de constructeurs comme vous veulent monter en gamme et ils se tournent vers l’électrique. Ces deux tendances font monter la facture alors que l’âge moyen d’achat d’un véhicule neuf est déjà bien avancé (58 ans). Demain, qui achètera encore des voitures ?

L’électrique n’est pas pour tout le monde ni pour tous les usages, c’est pour cela que chez Mazda, nous proposons une offre multi-solutions.

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