«Nous n'avons pas de réunions pour savoir comment on va avec la pandémie, mais nous avons des réunions obligatoires pour nous expliquer à quel point les syndicats sont mauvais pour nous et pour l'entreprise», s'indigne Joseph Jones, un ouvrier à mi-temps interviewé par l'AFP.
Les quelque 5 800 salariés de l'entrepôt de Bessemer sont appelées à envoyer leur bulletin par voie postale d'ici le 29 mars, après des mois de mobilisation de certains salariés pour organiser ce scrutin. Si la syndicalisation l'emporte, ils ouvriraient potentiellement la voie à des centaines de milliers de salariés américains du groupe technologique dont l'importance et la puissance ont été renforcées par la pandémie, qui a accentué le recours aux commandes de produits et aux services de cloud (informatique à distance).
Amazon est le deuxième plus important employeur aux États-Unis, avec 800 000 personnes, principalement des ouvriers et techniciens dans ses centres de logistique. Jusqu'à présent, les tentatives de syndicalisation dans les entrepôts ont échoué. Le groupe de Seattle ne s'oppose pas officiellement aux syndicats, mais mène campagne contre eux. Dans le cas de Bessemer, des affiches dans les toilettes et un site web baptisé «Faites-le sans les cotisations» (DoItWithoutDues) encouragent les employés à ne pas adhérer à un potentiel syndicat.
Relation abusive
«Pourquoi payer 500 dollars de cotisation? Nous prenons soin de vous avec des salaires élevés, l'assurance santé, les bénéfices pour les soins optiques et dentaires ainsi qu'un comité en charge de la sécurité et un processus pour les recours», clame la page d'accueil. «Dans les réunions, ils nous disent qu'ils ont fait des recherches, que les syndicats dépensent tant en véhicules de fonction, qu'ils dépensent l'argent de façon frivole et que ce sont des business ! Comme si Amazon était une organisation caritative...», raconte M. Jones. «C'est un peu comme une relation abusive, où l'agresseur dirait "je suis désolé, je vais mieux faire, personne n'est parfait, nous n'avons pas besoin d'un tiers qui se mette entre nous"». Cet ouvrier de 35 ans espère que les pro-syndicats vont l'emporter pour que les employés aient une «voix au chapitre» et un «pouvoir de négociation» sur les conditions de travail, «comme dans l'Union européenne».
L'entreprise rappelle cependant qu'elle paye ses salariés plus du double du salaire minimum dans l'Alabama. «Nous avons ouvert ce site en mars 2020 et depuis nous avons créé plus de 5.000 emplois à temps plein à Bessemer avec des salaires qui débutent à 15,30 dollars de l'heure», a souligné Heather Knox, une porte-parole du groupe, la semaine dernière. «Nous travaillons dur pour soutenir nos équipes et plus de 90% de nos collaborateurs de Bessemer disent qu'ils recommanderaient Amazon comme lieu de travail à leurs amis», a-t-elle ajouté.
Soutenus par Bernie Sanders
Si la majorité des employés se prononce en faveur de la syndicalisation, ils seront automatiquement représentés par le syndicat de la distribution RWDSU, mais n'en deviendront membres à part entière qu'après l'approbation d'un nouveau contrat d'entreprise, négocié entre le syndicat et la société. Le groupe de Jeff Bezos, l'homme le plus riche du monde au coude à coude avec l'entrepreneur Elon Musk, avait décidé un salaire minimum de 15 dollars par heure pour tous ses employés aux Etats-Unis, une mesure alors saluée par le gouvernement et les syndicats, après des mois de critiques et de pression politique. «Pour moi, cela prouve qu'ils ont les moyens et ça démontre le pouvoir des négociations collectives», a commenté M. Jones. Plusieurs manifestations et grèves de faible ampleur ont été organisées au début de la pandémie pour demander de meilleures protections sanitaires et compensations financières. Mardi 9 février, Amazon a accepté de payer 61,7 millions de dollars pour mettre fin à des poursuites dans une affaire de pourboires non versés à des livreurs indépendants. «On ne peut pas trop insister sur l'importance qu'aurait la formation d'un syndicat par les travailleurs d'Amazon dans l'Alabama», a tweeté l'ex-candidat à l'investiture démocrate Bernie Sanders samedi. «Ils font face à de puissantes forces anti-syndicalisation dans un Etat anti-syndicats, mais leur victoire bénéficiera à tous les travailleurs aux Etats-Unis. Je suis fier d'être à leurs côtés», a-t-il ajouté.