Un prix en dit souvent plus qu’un long discours. En décrochant fin novembre l’or dans la catégorie « communication produits de médication familiale » à l’occasion du Festival de la communication santé de Deauville, Mylan a vu son originalité récompensée. Avec un film mettant en scène façon Walt Disney une cuvette de toilette éplorée car délaissée, la société américaine a réussi à mettre en lumière son médicament antidiarrhéique Tjorfast tout en s’appuyant sur un ressort -l’humour- peu ou pas exploité en règle générale dans le secteur de la santé. Un constat qui s’applique tout particulièrement aux médicaments, dont la promotion vire souvent à l’uniformité, entre mentions obligatoires à rallonge et représentations simplistes des bénéfices associés. Sans même parler de la difficulté intrinsèque consistant à communiquer autour de sujets aussi peu « vendeurs » que les hémorroïdes, le nez qui coule ou d’autres pathologies plus sérieuses. Mais cette difficulté intrinsèque est-elle la seule explication ?
Ressorts limitatifs
Le secteur ne serait-il pas simplement timoré à l’excès ? « Personne n’a décrété que parce que c’est réglementé, la publicité doit être médiocre. Des marques comme Merchurochrome, Upsa ou Urgo ont su se démarquer. Le problème ne vient pas des annonceurs, il n’y a pas plus de trouillards dans ce métier qu’ailleurs », balaie d’emblée Philippe Huot-Louradour, nommé récemment european technology&innovation lead du réseau Havas Health&You. Qui reconnaît tout de même que « les acteurs de la santé ne peuvent pas utiliser les mêmes ressorts intentionnels, provocateurs ou humoristiques que dans la plupart des secteurs d’activité ». Et que l’on ne s’y trompe pas. En matière de publicité santé, il y a les médicaments et les autres. « Le secteur du médicament est le seul où subsiste un visa administratif », confirme Stéphane Martin, directeur général de l'ARPP (Autorité de régulation professionnelle de la publicité), organisme notamment chargé des avis de diffusion pour toute publicité télévisée. C'est ce que constate également au quotidien Béatrice Bueno, directrice générale adjointe en charge du développement de l’activité beauté et lifestyle de l’agence La Nouvelle, qui compte Avène parmi ses clients. « Nous avons le sentiment de travailler assez librement avec les acteurs dermocosmétiques que nous accompagnons dans leur communication. Les possibilités sont clairement autres que pour la santé au sens strict du terme, et ce même si les demandes croissantes de naturalité et de réassurance de la part du public peuvent expliquer que l’objectif premier soit actuellement de rassurer. Cela laisse peut-être moins de latitude à la créativité mais il n’y a pas forcément tant de restrictions. Il faut surtout veiller à éviter certains écueils comme celui consistant à employer des termes médicaux », juge-t-elle. Signe que basculer sur le terrain médical revient à changer brutalement de décor.
Visas obligatoires
Il faut dire que la réglementation de la communication en la matière, issue du Code de la santé publique (CSP, voir par ailleurs) et dont le contrôle repose avant tout sur l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), est drastique. Et ne permet guère de droit à l’erreur. La publicité pour les médicaments auprès des professionnels de santé -volet dit Rx- est en effet soumise à un contrôle a priori depuis 2012, jurisprudence Mediator oblige. Conséquence : une demande d’autorisation préalable, dénommée visa PM, doit être adressée à l’ANSM par les firmes pharmaceutiques. Dans le même temps, la publicité pour les médicaments auprès du grand public -dit volet OTC- fait aussi l'objet d'un contrôle en amont se traduisant par la délivrance d'un visa, baptisé visa GP, et n'est autorisée que pour les médicaments non soumis à prescription médicale obligatoire et non remboursables par les régimes obligatoires d’assurance maladie. Certes, les vaccins ou encore les produits de sevrage tabagique peuvent faire par dérogation l’objet de campagnes promotionnelles auprès du grand public. Mais on l’aura compris, « le canevas contraignant qui entoure les produits OTC nécessite de bien connaître le filtre réglementaire », appuie Philippe Huot-Louradour. Un prérequis loin d’être suffisant puisque d’autres critères, plus subjectifs, sont scrutés par l’ANSM. La publicité doit ainsi répondre à trois obligations : respecter les dispositions de l’autorisation de mise sur le marché et les stratégies thérapeutiques recommandées par la Haute Autorité de santé (HAS), présenter le médicament de façon objective et favoriser son bon usage, et enfin ne pas être trompeuse ni porter atteinte à la protection de la santé publique. Difficulté supplémentaire : l’établissement public fixe chaque année des périodes de dépôt obligatoires pour les demandes de visas (quatre vagues pour le visa PM et huit vagues pour le visa GP en 2020), sachant qu’il peut refuser la demande en cas de manquements. On imagine sans peine les conséquences économiques d'une campagne reportée voire annulée, surtout en apprenant que respectivement 8% et 11% des campagnes à destination du public et des professionnels ont été refusées en 2019.
Des maux et des mots
Symbole de cette réglementation touffue, une simple prise de parole nécessite une batterie de précautions, de sa conception même jusqu’au choix des mots. Exemple avec la récente campagne des laboratoires Pierre Fabre pour Petit Drill, un sirop préconisé chez les plus jeunes en cas de toux. « On ne peut pas parler de ’’sirop contre la toux’’ mais de ’’sirop pour calmer l’irritation due à la toux’’ », illustre Séverine de Nazelle, directrice générale adjointe chez Makheia, l’agence retenue pour développer la campagne. « C’est un travail qui nécessite une collaboration étroite. À chaque fois qu’on avance significativement, les éléments sont transmis directement au réglementaire côté annonceur », éclaire-t-elle à propos d’une mécanique qui prend parfois des allures de course d’obstacles. Dans les faits, pour éviter d’éventuels ratés, les laboratoires disposent de leur cadre interne. « Du storyboard retenu à la diffusion du film, nous faisons valider chaque étape par notre service réglementaire via un logiciel de traçabilité », acquiesce-t-on du côté des laboratoires Pierre Fabre. De là à refuser des options plus osées ? « Quatre pistes avaient été développées lors du pitch dont une plus créative que le client a apprécié mais pour laquelle il n’a pas opté », indique la directrice générale adjointe. « Nous avons sélectionné la piste qui répondait le mieux à nos objectifs marketing tout en respectant les contraintes réglementaires. L’originalité est une condition nécessaire mais pas suffisante », se défend Pierre Fabre. S’agirait-il alors d’un problème de moyens ? Ou d’une difficulté à conjuguer communication à destination des particuliers et des professionnels ? « C’est d’abord un problème de budget sur le volet BtoC. L’OTC représente environ 5% du montant total de la consommation de médicaments sur le marché français », plaide Philippe Pariente, président de McCann Health France, rappelant que l’Hexagone fait figure d’acteur secondaire vis-à-vis de pays comme l’Allemagne, le Royaume-Uni et surtout les États-Unis, premier marché mondial. Un argument difficile à apprécier dans la mesure où, à l'exception de Pierre Fabre qui affirme disposer d'un « budget média OTC aujourd’hui significativement plus important que le budget Rx », les autres laboratoires interrogés n'ont pas répondu à ces questions jugées « trop stratégiques ». « L’autre élément à prendre en compte est le ticket d’entrée élevé en TV. Miser sur un spot d’une dizaine de secondes dont la moitié sera consacrée à l’énumération des mentions légales n’est pas forcément rentable ou indiqué », souligne Philippe Pariente. Dans ce contexte, dur de s’étonner que les acteurs dominants privilégient la sûreté. « Il n’y a aucune raison de prendre des risques inutiles avec un médicament déjà connu pour lequel un simple rappel suffit à entretenir la notoriété », concède-t-il.
Profils scientifiques
Mais au jeu des économies, un autre risque se fait jour. « La pub est culturelle et rarement universelle. Or, la tentation est grande pour les networks principaux, avant tout américains, de travailler leur communication au global pour la décliner localement. Force est de constater que cela fonctionne mal », relève Philippe Huot-Louradour, qui pointe un autre enjeu. « Les agence santé sont composées de profils scientifiques disposant d’un réel bagage technique, ce qui est logique dans la mesure où 70 à 80% de leur business concerne le Rx. Mais la contrepartie est souvent un déficit en termes de communication et de création. C’est probablement ce qui explique que ces agences ne sont pas les plus sollicitées pour les budgets santé BtoC », poursuit celui pour qui le combat, qui « passe désormais par le digital, la personnalisation et les objets de com endorsés par les laboratoires tels que les applications », est « celui de la créativité et non de la création ». Et de conclure : « La santé reste un domaine à part. Mais sans aller jusqu’à autoriser ce qui se fait sur le marché américain, je ne crois pas à la fatalité d’une pub au rabais pour les médicaments ». Preuve qu’un long discours peut aussi en dire plus qu’un simple prix.
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Chiffres clés
7,8% Pourcentage de refus des dossiers déposés auprès de l'ANSM en 2019 pour la publicité à destination du public (8407 dossiers au total)
10,9% Pourcentage de refus des dossiers déposés auprès de l'ANSM en 2019 pour la publicité destinée aux professionnels de santé (1232 dossiers au total)
2 milliards d’euros Les médicaments non-remboursables ont représenté un marché de 2 milliards d’euros en 2018 d’après le Leem (organisation professionnelle des entreprises du médicament opérant en France), en nette diminution (-4,3%) par rapport à 2017
55,86 milliards d’euros Le chiffre d’affaire global des médicaments (prix fabricant hors taxes) en 2018 d’après le Leem, dont la près de la moitié (49%) à l’export
Médecins et publicité, une éclaircie trompeuse
C’est une décision qui n’est pas passée inaperçue dans le monde de la santé. Début novembre, un médecin, qui contestait le refus des autorités de lui permettre de faire de la publicité, obtient gain de cause devant le Conseil d’Etat, abrogation du texte illégal à la clé. Saluée comme « historique » par les médias, la décision des sages du Palais Royal ouvre-t-elle réellement la voie à la publicité pour les médecins ? « Cette décision correspond à une évolution de la jurisprudence du Conseil d’Etat sous la pression de la jurisprudence communautaire et plus particulièrement au regard de la combinaison de deux décisions de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), un arrêt en date du 4 mai 2017 concernant la règlementation belge et une ordonnance en date du 23 octobre 2018 concernant la règlementation française », éclaire Maître Denis Chalavon, fondateur du cabinet Accent Public. « Il faut comprendre que jusque-là, le Conseil d’Etat considérait que les dispositions du Code de la santé publique ne représentaient pas une interdiction générale et absolue de toute publicité, en ce qu’elles autorisaient tout de même une forme restreinte de publicité. Or, la CJUE a clairement fermé la porte à une telle lecture du texte, ce qui condamne nécessairement ces dispositions au regard de la libre prestation de services », retrace-t-il. Ainsi, c’est désormais une certitude, les dispositions actuelles du Code de la santé publique -qui régissent les conditions d’exercice et donc de publicité des professionnels du secteur- vont évoluer dans les mois à venir. De là à voir les médecins et autres chirurgiens-dentistes pouvoir faire librement la promotion de leurs activités, il n’y a qu’un faux pas à effectuer. « Le Conseil d’Etat avait anticipé cette évolution en publiant une étude en ce sens en mai 2018. Le pouvoir réglementaire était donc déjà au courant et a déjà commencé à travailler sur un projet de révision, et ce avant la décision du 6 novembre dernier », poursuit l’avocat. « Il n’y aura ainsi pas de liberté totale s’agissant de la publicité en matière médicale mais un cadre strict et une réglementation très précise. La jurisprudence de la CJUE permet un tel encadrement, ce que n’a d’ailleurs pas manqué de relever le rapporteur public dans ses conclusions sur la décision du Conseil d’Etat. Les activités de ces professionnels de santé ne s’inscrivant pas dans un champ concurrentiel classique, l’objectif d’intérêt général de bonne information des patients et de protection de la santé publique qui lui est associé permet une atteinte à la liberté de communiquer tant que celle-ci reste proportionnée », complète-t-il. Autrement dit, les médecins ne deviendront pas de sitôt une source de revenus additionnelle pour les agences.