La grande distribution continue de s’enliser. Selon Nielsen qui vient juste de dévoiler ses chiffres, les volumes s’effondrent de 0,8% en 2019, quand la valeur, elle, ne progresse que de 0,8%. Depuis 2016, la croissance en volume n’a pas dépassé les 0,5% sur les produits de grande consommation. Serait-ce la déconsommation qui arrive ? Certes, la consommation est aujourd’hui surveillée de près par les citoyens, et des produits comme le lait ou la viande sont en recul. Le lait de consommation est en baisse de près de 3% selon le média spécialisé LSA, quand en 2019, le chiffre d’affaires de la boucherie traditionnelle diminuait de 2,9%, selon Nielsen.
Et les perspectives ne sont pas au vert, puisque 31% des Français déclarent vouloir réduire leur consommation de viande. Mais en dehors de ces tendances, la loi tirée des États generaux de l’alimentation a aussi eu un impact sur le marché. « En outre, les Français se réorientent aussi vers d’autres circuits de distribution comme les enseignes spécialisées, l'e-commerce ou encore la restauration livrée à domicile pour l’alimentaire. L’argent de la distribution est en grande partie sur le paillasson des gens », explique Yves Marin, associé au cabinet de conseil Bartle. Rien qu’avec les circuits spécialisés (bio, produits frais, surgelés, ou encore les solderies), ce sont près de 500 millions d’euros de croissance qui échappent à la grande distribution, selon Nielsen. La livraison à domicile d’alimentaire via l'e-commerce progresse de 118 millions d’euros par rapport à 2018.
La loi Egalim dans le viseur
Mise en place après des concertations générales, la loi Egalim tirée des États généraux de l’alimentation visait à limiter les promotions sur les produits alimentaires à 34% en valeur et 25% en volume, afin de permettre de mieux rémunérer les producteurs, notamment. Mais un an après, le secteur n’est pas du tout satisfait de cette loi. La promotion, véritable vecteur de trafic en magasin, notamment lorsqu’elle est relayée en prospectus, a pénalisé les enseignes. En outre, la loi a eu des effets pervers. « Nous avons occulté toute une partie des producteurs dont le mix marketing repose sur la promotion. Des PME se retrouvent donc contraintes de réaliser... davantage de promotions, qu’elles doivent d’ailleurs payer de leur poche ! », concède Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques du Sénat dans une interview à LSA. Elle a en outre créé un problème auprès des PME qui ne peuvent pas faire de pub en TV, et pour qui la promotion est le seul levier de visibilité ou de différenciation momentanée. Au total, Nielsen évalue à 836 millions d’euros le chiffre d’affaires perdu en grande distribution du fait de la limitation des promotions. La loi pourrait être modifiée cette année.
De crise en réorganisation
« On remarque qu’en 2019, les questions sociales en grande distribution ont réellement émergé, estime Yves Marin. Elles sont davantage visibles que par le passé. » Après Carrefour il y a deux ans, l’arrivée d'Alexandre Bompard et la suppression de 1200 postes, c’est au tour d’Auchan d’annoncer la disparition nette de 517 postes début janvier, afin de « redresser l'entreprise au plus vite dans un marché très concurrentiel ». Cette fois-ci, les coupes auront lieu dans les fonctions du siège et des produits. Au printemps, l’enseigne avait déjà mis sur le marché 21 sites de vente, en supprimant potentiellement 700 à 800 salariés. En outre, fin janvier, c’est Cora qui annonce avoir perdu 19% de son chiffre d’affaires depuis 2011. En réorganisation permanente, l’enseigne aux 61 hypermarchés a fait signer des avenants aux contrats de travail des salariés, que 1077 ont refusé de signer. Une procédure « d'information-consultation pouvant entraîner des licenciements pour motif économique » a alors été lancée.
La bataille de la com responsable
C’était en juin 2017, Intermarché rompait avec les codes du secteur et dégainait sa lettre d’amour au mieux-manger. Un film long écrit par Romance qui préfigurait une recomposition générale. Septembre 2018 : Carrefour lance avec Marcel son «Act for Food». Plus qu’une campagne, la transposition d’une stratégie d’entreprise. Pour être pris au sérieux, l’hyper joue l’autodérision. Ainsi, Carrefour s’allie à C’est qui le patron, « la marque du consommateur ». Quasiment tous les distributeurs suivront. Chez Auchan, on propose dans la foulée une sélection de 50 produits bio à moins de 1 euro dans un manifesto signé Service Plan. Finalement, tous les distributeurs se mettent à dire la même chose. Système U sort du bois avec TBWA pour rappeler que la coopérative n’a pas attendu la tendance du bio et du local pour s’y mettre, et sort ses films de petits producteurs. Même Michel-Édouard Leclerc voit qu’il existe « vraie demande très forte de manger mieux ». Pour Yves Marin, « les marques sont obligées d’émerger sur le sujet même si c’est très compliqué de trouver un angle concret. Cela leur demande énormément d’énergie et de moyens pour des ROI encore limités ».
David contre Goliath
Casino qui revend les murs de douze hypermarchés, Auchan qui supprime 517 emplois, Carrefour dont les hyper ont ralenti de 2,1% en 2019, ce n’est plus un scoop : le modèle du one stop shopping qui a fait florès après les Trente Glorieuses et l’avènement de la voiture ne correspond plus autant aux nouveaux modes de consommation, plus erratiques et digitaux. E.Leclerc en croissance de 3% en 2019 ? Oui, mais la marge nette de 1,9% est réduite à peau de chagrin. Pendant ce temps-là, Lidl tire son épingle du jeu à la faveur de magasins rénovés, de prix toujours contenus et d’une expérience d’achat plus confortable. Au point d’inspirer son compatriote allemand Aldi qui, selon Yves Marin de Bartle, « a fait un copier-coller de la stratégie de Lidl, qui a cartonné. Les Français ont compris qu’ils pouvaient avoir des produits moins chers sans perdre sur la qualité des magasins. » Le petit format paie.