Il est le chef décorateur favori de Jacques Audiard, grâce auquel il a remporté deux César, l’un pour Un Prophète en 2010, l’autre pour Les Frères Sister en 2019. Michel Barthélémy a œuvré pour le gratin du cinéma français. En janvier dernier, lors du 10e salon des tournages/The Production Forum, il présentait un décor d’un genre nouveau. Fibre de chanvre au lieu de la fibre de verre, papier de roche produit en Bretagne, moins consommateur d’eau que le papier classique, ou encore composé de chanvre et de champignon – le mycélium – pour remplacer le polystyrène… Au final, un décor 100 % écoresponsable. « Notre industrie a du mal à aller dans le sens de l’écoresponsabilité. On ne devient pas vert comme ça », lâchait le chef décorateur en janvier, dans une interview au Parisien.
« Aujourd’hui, Michel Barthélémy est un peu tout seul », déplore Jean-Gabriel Saint-Paul, directeur de production chez Zorba et membre de production de l’Alliance des producteurs de films publicitaires (APFP), en charge de l’écologie. À la mi-janvier, cette dernière initiait une série de groupes de travail pour réfléchir à une question qui, surgie récemment, n’en est pas moins brûlante : l’écoproduction publicitaire. « L’écoproduction, c’est un peu comme l’intelligence artificielle : beaucoup en parlent, peu comprennent vraiment ses enjeux. C’est le mot tendance du moment », remarque Luc Wise, président fondateur de The Good Company.
La production publicitaire, une machine à polluer
Si l’on a la tête farcie depuis plusieurs années par les discours sur le « purpose advertising » et autre communication « woke », on jette un voile pudique sur les conditions de fabrication des campagnes. « Le questionnement se fait de plus en plus pressant depuis deux ans, constate le producteur. Nous nous trouvons devant une montagne à gravir », reconnaît Jean-Gabriel Saint-Paul.
Car la production, machine à rêve, est aussi une machine à polluer. « L’industrie est très consommatrice d’énergie, relève Juliette Desmarescaux, productrice chez Grand Bazar. Si on prend Londres, très active dans la production de films, l’on voit que le bilan carbone dégagé est équivalent à celui d’une ville de 20 000 habitants… ». Premier poste polluant : les déplacements. « Si l’on veut montrer des gens qui pique-niquent en plein air, et que l’on doit tourner en décembre, on est tenté de choisir l’Afrique du Sud… », souligne la productrice. L’Afrique du Sud, dont l’industrie, comme le résume Maxime Boiron, président de TBWA Else, « est très compétitive, très pro, avec très peu de décalage horaire », est en effet une destination star de la pub : la dernière publicité Euromillions (Romance), qui montre un groupe d’amis bobos sur le ponton d’un point d’eau tout sauf exotique, y a été tournée. Également sur le planisphère publicitaire, en son temps, Buenos Aires pour ses bâtiments haussmanniens semblables à ceux des rues de Paris, et aujourd’hui davantage l’Ukraine, la Slovénie, la Lituanie, dont le choix est motivé, de l’aveu de tous, par une question de coût.
Le nerf de la guerre, il est – comme souvent – bel et bien là. « Sur un budget de 200 000 euros, si l’on veut tourner en France, la différence peut se monter entre 40 000 et 50 000 euros », remarque Jean-Gabriel Saint-Paul. « La pression économique est corrélée au temps dont on dispose. Vouloir adopter une démarche écoresponsable, c’est un vœu pieux, puisqu’on nous accorde de moins en moins de temps », regrette Maxime Boiron.
D’autant que de mauvaises habitudes ont été prises dans le secteur, comme le relate Luc Wise, président-fondateur de The Good Company : « Pendant longtemps, sur les tournages prédominait une sorte de culture TV, où on se bourrait la gueule sur le lieu de tournage et on partait en laissant tout traîner… ». Show-business ! « L’univers de la pub réagit souvent dans l’immédiateté, indique Alison Begon, responsable du pôle publicité chez Secoya Eco Tournage. L’argent est dépensé à outrance, la plupart du temps les projets sont faits dans l’urgence et entraînent beaucoup de gâchis, notamment avec la nourriture. »
Pour autant, sur les tournages des années 2010, la philosophie n’est plus dans le « après moi le déluge ». « On utilise de moins en moins de bouteilles en plastique, on essaie de faire appel à un “catering ” [restauration] bio, on utilise des LED pour l’éclairage, on n’imprime plus les booklets… », énumère Juliette Desmarescaux.
Pour le reste, les protagonistes se renvoient la balle. À qui la responsabilité ? À la production ? À l’agence ? Ou bien à l’annonceur ? Chez BETC, on essaie de limiter la casse collectivement. « On a lancé en 2018 un programme Solidarité Climat, avec Havas Paris et Havas Event, explique Valérie Richard, responsable RSE de BETC. Nous produisons des centaines de films par an… Nous calculons l’équivalent CO2 de nos “prods”, puis nous proposons aux annonceurs de compenser les émissions de carbone. L’argent récupéré est reversé à un organisme certifié, Pur Projet, qui œuvre pour la reforestation. » Après des années d’inconséquence, « on sent un gros élan dans le monde de la pub, remarque Alison Begon. Élan qui vient principalement des annonceurs, en accord avec leur politique RSE. » « Historiquement, des annonceurs comme La Poste ou La Sécurité routière ont toujours tenu à tourner en France », note Juliette Desmarescaux. C’est loin d’être la norme. Pourtant, l’Union des marques a récemment inscrit dans la liste FAIRe 2020 de la communication plus responsable, la « production audiovisuelle raisonnée ».
De leur côté, les agences et les maisons de production adoptent une démarche de plus en plus volontariste : « À l’occasion d’un film publicitaire, notre agence encouragera l’annonceur à tourner en Europe, sinon en France, affirme Luc Wise. Récemment, nous avons remporté un appel d’offres pour une société d’assurance. Nous devions tourner en Estonie pour finalement choisir la Belgique. Certes, le devis était un peu plus cher mais le bilan carbone était divisé par deux. » « On peut essayer de proposer systématiquement deux devis, d’explorer à chaque fois deux pistes, une piste “Ukraine” et une piste “France”, suggère Jean-Gabriel Saint-Paul. Ce qui est sûr, c’est que la production ne peut pas prendre en charge 100 % de la démarche. Qui paie à la fin ? À un moment, il va falloir partager la facture. » Si le sujet avance laborieusement dans les esprits et dans les faits, c’est que, selon le producteur, « la production reste nébuleuse… C’est la cuisine de la pub, qui n’intéresse pas le grand public, donc pas un sujet de façade pour les annonceurs… »
Être cohérent sur toute la chaîne
Lesquels seraient pourtant bien inspirés de s’emparer du sujet. « Le fond et la forme sont difficilement séparables. Les annonceurs doivent être cohérents d’un bout à l’autre de la chaîne, des mots qu’ils emploient à la façon dont ils le font concrètement. Ils ne peuvent pas être écoresponsables et mauvais sur le message », estime Valérie Martin, cheffe du service mobilisation citoyenne et médias de l’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie). En ligne de mire, les campagnes qui poussent, plus ou moins insidieusement, à la surconsommation. Selon l’Ademe, c’est le cas par exemple d’une campagne de Cdiscount de janvier 2018. Parmi les visuels incriminés, une affiche montrant le cerveau de quelqu’un qui s’interroge devant un nouvel ordinateur : « Mon vieil ordinateur fonctionne encore… mais un accident est si vite arrivé. » « La surconsommation dans la publicité doit être questionnée », expliquait alors l’Ademe, qui vient de publier un Guide de la communication responsable.
Sans doute faut-il encore, selon l’expression consacrée, laisser du temps au temps, comme le préconise Maxime Boiron de TBWA Else : « Il y a toute une éducation à refaire… ». Jean-Gabriel Saint-Paul ne dit pas autre chose : « Nous sommes au début de notre réflexion, notre rôle sera de plus en plus concret… Mais la production ne pourra pas porter ce combat seule. » D’autant qu’en l’espèce, le temps est compté…
Un rôle à jouer
En tant que supports de publicité, certains médias s’engagent déjà dans le mouvement de transition écologique. JCDecaux par exemple, qui couvre désormais 100 % de ses consommations d’électricité en France grâce aux énergies renouvelables, a pris un certain nombre de mesures afin de réduire son empreinte carbone : écoconception des mobiliers, équipement en LED, compensation par l’achat de certificats d’électricité verte… « C’est un challenge d’offrir une cohérence entre le contenu publicitaire et le média qui l’affiche. L’impact environnemental devient un avantage concurrentiel », estime Carole Brozyna Diagne, directrice du développement durable et de la qualité de JCDecaux, qui a réduit ses émissions de gaz à effet de serre de 33 % en 2018, à 96 000 tonnes équivalent CO2.
Même volonté du côté de Clear Channel France. « En plus de mesures d’optimisation, comme l’utilisation de capteurs de luminosité, nous proposons aux municipalités de compenser nos émissions par la plantation d’arbres », raconte Jérôme Dumont, directeur du marketing stratégique et de la transformation digitale.
Films écoresponsables. Du côté des chaînes télé, TF1 Factory, la structure de production publicitaire du groupe TF1, a réalisé en 2019 au moins 120 films produits de manière écoresponsable. « Nous voulons inciter les annonceurs à être dans une démarche d’écoconception, par exemple pour la réalisation de leurs billboards. Mais notre rôle est surtout d’expliquer aux annonceurs les possibilités qui s’offrent à eux », souligne Sylvia Tassan Toffola, directrice générale de TF1 Pub. De son côté, FranceTV Publicité propose à ses annonceurs un arrondi solidaire lors de la réservation de leur campagne. « Notre régie a cette expérience de collecte pour les grandes causes, que ce soit au moment du Téléthon ou aujourd’hui avec l’arrondi solidaire », explique Marianne Siproudhis, directrice générale de la régie.