Plus de 10 millions de vies ont été brisées entre 1914 et 1918, durant la Première Guerre mondiale. C'est pour rendre hommage aux hommes et aux femmes qui ont traversé cette éprouvante période du 20ème siècle que l’Historial de la Grande Guerre, situé à Peronne, dans la Somme, s'est lancé dans ce projet de reconstitution du « visage inconnu », grâce à un algorithme qui a superposé des dizaines de milliers de photographies d’époque. « Ces gens-là n’ont pas choisi de mourir pour leur pays. C’était un beau symbole que ce visage inconnu représente toutes les victimes. Parmi elles, il n’y avait pas que des soldats, il y avait aussi des civils », explique Olivier Lefebvre, président de l'agence créative FF Paris, à l’origine de ce projet. Celle-ci a été choisie sans appel d’offre, elle a été la seule à être sollicitée. « Nous avons parlé de cette idée que nous avions en tête depuis un moment à Hervé François, le directeur de l’Historial de la Grande Guerre. Par la suite, il y a eu un grand mouvement de mobilisation pour qu’elle puisse voir le jour », se souvient Olivier Lefebvre.
La principale difficulté a été de collecter des clichés, sachant qu’il n’y avait pas d’appareils photo dans les tranchées. « Seuls les médecins militaires en avaient, mais ne se déplaçaient pas toujours avec. Grâce à l’algorithme, nous avons pu reconstituer des visages à partir de photos de profil ou de trois quarts », ajoute le président de FF Paris. Le visage qui est ressorti de la superposition de tous ces portraits est très touchant. Il a été dévoilé le 11 novembre 2018 à l’Historial de la Grande Guerre, sous la forme d’une œuvre numérique. Les visiteurs étaient invités à parcourir 30 000 visages de personnes emportées dans le terrible tourbillon de la Première Guerre mondiale.
Un morphing évolutif
Pour inscrire cet hommage dans la durée, une plateforme interactive a également été créée. Ce site participatif a vocation à fédérer les contributions mémorielles collectives et individuelles, et il peut être enrichi de nouveaux portraits. Grâce à la technique du morphing, le « visage inconnu » se trouve ainsi modifié. Mélanger les technologies d’aujourd’hui avec l’histoire d’hier : telle est l’idée originale de ce projet.
Pour médiatiser cette opération, priorité a été donnée à la viralité. Et les internautes ont joué le jeu en la partageant massivement sur leurs comptes. Les chiffres parlent d’eux-mêmes, avec plus de 6,1 millions de vues pour la campagne du 11 novembre 2018 sur les réseaux sociaux. Le « visage inconnu » a été pendant toute une journée le premier sujet tendance sur Twitter France. Et on compte plus de 650 millions d'impressions lors de la commémoration de l'Armistice. Une campagne d’affichage menée avec JCDecaux a permis de compléter le dispositif.
Enfin, l’Historial de la Grande Guerre a bénéficié d’un visiteur de choix. « Emmanuel Macron est venu au musée en avant-première. Le jour où on a lancé l’opération, on pouvait voir la photo du visage inconnu posté depuis le compte Twitter du président français. Pour nous, c’était la preuve que cette idée avait un vrai potentiel », analyse Olivier Lefebvre.
Au demeurant, la fréquentation du musée a augmenté de 46% au cours du mois de novembre 2018. Le sujet du « visage inconnu » a, lui, généré 80 couvertures de presse nationale, régionale et internationale. Quant au site web, il a été visité par des centaines de milliers de personnes depuis la campagne, lesquelles sont restées en moyenne 5 à 6 minutes pour découvrir les visages et s’intéresser à toutes ces histoires. Cette opération prouve, s'il en était besoin, qu’il est possible d’intéresser les nouvelles générations à cette guerre grâce aux nouvelles technologies. « Finalement, le sujet aujourd’hui du brand content, c’est d’intéresser la cible et de créer du lien, de préférence un lien émotionnel », conclut Olivier Lefebvre. Un pari gagné.
« Les visiteurs ont été surpris par sa douceur » Hervé François, directeur de l’Historial de la Grande Guerre
« Collecter des milliers de visuels de visages n’a pas été aisé. Le fait de les accumuler a permis d’aboutir au portrait du visage inconnu : celui d’un homme émouvant, au visage étonnamment serein. En effet, les visiteurs s’attendent plutôt à voir une “gueule cassée” ; ils sont surpris par la douceur de ce visage, fruit de la juxtaposition de tirailleurs sénégalais, d’infirmières, de soldats… À l’époque, il n’y avait pas d’images prises sur le vif. Les gens posaient, même s’ils vivaient l’horreur de près. Il n’en demeure pas moins que ce qui transparaît, c’est une humanité en guerre ! »