crise
Thomas Marko analyse, en bon connaisseur, le lancement hypermédiatisé de l'étude anti-OGM du professeur Séralini. Son agence, Thomas Marko & Associés, gère la communication digitale de l'IBV, regroupement de l'ensemble des acteurs de la semence.

La filière OGM s'est-elle fait surprendre par cette étude ?

Thomas Marko. Oui, elle n'a pas vu le coup venir et elle est restée groggy quelques jours avant de se mettre en ordre de bataille.

 

Cela paraît surprenant pour une industrie aussi sensible...

T.M. C'est hallucinant! Le professeur Gilles-Eric Séralini a lancé cette étude il y a cinq ans. Son combat n'est pas nouveau. Voilà des années qu'il mène une croisade anti-OGM. Il est très surprenant que des industriels aussi puissants que Monsanto n'aient pas mis en place un système de veille systématique, d'intelligence économique. Il existe aujourd'hui toutes sortes de tactiques pour surveiller des concurrents ou des adversaires. Manifestement, aucun travail d'anticipation n'a été mené.

 

L'étude est hypermédiatisée. Les anti-OGM sont-ils d'excellents communicants?

T.M. Depuis quelque temps déjà, ils montent des actions qui combinent en général un film, diffusé soit au cinéma, soit à la télévision, la sortie d'un livre et un travail de relations médias. Cela a été notamment le cas pour Solutions locales pour un désordre global, de Coline Serreau, Les moissons du futur, de Marie-Monique Robin et Le livre noir de l'agriculture, d'Isabelle Saporta. L'opération Séralini est manifestement la plus aboutie de ces actions de communication. Il s'agit tout d'abord d'un scientifique dont l'étude, publiée dans une revue internationale, a bénéficié d'une large audience. Elle a aussi fait l'objet d'un film et d'un livre publié chez Flammarion, Tous Cobaye !. L'éditeur a négocié avec Le Nouvel Observateur de pouvoir publier les bonnes feuilles, bénéficier de la couverture du magazine et d'un plan d'affichage en kiosque. Une opération a également été montée avec Le Parisien. Ce quotidien est important pour toucher l'opinion publique. Non seulement il est lu dans tous les bistrots de France mais il est cité dans les revues de presse radio et télévisées du matin. Enfin des photos chocs de rats [nourris au maïs transgénique] ont été diffusées avant de se propager sur la Toile. Tout cela s'est fait dans un timing très précis.

 

Quelle a été la réponse de la filière OGM?

T.M. La réponse a tardé. Ceux qui peuvent prendre la parole sur la question des OGM sont nombreux, des industriels aux organismes interprofessionnels. Il fallait le temps de se concerter. Enfin, ils n'arrivaient pas à se procurer l'étude. Bardée d'accords de confidentialité, elle n'a pas été dévoilée dans son intégralité. Difficile dans ces conditions de critiquer ou de remettre en cause quoi que ce soit.

 

Depuis, quelle est la défense adoptée?

T.M. L'axe de leur communication est de remettre en cause non les résultats de l'étude, mais la façon dont elle a été réalisée. Tous leurs arguments ont été repris dans un article du Monde, le fait notamment que le nombre de rats utilisés serait trop faible. Les industriels montrent ainsi qu'ils sont plus scientifiques que Séralini. Ils ont aussi évoqué le fait que cette étude était financée par Auchan et Carrefour, qui a lancé l'étiquette «sans OGM». Mais, dans l'ensemble, ils se sont faits plutôt discrets.

 

Comment l'expliquez-vous?

T.M. Les publicités arrogantes de Monsanto dans les années 90 ont braqué l'opinion. Depuis, en France, les industriels sont frileux en matière de communication. Ils mènent un travail en coulisse auprès des décideurs au niveau européen en s'appuyant sur des pays moteurs comme l'Espagne, qui a autorisé la culture OGM. C'est un travail de lobbying, non de gestion de l'opinion publique.

 

A tort?

T.M. Oui. Pour faire avancer une cause aujourd'hui, il faut faire plus que des affaires publiques. Il faut impliquer l'opinion publique en s'appuyant sur d'autres personnes que l'expert, le scientifique, volontiers perçus comme le porte-parole d'un lobby. Cela suppose d'additionner d'autres paroles, d'autres cautions venant de la société civile ou de la sociologie, de diluer le discours scientifique dans un ensemble plus vaste.

 

Quel est l'impact de cette étude sur l'opinion?

T.M. Ceux qui étaient jusque-là indifférents sont entrés dans une mécanique intellectuelle de suspicion. Ceux qui étaient contre sont renforcés dans leurs convictions. Certes, le doute sur la fiabilité de l'étude a été semé. Mais mener un travail sérieux de contestation scientifique va demander plusieurs années. En attendant, les photos de rats malades circulent sur la Toile. Elles vont rester longtemps dans les mémoires, y compris des décideurs. C'est toute la puissance des images.

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