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Confronté aux travers du professionnalisme, le rugby, dont la Coupe du monde débute vendredi 9 septembre en Nouvelle-Zélande, risque de voir ses valeurs s’effriter. La discipline compte garder une image positive en s’appuyant sur l’esprit d’équipe plutôt que sur des icônes.

Sébastien Chabal ne sera pas en Nouvelle-Zélande pour la Coupe du monde de rugby, qui se tiendra du 9 septembre au 23 octobre. «Caveman» n'a pas été retenu dans le XV de France par le sélectionneur, Marc Liévremont. Cette décision a contrarié les marques, dont le rugbyman le plus connu des Français était le chouchou. Elles devront se trouver d'autres icônes. Pas facile pour une discipline dont le principal argumentaire en termes d'image est la force du collectif.

«Le rugby a toujours eu des personnalités fortes, comme Jean-Pierre Rives, Serge Blanco, Sébastien Chabal ou Bernard Laporte, mais la discipline ne supporte pas l'individualisme», affirme Bruno Bianzina, directeur général adjoint de l'agence Sport Market. «Le public réclame des icônes, mais la force du rugby réside dans le collectif et la diversité. L'individu est au service d'un objectif commun», ajoute Raphaël Niémi, responsable du sponsoring à la Société générale. Partenaire de la Coupe du monde, de la Fédération française de rugby (FFR) et de la Ligue nationale de rugby (LNR), le groupe bancaire a fait du collectif la signature de sa dernière campagne publicitaire, réalisée par Fred & Farid: «L'esprit d'équipe.»

Cette image est la force du rugby. Avec elle, la discipline traverse les années. L'Ovalie évite surtout les écueils liées à l'arrivée du professionnalisme et de l'argent. «Le capital sympathie est indéniable, et, malgré les années, l'image du rugby reste encore très traditionnelle», observe Bruno Lalande, directeur de Kantar Sport. En mars, une enquête de l'institut d'études qualifiait la discipline par quatre valeurs fortes: état d'esprit dans le jeu, combativité, convivialité et ambiance.

Sportlab n'a également pas remarqué de faiblesse dans l'image du rugby: «Depuis 2003, ses valeurs positives se sont confortées, confirme Gilles Dumas, directeur général du cabinet-conseil en marketing sportif. Dans le même temps, la discipline a perdu son seul item négatif: l'aspect violent du jeu. C'est sans doute en partie du à l'effet show-biz et spectacle introduit par le Stade français.» Un paradoxe, car, de l'avis des spécialistes, le jeu est au contraire devenu plus violent.

Un palier a été franchi

«Pour un annonceur, le rugby est plus noble en termes d'image que le football, précise Frank Hocquemiller, directeur général de VIP Consulting. Le rugby fait moins peur que le football. Toutefois, au contraire du football, le public a bien du mal à citer trois joueurs de l'équipe de France de rugby.» En fait, au grand dam de cet agent de sportifs, les marques «achètent» plus le rugby que les rugbymen.

Dans ce discours centré sur le collectif, difficile de retrouver des porte-parole forts. Sébastien Chabal mis à part, aucun rugbyman n'est utilisé seul par les annonceurs. Mennen, avec l'agence H, parie sur Morgan Parra, Maxime Médard et François Trinh-Duc. De son côté, Dim, aidé par Publicis Conseil, a recruté Thierry Dusautoir, Maxime Mermoz, Aurélien Rougerie, Alexis Palisson et Henry Chavancy. Quant à la marque Renault, épaulée par Publicis Dialog, elle mise sur Imanol Harinordoquy, Morgan Parra et Sylvain Marconnet. «Même si l'esprit du collectif nous séduit, nous avions aussi besoin de personnalisation, confie Guillaume Josselin, directeur marketing et communication de Renault France. Le choix des joueurs a été fait sur leur notoriété et leur qualité de jeu.» Partenaire de la Fédération française de rugby, le constructeur automobile s'est également lié avec quatre-vingts clubs hexagonaux. Le rugby apparaît pour la marque au losange comme un parfait outil d'animation des concessionnaires régionaux et locaux. Ceux-ci s'appuient sur l'image des trois joueurs.

Si l'image d'un rugby convivial, sympathique et festif a la peau dur, dans les faits, la discipline s'est professionnalisée. Pour les joueurs du Top 14, la première division du championnat de France, les troisièmes mi-temps d'aujourd'hui n'ont plus rien à voir avec celles de leurs aînés. L'arrivée de l'argent des télévisions et des sponsors a permis à la discipline de franchir un palier. Les clubs et les structures se sont professionnalisés. Sur la pelouse, les joueurs contestent plus souvent les décisions des arbitres. Dans les vestiaires, les thèmes autour du dopage et ds contrats apparaissent plus souvent dans les conversations. «Le rugby est à la croisée des chemins, estime Frédéric Bolotny, économiste du sport. La discipline a beaucoup à craindre pour les années futures. Un rugby à deux vitesses se dessine et les différences économiques entre les clubs sont plus importantes.»

Le rugby court dans la foulée du football. Mais l'écart reste énorme entre les deux disciplines. Les droits TV du rugby sont quinze fois inférieurs à ceux du football, tandis que les salaires y sont 10 à 20 fois moindre, ce qui n'est pas sans créer quelques frustrations chez les rugbymen. Le ticket d'entrée pour s'afficher sur le maillot d'un club leader du Top 14 est d'environ 1,65 million d'euros, selon Kantar Sport, contre 6 millions pour l'une des meilleures équipes de Ligue 1 de foot. Enfin, un annonceur peut «s'offrir» un rugbyman international pour… 15 000 euros. A des années-lumière de celles réclamées par les stars du football.

Cap au nord de la Loire

Le développement, irréversible, du rugby ira forcément à l'encontre de certaines de ses valeurs. Déjà, des spectateurs se plaignent du fait que les joueurs, de plus en plus sollicités, sont moins accessibles. Le rayonnement de la discipline passe inévitablement par un développement «au nord de la Loire» et par la construction de stades modernes. La rigueur économique du haut niveau a fait, elle, disparaître les préfectures au profit des grandes capitales régionales. Montauban et Périgueux ont laissé la place dans l'élite à Grenoble ou encore récemment Lyon.

«Notre rôle, comme partenaire, est également de pousser les instances fédérales à faire tomber les barrières qui s'érigent quand on parle de professionnalisme», confie Raphaël Niémi, responsable du sponsoring à la Société générale. Le rugby cassoulet vit ses derniers jours.

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