Quelles sont les deux ou trois choses qu'il faut savoir pour se lancer sur le marché chinois?
Laure de Carayon. D'abord, qu'il existe plusieurs marchés tant les contrastes sont forts entre les régions et les villes. Que l'environnement digital est encombré, segmenté et évolue très vite. Enfin, que dans un monde globalisé, les Chinois se modernisent mais ne s'occidentalisent pas. Communiquer sur l'ADN d'une marque occidentale en Chine est un exercice subtil: il faut savoir, par exemple, que les Chinois sont adeptes des logos, proches de leur calligraphie et d'une lecture conceptuelle et intuitive. Et, en même temps, s'imprégner de leurs codes culturels pour éviter les erreurs.
La Chine est le pays le plus connecté au monde. Quels sont les usages dans le digital?
L de C. Le Chinois a plus d'amis en ligne où il passe plus de temps à s'informer et se divertir que son homologue occidental. On compte près de 900 millions de possesseurs de mobile, dont 303 millions sont connectés à l'Internet mobile (600 millions prévus en 2015) pour près de 500 millions d'internautes (830 millions estimés pour 2015).
Forums, vidéos, micro-blogging, gaming et shopping sont propulsés par le leader du «search», Baïdu. Sur les plates-formes de vidéos en ligne (Youku, Tudou, etc.) cohabitent du contenu piraté et UGC, et du contenu de marque de qualité. Dior, Gucci, Omega ont ainsi lancé leur chaîne de marque sur Youku qui, comme Tudou, dispose par ailleurs d'un studio de production et diffuse des séries de «brand content» à succès. Les blogueurs mode/luxe sont aussi très suivis. La géolocalisation émerge et le phénomène de l'année, c'est Sina Weibo et ses 140 millions de membres (dont les entreprises et les célébrités). Un Twitter «made in/for China» qui propose plus de fonctionnalités que son modèle.
Comment se porte l' e-commerce?
L de C. C'est un marché bouillonnant où tout se vend, contrefaçons comprises. Adidas, Gap, ou Ray Ban ont ouvert un corner sur la place de marché du leader Taobao. Mais pour le luxe, le magasin est encore le lieu de l'expérience ultime. Quant au m-commerce, il va s'imposer.
Et la télévision?
L de C. C'est le média leader, même si son audience s'érode et qu'il est très coûteux d'émerger dans un paysage de 3 000 chaînes. La pauvreté des programmes suscite l'engouement pour le «brand content», plus souple qu'en France, notamment en mix TV/Web.
Au printemps, la Chine a voté une loi sur l'affichage réglementant la communication des marques de luxe, et il est aujourd'hui question de réduire des droits de douane pour certains produits de luxe. Quels signes y voyez-vous?
L de C. Le gouvernement s'est justifié pour limiter la fracture sociale que nourriraient ces communications «provocantes», alors que le pays connaît les tensions dues à une forte croissance, dont les fruits sont bien sûr inégalement distribués. Quant aux taxes, les Chinois achetant ces produits beaucoup moins chers à l'étranger, le pays veut favoriser la consommation intérieure. La Chine est un marché incontournable, qui le sait et impose donc ses règles. Certes, on prédit une décennie florissante pour les marques de luxe occidentales en Chine, même si les Chinois ont grande confiance dans leur savoir-faire pour offrir rapidement des produits compétitifs, là où nous sommes référents. En jeu: l'innovation et l'excellence.
Pour la prochaine édition de China Connect, la conquête de l'Ouest des marques chinoises sera-t-elle au menu?
L de C. China Connect, en mars 2012, restera centré sur le décryptage du marketing et du digital en Chine. Mais nous continuerons, aussi, d'observer ces changements de perception. A l'instar du «Made in China» qui devient «branché» avec les fameuses baskets Feiyue, les crèmes Herborist chez Sephora ou encore la marque de luxe Shiazty Chen, concurrente de Shang Xia lancée par Hermès et installée rue Saint-Honoré. Notons aussi, alors que les Chinois bloquent nos réseaux sociaux, le lancement de la version anglaise de Sina Weibo (l'équivalent chinois de Twitter) à la rentrée.