Les images de dents noircies et de tumeur de la gorge, apposées depuis mercredi 20 avril sur les paquets de cigarettes, vont-elles dissuader les quelque 13,5 millions de fumeurs français, dont 60% disent vouloir arrêter? Les avis divergent alors qu'il n'existe aucune étude démontrant leur efficacité. Certains pays, comme le Canada, où ces mesures sont en vigueur depuis 2000, ont vu le nombre de fumeurs diminuer sensiblement. Mais difficile d'isoler l'impact de ces photographies d'un ensemble de mesures allant de l'interdiction de fumer dans les lieux publics à l'augmentation du prix.
Pour ses défenseurs, les mises en garde illustrées informent bien mieux que les textes sur la réalité du tabac, qui tue chaque année environ 60 000 personnes en France. L'OMS (Organisation mondiale de la santé) indique, sans citer de chiffres, qu'elles réduisent le nombre d'enfants commençant à fumer. Ce sont eux qui seraient visés plus que les accros à la cigarette, qui s'équipent d'ores et déjà de caches.
Pas d'étude d'efficacité non plus du côté des cigarettiers, comme British American Tobacco (Lucky Strike, Dunhill, etc.), qui va débourser 3,5 millions d'euros pour modifier ses paquets. Pourraient-elles être contre-productives? C'est l'avis du syndicat des buralistes, où l'on rappelle l'attrait des jeunes pour le «gore».
Le marketing est visé
Selon les associations antitabac, la mesure ne va pas assez loin: les photos devraient être apposées des deux côtés du paquet et sur une surface plus importante. Elles en appellent d'ores et déjà au paquet générique de couleur unie avec la seule indication de la marque, comme l'envisage l'Australie.
In fine, c'est bien le marketing d'une industrie déjà privée de publicité en France, hors bureaux de tabac, qui est visé. Difficile de rester attractif avec de telles photos. Le cow-boy Marlboro épris de grands espaces et de liberté en prend un coup alors que les objectifs des industriels restent inchangés: recruter, en moyenne, 200 000 nouveaux fumeurs chaque année.
Un médecin
OUI. Docteur Jean-Martin Cohen Solal, directeur général de la Mutualité française
Ces photos ont une chance d'être efficaces. Certes, l'expérience montre que les campagnes chocs de santé publique ne fonctionnent pas dans les pays latins. Elles produisent évitement et déni sur le thème «ça n'arrive qu'aux autres». Mais, sur un paquet, c'est différent. D'une manière générale, il faut être pragmatique et faire feu de tout bois. D'autant que si ces photos ne servent à rien, elles montrent, symboliquement que les pouvoirs publics agissent. Et elles ne sont, en rien, nuisibles.
Un industriel
NE SAIT PAS. Yves Trévilly, directeur des relations institutionnelles de British American Tobacco
Il n'existe aucune étude démontrant leur efficacité. Selon certains tabacologues, elles pourraient même attirer les jeunes, fans d'images «gore» dans les films et les jeux vidéo. Je note, par ailleurs, que cette mesure ne satisfait pas les associations qui lui sont favorables. Une chose est sûre: dans les pays où elle a été prise, nos ventes n'ont pas baissé. À défaut de diminuer la consommation, les mesures antitabac ont surtout tendance à favoriser la contrebande et la contrefaçon.
Un antitabac
OUI. Emmanuelle Béguinot, directrice du Comité national contre le tabagisme
Elles informent beaucoup mieux sur la réalité du tabagisme tout en communiquant les coordonnées de Tabac Info Service. Mais il n'existe pas une solution miracle. C'est un ensemble de mesures qui font baisser la consommation. Ces photos contribuent par ailleurs à casser l'image glamour du tabac. Avec la loi Evin, les cigarettiers ont mis l'accent sur le packaging, multipliant les accessoires et les objets collectors. Cette démarche publicitaire autour du paquet, qualifié de «vendeur silencieux», est mise à mal.
