Si la cérémonie du mariage du prince William et de Kate Middleton devrait drainer, tout autour du globe, quelque 2 milliards de personnes devant leur poste de télévision, le Wall Street Journal estime à près de 400 millions le nombre d'individus qui suivront l'événement sur le Web. Un chiffre impressionnant qui témoigne des nouvelles habitudes de consommation média d'une audience de plus en plus connectée.
La famille royale ne s'y est pas trompée. Elle a mis en place un important dispositif numérique afin de multiplier les points de contact avec son public, avant et pendant la cérémonie du 29 avril, notamment par le biais des médias sociaux. Le Social Media Club France a passé en revue cette stratégie avec l'aide de deux de ses membres.
L'élément central du dispositif est le site officiel lancé il y a quelques semaines: l'internaute pourra y suivre l'événement en direct via un «live-stream video» fourni par You Tube. Le site vient également agréger toutes les infos concernant le mariage et le déroulement de la cérémonie. On y retrouve l'itinéraire du cortège, le programme détaillé de la journée, mais aussi de nombreux billets et vidéos concernant l'organisation et les coulisses de l'événement, depuis le portrait du photographe officiel jusqu'à l'interview de la designeuse en pâtisserie chargée des «royal wedding cakes»!
The Royal Channel, le compte You Tube de la monarchie aux 37 000 abonnés, accueillera les vidéos, tandis que les photos du couple et des préparatifs sont hébergées sur la plate-forme de partage Flickr.
Ce contenu officiel est relayé sur les médias sociaux. Le compte Twitter @ClarenceHouse (la résidence du prince William) compte plus de 32 000 «followers». Signe des temps, c'est à l'audience de la plate-forme de microblogging que le prince de Galles avait réservé l'exclusivité de l'annonce du mariage, le 16 novembre dernier, par le biais d'un simple «tweet». La page Facebook The British Monarchy vient compléter le dispositif, avec plus de 300 000 fans à son actif.
Miroir de l'émotion mondiale
Si le déploiement de la «marque» couvre un large pan du Web social, la stratégie ne met clairement pas l'interaction au cœur du dispositif, dans un environnement pourtant caractérisé par la prégnance des échanges interindividuels.
Pour Antoine Allard, de l'agence Ogilvy, «le dispositif propose une stratégie de canaux sans tenter d'associer la conversation en ligne à l'événement», et c'est dommage. En effet, poursuit-il, l'événement va fédérer en ligne «une galaxie de communautés protéiformes, qui vont massivement commenter, s'émouvoir, critiquer et se projeter dans l'union du couple».
Des échanges peu valorisés par le dispositif, qui se cantonne à la diffusion de contenu officiel, selon une stratégie de communication qu'on aurait aimé un peu moins «frileuse» vis-à-vis des contributions amateur.
Comme le suggère Benoît Thieulin, de l'agence La Netscouade, on peut ainsi poser le problème auquel fait face la famille royale sur le Web: «Comment concilier le temps court, réel voire augmenté du Web social et le temps long du mariage, de la filiation, d'une histoire de dynastie qui recouvre des siècles d'histoire?» Pour lui, «l'une des pistes est généralement de proposer des dispositifs qui permettent l'expression d'émotions et d'ambiances».
Un point de vue partagé par Antoine Allard, pour qui «la problématique n'est donc pas tant de réfléchir à une diffusion de "contenus officiels" sur les différents réseaux sociaux mais plutôt de donner à voir la cohésion et l'émotion mondiale que va générer l'événement».
Trop grande verticalité
Au-delà du simple recueil de vœux des bonheur au couple princier, mis en place sur la chaîne You Tube, le dispositif aurait donc pu donner davantage la parole aux internautes sur leur sentiment vis-à-vis de cette cérémonie d'exception, afin de l'ancrer dans leurs souvenirs, dans la lignée des grands événements passés, afin d'encourager le partage et «l'échange d'une émotion commune qui donnera vraiment l'impression de participer à un événement planétaire et universel».
Venant confirmer ce peu d'attention aux user-generated contents, ou contenus générés par l'utilisateur, on a pu observer l'absence totale de réaction de la Couronne face aux contenus humoristiques relatifs au mariage fleurissant sur le Web: le clip de T-Mobile, sur le modèle d'une vidéo virale bien connue d'un mariage déjanté, connaît pourtant un énorme succès d'audience avec 8 millions de visionnages depuis sa mise en ligne, tout comme cette reprise humoristique d'un tube de Lady Gaga, Royal Romance, par des élèves de St. Andrews University, où se sont rencontrés Kate et William (230 000 vues).
Pour Antoine Allard, «l'ensemble du dispositif, de la publication des "contenus officiels" jusqu'à l'ignorance des détournements, traduit l'esprit de la monarchie: encore très vertical». Des propos tempérés par Benoît Thieulin, pour qui «la Couronne et ce mariage, qui est un événement unique, relèvent de l'exclusivité, de la rareté. À l'instar des marques de luxe, la Couronne doit savoir garder une distance avec les discutants, et ne pas avoir à en subir le joug.» La British Monarchy 2.0 n'est assurément pas pour demain…