«Every little helps». Le slogan de Tesco résume bien la façon dont le premier groupe britannique de grande distribution a su conquérir les consommateurs ces 15 dernières années… et exploiter au mieux les données qu'il détient sur eux. Le géant britannique vient en effet de révéler qu'il avait réalisé l'an dernier 53 millions de livres sterling de bénéfices sur la simple vente d'informations personnelles récoltées sur la carte de fidélité de ses clients, la fameuse Club Card.
Tesco les a séduits en leur proposant dès 1995 cette carte de fidélité leur permettant de gagner 1 livre sterling (1,15 euro) pour 50 livres dépensées. Mais aussi de récolter des points permettant d'avoir des réductions très importantes sur une vaste gamme de produits.
Le catalogue des Tesco Rewards, transmis chaque année aux 16 millions de détenteurs de la Club Card en février, mai, août et novembre, est en soi devenu un objet culte de consommation, parfaitement représentatif de l'époque. Pour les consommateurs, le message est simple: dépensez plus pour gagner plus. Pour ceux qui ont des arriérés de paiement avec cette carte, permettant des différés de règlement ou des prêts à taux (très) élevés, le point de vue est tout autre: perdez beaucoup d'argent pour vous offrir gratuitement une casserole en fonte…
Agent de renseignement
Le système Tesco n'est pas sans rappeler le mécanisme de la dopamine: des actions guidées par un principe de récompense auquel les consommateurs souscrivent pleinement. Et c'est grâce à ce système, qu'il a mis en œuvre, que Terry Leahy a été considéré comme l'un des meilleurs CEO de son époque, jusqu'à son départ – volontaire – début mars, où il a été remplacé par son sosie Philip Clarke.
Sans cette stratégie très fine de fidélisation, Tesco n'aurait pas vu ses ventes tripler de 20,3 milliards à 62,5 milliards de livres entre 2000 et 2010. Mais au-delà d'une incitation à la dépense, la Club Card est aussi et surtout un parfait agent d'information sur le profil des clients. Âge, sexe, profession, situation géographique, habitudes d'achat et maintenant géolocalisation quasiment en temps réel: Tesco en est arrivé à composer ses rayons en fonction des informations catégorielles récoltées par ses visiteurs.
Selon l'association de défense des consommateurs Allow, «la plupart des gens pensent que les systèmes de fidélité ne sont qu'une affaire d'achats-récompenses, mais leur objectif premier est de récolter des données […]. Quand les clients souscrivent à la carte de fidélité de Tesco, ils lui donnent le droit de traiter toutes leurs informations personnelles, leurs achats, leurs comportements, et de les partager avec des sociétés extérieures. Les consommateurs sont suivis chaque minute de la journée, que ce soit en usant leur carte de crédit Tesco, leur carte de fidélité, leur application Tesco pour smartphone, leur connexion au site, etc.»
L'enseigne britannique s'appuie sur la société Dunnhumby – rachetée il y a 15 ans – pour parfaire l'analyse comportementale de ses clients… et commercialiser les résultats à des sociétés extérieures comme Unilever, Nestlé, Mars ou Heineken, qui souhaitent adapter leur localisation et leur stratégie aux conclusions du profilage.
«Le client moyen n'existe pas, le succès réside dans la connaissance de l'individu», est l'un des slogans de cette société qui est désormais présente en Europe, en Asie et aux États-Unis. En France, Dunnhumby travaille notamment avec Casino. «Nous veillons à ce que le groupe Casino apprenne à connaître et traiter ses clients décisifs avec des égards jusqu'alors jamais prodigués, un moyen d'accroître considérablement ses résultats», explique la branche française.