Cela s'annonce comme une redoutable partie de chaises musicales. En ce début d'automne, le secteur bancaire présente en effet un beau bouquet de consultations d'agences qui n'a pas fini d'agiter le marché. Pas moins de quatre banques et non des moindres (Banque populaire, Caisse d'épargne, Crédit agricole et Société générale) remettent en jeu leur budget de communication, soit un investissement médias cumulé de plus de 200 millions d'euros bruts, selon Kantar Media.
Le seul hasard n'explique pas cette soudaine fièvre consultative. La crise est passée par là. Le scandale du Crédit lyonnais dans les années 1990 avait ouvert une brèche, aujourd'hui abyssale après le séisme des «subprimes» et sa réplique française avec l'affaire Kerviel.
«La crise de 2008 est clairement le fait fondateur de cette nouvelle donne sur le marché qui se traduit aujourd'hui par une réflexion de fond sur la communication bancaire», déclare Pascale Furbeyre, directrice marketing communication de B for Bank, la banque privée en ligne du Crédit agricole lancée en octobre 2009.
La financiarisation de l'économie, les scandales à répétition, la montée du consumérisme, autant de bouleversements qui se sont soldés par le changement de patrons à la tête, notamment, de la Société générale et du groupe BPCE et qui ont aussi sensiblement écorné l'image des banques.
En mars, le dernier baromètre Posternak-Ipsos sur l'image des entreprises plaçait en queue de peloton le Crédit agricole, LCL, BNP-Paribas et la Société générale. Ces deux dernières touchant également le fond du classement dans le récent Observatoire Makheia-Occurrence sur l'authenticité de la communication institutionnelle des entreprises (lire page 19).
Et ces derniers jours, la médiatique pression exercée auprès des banques par la ministre de l'Economie, Christine Lagarde, pour clarifier les tarifs bancaires, tout comme l'amende de 384 millions d'euros infligée par l'Autorité de la concurrence à onze établissements pour entente illicite n'ont guère arrangé les choses.
«Les années 1970-1980 ont été marquées par un discours publicitaire basé sur le sérieux, la confiance et la fiabilité. Les années 1990 ont inauguré l'ère du marketing bancaire, avec son lot de campagnes de plus en plus décalées, mais qui sont, aujourd'hui avec la crise, en totale contradiction avec les attentes des clients», analyse Jean-Christophe Alquier, vice-président de TBWA France et patron d'Harrison & Wolf, agence qui conseille la Société générale.
En somme, les banquiers-chanteurs du Crédit agricole, la saga animalière de la Caisse d'épargne ou les contes de fées revisités par la Banque populaire seraient dépassés, infantilisants et désormais inaudibles.
«Ce n'est pas du côté de la communication institutionnelle que l'on trouvera la solution, mais plutôt dans un discours factuel et concret s'appuyant sur des offres marketing intelligentes. Regardez l'exemple des assureurs, qui ont redressé leur image grâce à un discours produit pointu et l'amélioration globale de leur qualité de services», plaide Olivier Aubert, cofondateur d'Aubert Storch Associés Partenaires, qui signe les désormais célèbres campagnes très «produits» de LCL mettant en scène depuis cinq ans une quarantaine de célébrités, de Pierre Arditi à Muriel Robin en passant par Elie Semoun.
Mais l'exercice n'est pas aisé. «La caractéristique de ce marché est bien d'avoir un problème d'attribution publicitaire, sans compter qu'il y a souvent une forte décorrélation entre une publicité appréciée et une publicité efficace», rappelle Vincent Leclabart, président d'Australie qui conçoit la saga «la banque d'en face» du CIC. «Par ailleurs, le fait que le marketing et la communication soient souvent séparés dans ce secteur peut aussi expliquer une certaine atonie en matière d'innovation produits», ajoute-t-il.
Différence entre image collective et image individuelle
Jean-Noël Perrin qui, avant de rejoindre la direction générale de BETC Euro RSCG, travaillait pour Caisse d'épargne chez CRM Company, est plus catégorique: «La conception de nouveaux produits financiers relève finalement pour l'essentiel de l'initiative de l'Etat: prêt à taux zéro, prêt étudiant, permis ou ordinateur à 1 euro, extension du Livret A… Du coup, tout le monde communique sur les mêmes produits au même moment.» A cela s'ajoute l'essor des offres sur Internet, avec des positionnements très différenciant, comme Boursorama sur le «low cost» ou B for Bank sur le haut de gamme. De ce fait, la communication des grandes banques de réseau semblent parfois bien peu structurée, pour ne pas dire confuse.
«Il y a certes un problème d'attribution dans ce secteur, mais il ne faut pas oublier, qu'exception faite du marché des jeunes et de l'immobilier, la publicité bancaire est avant tout destinée aux clients de chaque émetteur. Or, ces derniers attribuent souvent correctement la communication de leur propre banque», souligne Antoine Sire, directeur de la communication de BNP-Paribas qui, toutefois lui aussi, planche avec son agence Publicis Conseil sur le repositionnement de sa marque d'ici la fin de l'année.
«Si certains, comme LCL ou CIC, répondent à des problématiques de notoriété, ce n'est pas le cas de BNP-Paribas ou du Crédit agricole, par exemple, qui doivent diversifier leur communication pour ne pas paraître écrasantes», ajoute-t-il, tout en précisant que «si la crise a fortement dégradé l'image collective des banques, c'est beaucoup moins vrai à titre individuel, surtout en France.»
En fait, tous s'accordent sur l'indispensable recentrage de la communication sur les produits et le client. «Cela reste un métier de services, très relationnel», rappelle Hugues Le Bret, PDG de Boursorama. En témoigne le succès des campagnes de LCL et du CIC, et, plus récemment, celle du Crédit mutuel sur ses valeurs mutualistes (agence H).
«Mais tous ces discours de réassurance mettant le client en avant commencent déjà à tourner en rond», considère Pascale Furbeyre, de B for Bank. En somme, le «modèle Lenormand» serait à bout de souffle. Chantre de la «publicité efficace», Jacques Lenormand a en effet marqué les secteurs de la banque-assurance ces dix dernières années en installant des sagas souvent encore pérennes pour les différentes enseignes qu'il a dirigé (La Poste, MMA, Maaf, Crédit agricole, LCL).
«Mais, au final, ces grosses ficelles publicitaires à grands renforts d'achat de parts de voix lissent l'originalité de chaque nouveau message. On voit le code et de moins en moins le message», regrette Jean-Noël Perrin, de BETC. Sans compter que le sacro-saint indice de rendement publicitaire, associant mémorisation publicitaire et parts de voix et qui couronne bien souvent ce type de campagnes, ne fait pas l'unanimité.
«Cet indice ne mesure que l'investissement publicitaire sans tenir compte des différences de cibles visées et du poids du sponsoring, notamment, qui assure par exemple à BNP Paribas 33% de notoriété spontanée», assure Antoine Sire, qui préfère, quant à lui, se référer à un indicateur d'attractivité mesurant les intentions d'ouverture de compte. Le patron de la communication de BNP-Paribas estime en fait que la solution passe par «la capacité à démontrer par des actions concrètes – micro crédit, transparence des tarifs...– à la fois une réelle amélioration de la relation avec le client et l'utilité sociale de la banque».
L'exercice n'est pas simple. Jean-Christophe Alquier, de TBWA France, plaide même pour une façon différente de faire ce métier (personnalisation des services, ergonomie de la relation…). Cela passe aussi, selon Vincent Leclabart, d'Australie, par un gros travail sur les points de vente, à savoir les agences bancaires. En somme, une sorte de révolution copernicienne du secteur…