Création
A partir du 1er octobre, le «décret Photoshop» obligera à apposer la mention «Photographie retouchée» sur tous les clichés publicitaires où les corps sont modifiés. Une manière de répondre à un enjeu de santé publique, dans une société qui voue un culte à la minceur. Mais la pub peut-elle vraiment se passer de retouches ?

En anglais, on l’appelle le «Photoshop diet» [régime Photoshop]. Une recette miracle qui permet de se délester des poignées d’amour et autres capitons par la grâce du logiciel créé en 1990… Sauf qu’à partir du 1er octobre, ce sont les graphistes, les photographes, les maquettistes qui vont être mis à la diète. À cette date, le décret du 4 mai 2017 relatif aux photographies à usage commercial de mannequins dont l’apparence corporelle a été modifiée, autrement appelé «décret Photoshop» dans la profession, entrera en vigueur. Ses dispositions sont simples mais sans appel. Il s’agit d’apposer la mention «Photographie retouchée» à chaque fois que l’on amincit ou que l’on grossit un corps. «La loi porte sur la silhouette, pas sur le visage, précise Stéphane Martin de l’Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité (ARPP). Elle vient en accompagnement de la loi de santé publique qui veut que les mannequins fournissent désormais un certificat médical indiquant leur IMC (indice de masse corporelle) pour prouver qu'elles ne sont pas trop maigres.»

La taille de la mention n’est pas astreinte aux mêmes règles que les bandeaux sanitaires, qui doivent obligatoirement occuper 7% de la surface globale du support sur lequel ils apparaissent. «La taille est laissée à l’appréciation de l’annonceur et de son agence», précise Stéphane Martin. La mention devra simplement répondre à la recommandation Mentions et renvois de l’ARPP. Si l'on résume: une police lisible, dans un format horizontal, avec une couleur qui contraste par rapport à celle utilisée pour le fond de la publicité. Le tout étant placé «sous la responsabilité de l’annonceur, qui achète les photographies et signe les contrats», insiste Stéphane Martin. Les contrevenants s'exposeront à une amende minimum de 37 500 euros, montant pouvant être porté à 30% des dépenses consacrées à la publicité.

Doit-on s’attendre à une déflagration dans les agences et chez leurs clients, passé le 1er octobre? Selon Matthieu Elkaïm, directeur de la création de BBDO Paris, «il n’y a pas besoin de légiférer, on devrait plutôt faire preuve d’autorégulation, entre les agences, les annonceurs et l’ARPP, estime le directeur de la création. Il me semble que la charte de Kering et LVMH sur le bien-être des mannequins [voir encadré] est plus utile».

Pour autant, il y a urgence: les dérives sont nombreuses. Et récentes... En mars dernier, Yves Saint Laurent s’illustrait avec des photos de jambes de femme décharnées, juchées sur des stilettos, eux-mêmes fichés dans des patins à roulettes… Bronca des internautes, qui n’ont pas tardé à protester avec le hashtag #YSLRetireTaPubDegradante.

Une réaction ulcérée et instantanée qui n’a aujourd’hui rien d’étonnant, selon Brune Buonomano, directrice générale de BETC Luxe [qui gère notamment Yves Saint Laurent Beauté] et éditrice du magazine Mastermind: «Décret ou pas décret, l’époque n’est plus au mensonge et à la déformation. Je suis parfaitement à l’aise avec cette loi parce qu’elle oblige tout le monde à prendre ses responsabilités. Elle ne va pas changer notre façon de travailler, si ce n’est pour des contraintes de mentions légales. On n’est pas dans une logique qui consiste à déformer les corps.»

Modifier les silhouettes à tout prix, peut-être pas. Mais comme le rappelle Matthieu Elkaïm, de BBDO Paris, il est utopique d’envisager des images de pub 100% naturelles: «Peu importe le secteur, il n’existe pas une image de publicité qui ne passe pas par la case retouche. Aujourd’hui, on fait appel à des stylistes culinaires, on “pimpe” les couleurs … Pire, de plus en plus de publicités alimentaires sont entièrement faites en images de synthèse! Une explosion de caramel, c’est plus beau en 3D… Autre exemple, si on shoote pour Conforama, on va modifier la profondeur d’une étagère, faire briller la couleur du canapé parce que la photo ne rend pas hommage à son bleu canard…» Les humains lambda n’échappent pas au grand ripolinage: «Une personne, poursuit Matthieu Elkaïm, même si c’est une conseillère bancaire pour Société Générale ou BNP Paribas, ne sera pas retouchée dans le sens de l’industrie cosmétique mais le sera dans son grain de peau, son sourire, la couleur de sa peau…» Un «lissage» qui permet de ne pas détourner l’attention du produit ou du message publicitaire.

Corps au pluriel

Paradoxalement, c’est dans la mode que l’on voit aujourd’hui apparaître les physiques les moins conventionnels. «Aujourd’hui, on voit poindre de nouveaux corps au pluriel, remarque Brune Buonomano. Se succèdent sur les podiums des corps qui n’ont pas grand-chose à voir les uns avec les autres.» Rondes, maigres, petites et sylphides: en 2004 déjà, Dove ouvrait la voie avec sa campagne «Pour toutes les beautés» montrant de «vraies» femmes, suivie par le film «Dove Evolution» en 2006, véritable charge contre les dérives de la retouche, récompensé par le Grand Prix Film aux Cannes Lions. Dix ans après, comme le remarque Clément Scherrer, planneur stratégique chez Buzzman, «il existe un mouvement publicitaire qui incite plutôt les individus à être fiers de ce qu’ils sont plutôt qu’à correspondre à des idéaux normatifs destructeurs». Soit il s’agit de glorifier les imperfections, comme Diesel avec sa campagne «Go with the flaw», soit carrément, comme le souligne Clément Scherrer, «d’adopter un positionnement zéro retouche, comme Asos, qui a décidé de ne plus camoufler les imperfections de ses mannequins dans ses séries de lingerie ou de maillots de bain». Plus inattendu, la marque Victoria's Secret, connue pour sa cohorte de bombes surréelles, a également fait un pas dans ce sens en postant récemment sur Instagram le visuel d’un modèle dont on pouvait voir les vergetures… 

 Au-delà de simples problématiques de régulation publicitaire, le «décret Photoshop» semble entrer en résonance avec une lame de fond: la tendance «real woman», reprise par de nombreuses personnalités. Certaines vont même jusqu’à prendre position sur le sujet, comme le mannequin Emily Ratajkowski qui a récemment accusé le magazine Madame Figaro d’avoir retouché la taille de ses seins et lèvres. Quasi philosophique: au-delà de la beauté «naturelle» déjà valorisée par le précurseur Dove, on revendique le désir d’«être» et de cesser de «paraître». Le succès de l’actrice Lena Dunham, porte-parole emblématique de la déculpabilisation du corps des femmes, en est l’une des illustrations.

Slow photographie

Comme un manifeste: «Pour ne pas mentir aux autres, ni à moi-même. Pour que mon histoire soit conforme à ma vie […]. Tout simplement par respect pour la femme que je suis aujourd’hui.» Cette déclaration d’indépendance féminine, qui sortira le 2 octobre, est signée par une marque française quinquagénaire, Damart, qui a choisi de surfer subtilement sur le «décret Photoshop» avec une campagne signée par Score DDB. «Ce décret correspond à un engagement que nous souhaitons promouvoir, explique Agatha Colin, directrice de la marque. Mais plus globalement, nous sommes fiers de travailler pour des clientes de plus de 55 ans et le combat que nous avons envie de mener est celui d’une femme qui assume ses rides, le temps qui passe, ses émotions…» L’âge du mannequin représenté sur les visuels ? 53 ans. «Dans la publicité, on peut se passer de retouches si on a le temps de réaliser un travail de qualité, avec un bon photographe, estime Agatha Colin. Nous avons travaillé en argentique: il existe un piège du numérique où l’on mitraille à tout va en se disant qu’on retouchera ensuite… Il serait bon de revenir à une forme de “slow photographie” qui prend son temps, soigne ses éclairages…» Slow photographie ou pas, la campagne s’inscrit, souligne Nathalie Cachet, présidente de Score DDB, «dans une époque où les consommateurs ont besoin d’honnêteté et de transparence… L’esthétique des corps et des visages, elle aussi, peut être un point de vue créatif».

Les gens ont envie de rêver

Pour autant, rappelle Nathalie Cachet, «il s’agit de moderniser la marque et de donner envie». Donner envie, séduire, extraire du quotidien … In fine, il s’agirait surtout de ne pas oublier l’essence de la publicité, estime Matthieu Elkaïm: «Les gens ne salivent pas devant une pub non retouchée. Ils ont envie de rêver et n’ont pas envie de se projeter dans une réalité crue. Est-ce qu’on a envie d’acheter le vrai burger vendu chez McDo? Non. On veut voir des choses belles, c’est de l’hypocrisie de prétendre le contraire.»

Nathalie Cachet évoque d’ailleurs un cas édifiant, «celui de Kim Kardashian qui a perdu 100 000 followers après qu’elle a posté une photo de ses fesses non photoshopées et pleines de cellulite sur Instagram… A-t-elle été pénalisée parce que ses followers ont été déçus ou parce qu’elle leur a menti pendant des années ?» Probablement un peu des deux. Car comme le souligne Clément Scherrer, il semble bien «que le mensonge change de camp»: «Finalement, on a l’impression que la pub, de plus en plus contrainte, nous ment de moins en moins, tandis que l’émergence des influenceurs instaure un rapport beaucoup moins clair. Les instagrameuses affichent une prétention à l’authenticité alors qu’il n’existe pas, de manière générale, photos plus composées, retouchées.» #NoFilter pour tous ?

International :



Rosie Arnold, head of art creative partner de AMV BBDO, ancienne présidente des D&AD

«Aucune réglementation sur le corps dans la pub au Royaume-Uni»

«À une certaine période de ma vie, mon mari me faisait toujours remarquer que je n'étais jamais satisfaite de mon corps et il me disait: "Toi, plus que n'importe qui d'autre, sais que même les top-modèles ne sont pas aussi beaux qu'en photo. Mais pour autant, tu es influencée par ça!" Je pense que les femmes sont naturellement complexées et essaient de changer leur corps depuis toujours. C'est pour ça que dire aux filles: "Ce corps a été retouché" est une bonne idée. Parce que le message va dans un coin de votre esprit et il sous-entend: "Vous cherchez probablement à atteindre un objectif impossible." Quand les premières comparaisons de photos retouchées et non retouchées sont sorties sur Internet, on a tous été choqués de voir le vrai visage de certaines actrices et certains mannequins et on s'est tous dit: "Oh mon Dieu, c'est à ça qu'elle ressemble!"... J'ai trouvé ça horrible mais je me suis aussi dit que c'était normal de ne pas avoir un corps parfaitement proportionné… Je veux voir des gens beaux, je veux ce rêve, mais je veux aussi qu'on me dise que c'est un rêve. Au Royaume-Uni, il n'y a pas de réglementation à ce propos.»

 

Propos recueillis par Clémence Duranton

 

 



La charte Kering-LVMH



Les géants du luxe Kering et LVMH ont mis un coup de pied dans la fourmilière en lançant début septembre la charte sur «les relations de travail et le bien-être des mannequins». Le document de deux pages impose aux marques une ligne de conduite pour protéger les mannequins portant notamment sur le temps de travail, le logement, la nudité, les conditions de travail et la nourriture. Un paragraphe intitulé «Santé et bien-être» indique que les marques des deux groupes s’engagent à ne travailler qu’avec des mannequins «pour lesquels l’agence qui les emploie présente un certificat médical» qui «atteste de leur bonne santé et de leur aptitude à travailler». Les marques s’engagent également à présenter que des mannequins «au minimum de taille 34 pour les femmes et 44 pour les hommes» et à mettre à disposition un psychologue (ou thérapeute) dédié. «Nous espérons que l’ensemble du secteur nous suivra dans cette voie», indiquent Kering et LVMH.

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