Face à des Français peu intéressés par l’élection présidentielle – qui est traditionnellement la plus mobilisatrice –, en particulier chez les 18-25 ans, des jeunes font le pari d’informer et de mobiliser autour de la politique. Parmi eux, Grégoire Cazcarra, cofondateur de l’application Elyze.
82 % des 18-35 ans ont boudé les urnes lors des premiers tours des régionales et départementales de 2021. Est-ce cette abstention massive qui vous a décidé à lancer l’application mobile Elyze ?
Grégoire Cazcarra
Si le projet Elyze est récent, mon envie de redonner aux jeunes l’envie de s’engager et de voter date en réalité d’il y a presque cinq ans. J’avais 17 ans – et pas encore le droit de vote d’ailleurs – mais pour moi, qui étais passionné par la politique depuis toujours, c’était très frustrant de constater le désintérêt de mes camarades pour ce sujet. J’ai donc créé avec des amis bordelais le mouvement « Les Engagés » au lendemain des législatives de 2017, avec l’ambition de convaincre les jeunes de s’intéresser à la politique. J’ai commencé à réfléchir à un outil qui pourrait parler à toutes les jeunesses. Très vite, l’idée d’un outil digital s’est imposée. Avec François Mari, un ami étudiant qui savait coder, nous nous sommes donc lancés dans la conception de l’appli. Une application qui nous permettrait de mettre en avant les propositions des candidats, tout en correspondant aux codes que les jeunes connaissaient, et notamment le swipe, assez intuitif et ludique.
Un swipe qui vous a notamment valu des critiques de « tinderisation » de la présidentielle… La plupart des candidats à cette élection semblent adopter les codes de la communication digitale (viralité des punchlines, interviews par des influenceurs, feuilletonisation à la Netflix…). Que répondez-vous à ceux qui craignent que la proximité sur la forme risque de desservir le fond ?
Être ludique sur la forme n’empêche pas d’être rigoureux sur le fond ! Nous avons donc recensé quelque 500 propositions de candidats. Cela a représenté un travail colossal pour notre trentaine de rédacteurs bénévoles ! Un travail d’autant plus difficile que les programmes officiels n’étaient pas encore sortis. Aujourd’hui, nous actualisons quasi quotidiennement les propositions des candidats. Et nous sommes également en train de mettre en place un conseil scientifique pour encadrer notre démarche, avec Céline Braconnier et d’autres sociologues et politistes qui étudient depuis de longues années les causes de la démobilisation électorale.
En se focalisant sur les potentialités techniques des nouveaux médias, les candidats ne risquent-ils pas de conserver majoritairement une posture de communication descendante ? Quid de WhatsApp par exemple, qui est dans les téléphones de 36 millions de Français, et qui a été utilisé à l’étranger pour argumenter en one-to-one avec les électeurs ?
Oui, je crois beaucoup aux communications plus individualisées. J’ai d’ailleurs fait partie du projet de l’association « À Voté », qui a lancé un chatbot sur WhatsApp pour faciliter l’inscription sur les listes électorales. 12 millions de Français ne sont pas ou mal inscrits, soit un quart du corps électoral ; nous tenons là un des facteurs majeurs de l’abstention ! Ce qui est sûr, c’est qu’à partir de 2008 et l’irruption de Twitter dans la campagne, on a été dans l’inflation des réseaux. En 2012, on a eu le journal de bord de Nicolas Sarkozy sur Facebook, en 2017, Jean-Luc Mélenchon avec sa chaîne YouTube, en 2022, Yannick Jadot sur Twitch, et même des influenceurs qui mobilisent d’importantes communautés sur TikTok… C’est important que les hommes politiques aillent vers ces nouveaux médias. Mais le risque est évidemment de tomber dans une bataille du buzz global en investissant sans discernement ni alignement stratégique. Le premier travail doit évidemment se faire sur la diffusion des idées et des programmes – et ensuite sur les formats et les médias les plus adaptés. C’est d’ailleurs pour cela que la clé d’entrée que nous avons choisi de prioriser avec Elyze, ce sont les idées, pas les candidats ! C’est d’ailleurs une responsabilité partagée avec les médias « traditionnels », lesquels, la plupart du temps, mettent en avant les candidats plus que les projets, en particulier pour la présidentielle.
Quand on regarde la dernière enquête annuelle du Cevipof sur la confiance en politique, les médias, les réseaux sociaux et les partis politiques sont d’ailleurs les organisations dans lesquelles les Français ont le moins confiance…
Tout à fait. Je crois profondément au pouvoir des initiatives citoyennes pour contrecarrer la défiance des citoyens envers les politiques et les médias. Il faut montrer aux jeunes que les élections ne sont qu’une des facettes de l’engagement citoyen. Il faut multiplier les mécanismes de démocratie participative en dehors des temps électoraux. Je plaide d’ailleurs pour que le prochain président fasse de l’engagement citoyen la grande cause du quinquennat.
Pour finir, une question que je pose souvent à mes clients à la fin d’un entretien : vous aurez réussi si…?
Si le vote est de nouveau perçu comme un levier citoyen puissant, et pas uniquement comme un devoir ennuyeux auquel on se soumettrait par acquit de conscience. Si les jeunes vont voter en avril et en juin 2022. Si on a été une porte d’entrée vers la présidentielle pour des jeunes qui ne la suivaient absolument pas et ne se sentaient pas concernés par l’offre des médias traditionnels… Nous en sommes déjà à 2 millions de téléchargements. Une première en France pour une appli politique. Cela montre que la lutte contre la démobilisation politique des jeunes n’est pas perdue d’avance. Et je parle des jeunes mais on s’est aperçus que l’appli fonctionnait aussi très bien auprès des moins jeunes. Peut-être tout simplement parce que l’interface est simple, ludique. Imaginer des outils innovants qui permettent à chacun de se repérer dans un paysage politique flou, d’identifier les points de convergence ou de divergence entre candidats, c’est crucial pour nous tous, jeunes ou moins jeunes…