Alors que le secteur du marketing d’influence a été secoué par une série d’événements majeurs, dont l’adoption d’une loi transpartisane en juin dernier, une nouvelle donne s’annonce avec la demande du gouvernement français de modifier cette même loi par ordonnances. Retour sur les événements marquants de cette année mouvementée.

- La genèse de la régulation : clash et enquête

Tout commence à l’été 2022, lorsque le rappeur Booba s’engage dans un clash sur les réseaux sociaux, dénonçant les pratiques d’arnaques des « influvoleurs », terme consacré pour désigner les influenceurs pratiquant des méthodes douteuses (drop-shipping, placements de produits douteux, promotions de produits interdits à la publicité, etc.). La fondatrice de l’agence controversée Shauna Events, Magali Berdah, se retrouve au centre de la polémique. En septembre 2022, la justice ouvre une enquête pour « pratiques commerciales trompeuses » contre son agence, révélant au grand public les dérives du métier d’influenceur et des agences qui les représentent.

- Premières propositions de loi et fédérations professionnelles

En réaction à ces révélations, plusieurs députés émettent en novembre 2022 des propositions de loi visant à encadrer les pratiques du secteur et à protéger les consommateurs. Décembre 2022, le gouvernement s’empare du sujet et convoque à Bercy une « table ronde » à laquelle participent des agences d’influenceurs, des plateformes, des annonceurs, l’Autorité des marchés financiers (AMF), l’Autorité nationale des jeux (ANJ) et, pour le ministère de l’Économie, la Direction générale des entreprises (DGE), celle des finances publiques (DGFiP) et de la concurrence (DGCCRF).

Dans la foulée, sept agences d’influence marketing annoncent se constituer sous forme de fédération professionnelle. L’UMICC, l’Union des métiers de l’influence et des créateurs de contenu, voit le jour en janvier 2023, à laquelle adhèrent de nombreuses instances professionnelles du secteur de l’influence. L’un des chantiers prioritaires consiste en la mise en place d’une charte assortie d’un « label créateurs », en partenariat avec l’ARPP. En juin 2023, l’Association Pour une Influence Ethique (APIE) est lancée à son tour, un groupement d’acteurs optimistes et passionnés qui souhaitent encourager et accompagner le développement d’un marketing d’influence éthique et responsable.

- Naissance de la loi influenceurs

À l’issue d’une concertation en ligne de la population par le gouvernement - à laquelle 19 000 personnes ont participé - des groupes de travail sont constitués, en concertation avec toutes les parties prenantes du secteur. Le 24 mars 2023, le ministère de l’Économie en présente les résultats devant le Parlement. La proposition de loi transpartisane, portée par les députés Arthur Delaporte et Stéphane Vojetta, est retenue. Son nom : « LOI n° 2023-451 du 9 juin 2023 visant à encadrer l’influence commerciale et à lutter contre les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux ». Le texte vise à définir la profession d’influenceur comme des « personnes physiques ou morales qui, à titre onéreux, mobilisent leur notoriété auprès de leur audience » pour promouvoir en ligne des biens et des services, et de faire de l’influence une activité commerciale à part entière, soumise aux mêmes règles et aux mêmes sanctions que toute autre profession.

Dans le détail, la loi prohibe la promotion de certaines pratiques - chirurgie esthétique, abstention thérapeutique - et interdit ou encadre fortement la promotion de plusieurs dispositifs médicaux. Elle rappelle la soumission à la loi Evin et interdit la promotion de produits contenant de la nicotine. Elle s’attaque aussi aux paris sportifs et aux jeux de hasard : les influenceurs ne pourront plus faire la promotion d’abonnements à des pronostics sportifs, et la promotion de jeux de hasard et d’argent sera cantonnée aux plateformes qui permettent techniquement d’interdire l’accès à la vidéo aux mineurs. La proposition de loi interdit aussi les mises en scène avec des animaux dont la détention est prohibée. Lorsque des images de promotion, pour des cosmétiques par exemple, sont retouchées via un filtre pour les rendre plus attrayantes, il devra en être fait mention.

- Nouvelle donne : une demande de modification par ordonnances

Mais alors que la loi est toujours en discussion, le gouvernement annonce, le 16 novembre 2023, son intention de solliciter au Parlement la possibilité de modifier par ordonnances la loi transpartisane adoptée en juin. Cette initiative fait suite aux critiques émises par le commissaire européen Thierry Breton, reprochant à la France d’avoir pris des mesures sans consulter la Commission européenne. Le gouvernement justifie cette démarche en invoquant la nécessité d’adapter la loi au règlement du Digital Services Act (DSA) de l’Union européenne.

Bien que le ministère de l’Économie et des Finances affirme que la majeure partie de la loi restera intacte, il est envisagé de réviser certains articles. Les ajustements envisagés concernent principalement des aspects procéduraux et techniques, mais soulèvent des questions sur la stabilité et l’efficacité de la réglementation actuelle. Le marché de l’influence marketing se trouve à un moment charnière, entre l’aspiration à des règles claires et le défi de s’adapter aux normes européennes. L’année 2023 s’achève sur une note d’incertitude quant à l’avenir du secteur, mais avec la promesse d’une régulation plus précise et adaptée.