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Après quatre années de présence en France, et malgré sa discrétion, la filiale française du spécialiste polonais du retargeting, RTB House, commence à se faire un petit nom dans l’adtech. Stratégies a rencontré son patron, Olivier Galichère.

On entend beaucoup, dans le petit milieu de l’ad tech, que vous allez bien depuis votre arrivée en France en 2019. Vous confirmez que ça va ?

Olivier Galichère. Oui, ça va plutôt bien. Nous sommes arrivés en tant que petit poucet en France, sur les terres du leader, Criteo. Et c’est vrai qu’en quatre ans, nous avons pris une place sur le marché qui nous positionne en tant que référent. Nous sommes passés à celui qui plante des petits cailloux à une autre histoire. Nous sommes 45 personnes, désormais. Notre chiffre d’affaires a été multiplié par 30 depuis 2020. En France, nous ne sommes qu’un bureau d’exécution, la R & D étant toujours en Pologne. Donc nous assurons essentiellement du support client et des ventes. Mais ce qui explique notre succès, et c’est le point central de RTB House dans le monde, c’est la différence de technologie, avec notamment ce moteur qui fait du deep learning, et non du machine learning. Cette évolution récente de l’intelligence artificielle apporte une puissance supplémentaire sur ce métier et nous différencie beaucoup sur le marché.

Pouvez-vous nous rappeler en quoi cela consiste ?

Le deep learning revient à prendre toutes les données qu’on veut bien vous donner, de manière entièrement désordonnée, et d’en faire quelque chose. Ce qui demande beaucoup de puissance de traitement, car c’est l’algorithme qui fait ses propres hypothèses de travail, sans modèle prédéfini. C’est lui qui, de manière autonome, va regarder ce qui fonctionne ou non, définir lui-même ses paramètres à partir des données désorganisées. Le machine learning revient à une sorte d’arbre de décision sophistiqué, qui aide à définir quelles sont les meilleures règles à appliquer et choisir la plus optimale, mais sur des données organisées par l’humain. Autre grande différence, le deep learning repart de zéro à chaque fois et s’adapte. Donc pour un client A ou un client B, il n’a pas de contexte prédéfini, de conscience antérieure de ce qui a marché ou non. Car les entreprises, les marchés, les campagnes, les produits, les prix sont toujours différents.

Mais pourquoi êtes-vous les seuls à le faire ?

C’est une question que l’on nous pose souvent ! C’est une question d’histoire et d’évolution. Quand nous avons pris ce virage, RTB House n’était composée que de 400 personnes et nos concurrents étaient beaucoup plus importants. Nous étions donc, en tant que « grosse petite boîte », plus souples, et avons pu faire la transition sans nous asseoir sur des années de développement et d’investissements. Le deep learning demande une infrastructure très particulière, on ne peut pas faire de « transition douce » du machine au deep learning. C’est notre taille qui a permis cela.

Y a-t-il une grande différence de ROI ?

La question est difficile car la différence n’est pas suffisamment évidente pour débrancher une solution et passer à une autre. Tout dépend des canaux par exemple. Le retargeting peut se faire, sur le web, sur le web mobile ou in-app. Et in-app, nous sommes significativement meilleurs que nos concurrents, il n’y a pas photo. Pour les autres, ca peut dépendre des clients, des écosystèmes. Ce qui peut amener ensuite les clients à partager leurs budgets et solutions de retargeting entre différents acteurs. D’autant plus que, comme nous avons une technologie différente, nous reciblons des personnes qui n’auraient pas été visées par les solutions concurrentes et ajoutons ainsi de la valeur au levier « retargeting ». Il faut savoir qu’en retargeting, nous ne reciblons que 10 à 15 % des gens qui viennent sur un site, car les autres ne transformeront pas, ou pas suffisamment. Mélanger les deux solutions permet d’étendre l’efficacité et par exemple ajouter 5 % de cibles potentielles qui vont transformer ensuite, qui n’auraient pas été vues par les autres technologies. Ensuite, il faut voir aussi que la techno en elle-même ne fait pas tout. Il faut prendre en compte le service et l’accompagnement dans son intégration. Et modestement, c’est vrai qu’on nous reconnaît une bonne qualité de service. C’est un axe fort, car RTB House est un peu monomaniaque sur ce sujet. Mais c’est en ligne avec notre positionnement orienté sur les grands comptes. Nous ne privilégions pas la long tail, où les plus petits sites e-commerce, mais davantage les grandes structures sur le long terme. L’autre point, c’est aussi que nous sommes « monoproduit » en faisant exclusivement du retargeting et cela nous installe davantage en tant qu’expert.

Dans les médias, on ne vous entend pas beaucoup…

Oui, nous sommes plutôt « low profile », concentrés sur ce que nous faisons. Nos clients parlent de nous en bien, et le bouche-à-oreille est assez efficace.

Vous n’êtes pas présents au sein des instances représentatives…

Oui, c’était surtout du manque de temps. Mais maintenant que nous sommes plus installés, nous allons entrer à l’Alliance Digitale. C’est important pour l’écosystème et pour nous.

Ce sont les agences ou les annonceurs qui vous appellent ?

Tout dépend des secteurs. Historiquement, sur l’e-commerce, nos métiers ont été intégrés chez les annonceurs, donc on travaille davantage en retargeting en direct avec le client. Mais une fois que l’on s’occupe bien du bas du tunnel d’acquisition [proche de l’acte d’achat], c’est-à-dire de ce qu’il se passe sur le site, on cherche à remonter, pour faire de la considération de marque, de la génération de trafic, d’autant plus qu’on a les données acquises en bas de tunnel… Là, on travaille avec d’autres équipes, chez le client, qui elles, travaillent avec les agences. Dans ce cas-là, nous sommes amenés à travailler avec elles. C’est ce qui s’est passé avec la Redoute, par exemple. Nous travaillons avec eux en direct, mais aussi avec leur agence, Blue, chez Publicis, sur d’autres sujets plus larges. Pour d’autres secteurs, comme la banque et l’assurance, les métiers ne sont pas internalisés, et ce sont donc les agences qui nous appellent, pour la performance, au départ. Puis si la collaboration se passe bien, on peut être amené à travailler plus largement.

La fin du cookie tiers représente-t-elle un danger ?

La disparition du cookie tiers est assez logique. Cela fait vingt ans qu’il existe, il n’a pas été créé pour la publicité, et le rapport à la vie privée a changé. Ça me semble normal qu’on passe à autre chose et qu’on crée des outils plus pérennes pour les années à venir. Nous, nous sommes indépendants, pas cotés en Bourse, et les fondateurs ont la liberté de faire la stratégie qu’ils souhaitent. Nous avons 40 personnes dédiées à cela dans le monde, et dont l’essentiel travaille avec Google, au sein du W3C. C’est une chance d’avoir la taille suffisante pour investir aussi massivement sur le sujet, car ça ne peut pas être le cas de tout le monde et on en a conscience. Il existe une technologie de remplacement. Elle doit encore être testée en « réel » en janvier, quand ils supprimeront les cookies pour 1 % des utilisateurs.

Et en quoi consiste-t-elle ?

Aujourd’hui, le cookie tiers nous permet de cibler un internaute particulier, dont on sait qu’il est venu sur un site consulter tel ou tel produit. Mais ce n’est plus possible. Alors nous ciblerons des groupes d’internautes, classés par intérêts. Ils seront composés d’une cinquantaine de profils – le chiffre reste encore à déterminer précisément – mais ce qui est important, c’est que nous aurons les moyens de définir nos règles pour attribuer les profils à ces groupes. Pour faire les calculs de prédictions et savoir si cela vaut le coup de recibler, nous utilisons les données first party de l’annonceur. Cela ne changera pas. Nous ciblerons juste un groupe d’internautes plutôt qu’un internaute. Et nous pourrons faire autant de groupes que nous voulons, pour autant qu’ils aient une taille minimum, afin de masquer l’unité d’un internaute. Mais c’est RTB House qui définira ses règles. Cela se fera via un API de la Privacy Sandbox qui s’appelle Protected Audience.

Beaucoup de patrons prônent le retour au bureau, vous aussi ?

Nous sommes sur un modèle 100 % hybride. Ça veut dire que quand une personne nous rejoint elle a le choix de travailler au bureau, chez elle, une demi-journée par semaine, 2 jours, 3 jours, ça dépend des semaines, ça dépend des mois. Ce qui est très bien pour la jeune génération qui adore cela. Il y a quelques limites évidemment, mais de toute façon, il y a des limites à chaque modèle. Trop de télétravail pose des questions sur l’intégration, sur la culture d’entreprise. Cela peut créer un décalage d’information difficile à réaligner, mais c’est surtout sur la mobilisation d’énergie positive, la résolution de problème ou de conflit… C’est plus facile de s’envoyer des mots durs par mail qu’en face-à-face. Donc moi, je veux rester sur la ligne de crête, car je crois profondément au modèle hybride, et c’est notre avantage numéro 1 perçu par les collaborateurs. Mon but c’est d’inciter à faire venir les gens au bureau, mais pour les bonnes raisons. Pas pour contrôler ni fliquer les gens, ce qui peut être le cas dans certaines grosses entreprises. Nous accordons beaucoup de confiance et d'autonomie, même si nous avons l’avantage de recruter des personnes déjà expérimentées. Les plus jeunes ont déjà cinq ou six ans d’expérience. Je table sur le fait que c’est possible, même si je projette peut-être mon propre fonctionnement, et que tout le monde n’a pas la même approche ni la même facilité à télétravailler. Ce dont je suis convaincu, c’est qu’il faut travailler l’expérience au bureau. On peut comprendre que venir au bureau, enchaîner les appels et ne parler à personne, n’apporte rien et aurait pu être fait chez soi. Cela revient à avoir toutes les contraintes du bureau, les transports, le temps passé à venir, sans les bénéfices. Donc là, nous déménageons. Nous étions dans un espace We Work et nous arrivons chez Morning, qui est français mais avec le même fonctionnement. Cela va nous permettre d’avoir un étage à nous, avec une cuisine pour nous, une cafétéria, une salle de sport… Quelque chose qui va faire que l’expérience au bureau apporte quelque chose. Mais il faut comprendre que quand on est jeune parent par exemple, pour des enfants en dessous de 5 ou six ans, le télétravail est ultra-pratique, et on se dit qu’avant c’était infernal. On peut mieux s’organiser dans sa journée sans impact sur le travail. Cela ne change rien sur la productivité, mais ça change beaucoup sur le niveau de stress et l’état d’esprit. Et on ne peut pas pénaliser 95 % des gens pour une ou deux personnes qui peut-être peuvent tirer sur la corde. Tant pis pour eux s’ils ne peuvent pas tirer parti pleinement de cette organisation.

On a entendu que vous faisiez des « balades » avec vos collaborateurs…

J’ai eu cette idée via un des patrons de la start-up Alan, Jean-Charles Samuelian-Werve. Et je me suis dit que c’était vraiment une bonne idée. Je fais des points réguliers, mais le fait de sortir du bureau change les sujets de conversation. Cela permet d’alterner les sujets pro ou perso, selon les envies ou les besoins, sans forcer évidemment, mais s’ils ont un sujet sur le cœur, ça permet de créer les dispositions pour en parler. Sans agenda obligatoire, on peut parler de tout.

Chiffre clé

45 Effectif en France.

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