Après avoir été déconnecté puis reconnecté au DSP de The Trade Desk, Jérémy Parola, directeur des activités numériques à Reworld Media, revient sur cet épisode qui a questionné le monde de l’ad tech, et interroge sur la visibilité dans la publicité numérique.
Le 15 septembre, on a appris que vos inventaires étaient coupés du DSP de The Trade Desk, depuis plusieurs semaines. Que s’est-il passé exactement ?
JÉRÉMY PAROLA. Visiblement, c’est, comme dans beaucoup de cas de figure, surtout une question de processus et de communication entre toutes les parties. The Trade Desk a revu ses critères d’acceptation de diffusion des publicités. Ils ont d’ailleurs fait un énorme travail sur le sujet, et il faut le souligner. Certains critères sont vérifiés manuellement. Ils se basent sur des KPI très différents, et lorsqu’ils ont vu, de visu, qu’un de nos sites ne leur convenait pas, ils ont décidé de couper tous nos médias de leur DSP. De notre côté, nous ne nous en sommes pas rendu compte, car The Trade Desk représente moins de 1 % de nos achats dans les faits. Donc ce sont des choses que d’autres SSP ont vite remplacées, lors des bids. Le problème a été repéré par des agences médias qui ne pouvaient plus, via le DSP, avoir accès à des campagnes spécifiques pour leurs annonceurs, qui nécessitaient d’acheter sur nos médias. Quand vous êtes une agence média, et que vous cherchez à atteindre une cible Food, par exemple, vous ne pouvez pas vous couper du site Marmiton… Et là, les agences ne pouvaient plus placer de deals sur le site. Ce qui était pour eux très problématique. C’est en cherchant à résoudre cette question, posée par une agence média, que le problème plus général de la coupure totale de tous nos inventaires est remonté. Mais cela a mis plusieurs semaines. Depuis, nous avons pu entrer en contact avec les équipes de The Trade Desk et tout est rentré dans l’ordre.
Selon vous, toute cette histoire met aussi en lumière une problématique plus générale du marché sur la question de la visibilité. Quelle est-elle ?
Si The Trade Desk est attentif à ces critères, c’est pour rééquilibrer les rapports publicités/contenu sur les sites internet. Ce qui est en soi une bonne chose. Mais ce taux n’est pas adapté dans un monde ou la visibilité est le mètre étalon de toutes les performances de campagnes, pour nous, médias. C’est une question que l’on soulève, avec le groupe Reworld Media depuis plusieurs années. Tant que la mesure de la performance d’une campagne publicitaire sera purement mathématique pour les médias, on aboutira aux taux de visibilité. Et pour optimiser les budgets, les acheteurs seront incités à trouver le meilleur taux de visibilité pour leurs campagnes. Donc les publishers, en retour, seront incités à proposer ce meilleur taux… Et c’est ainsi que vous multipliez les formats sur les sites web. C’est un cercle vicieux sans fin où tout le monde est incité à n’acheter et ne proposer que de la visibilité, et à forcer l’internaute à voir la publicité, et donc à surenchérir sur les sites internet pour que les publicités soient visibles. Ça ne plaît à personne de faire des sites internets remplis de publicités, mais il faut bien payer les salaires, donc tout le monde joue le jeu… Seulement la visibilité ne peut pas être le seul KPI des campagnes !
Mais que faudrait-il faire alors ?
Selon moi, il faudrait impliquer les éditeurs davantage en amont, dans l’établissement de la campagne, pour partager avec nous les KPI de campagne davantage stratégiques de l’annonceur. En comprenant ce qu’il veut, nous pouvons travailler les formats de manière plus adaptée. Ainsi, nous aussi, nous pouvons travailler nos prix, en accord avec les KPI de départ. Par exemple, si une marque automobile veut vendre des tests de voitures en concession, la visibilité n’est pas forcément le meilleur critère. Et nous pouvons faire des campagnes avec des formats bien plus adaptés à son besoin précis pour générer des visites et des tests en concession. C’est un tout. Par moments, plus personne ne sait où sont les options, et tout le monde se retrouve à acheter ou vendre du média au kilo pas trop cher, en pensant que ça suffira.
Justement, on parle de plus en plus de mesure de l’attention, et beaucoup de travaux tentent de creuser ce critère. Ne serait-ce pas là une réponse à cette question ?
Dans l’intention, oui. Mais je dois avouer que cela m’inquiète un peu, car dans la mesure d’attention, l’élément le plus pondéré, à ce jour, ça reste la visibilité… Alors certes, on ajoute de l’eye-tracking, de la mesure d’émotion etc. Mais dans les faits, on se retrouve parfois avec exactement les mêmes problèmes que par le passé. Et les sites avec la moins bonne attention, sont ceux où le contenu est plus visible que la publicité… En tant que média, nous devons faire attention, car notre produit publicitaire doit être aussi addictif que les Gafa. Nous n’avons aucun intérêt à faire tout cela si c’est par pur intérêt de performance car les Gafa sont meilleurs à ce jeu. Ce n’est, selon moi, qu’en partageant les KPI primitifs des annonceurs et en reprenant le contrôle optimisé de nos produits publicitaires que l’on pourra assurer l’avenir de nos médias pour les prochaines années.