Rémunération des créateurs, intégration des appels, contenus exclusifs… Ces derniers mois, Elon Musk a intégré de nouvelles fonctionnalités à son réseau pour en faire une plateforme 360, à l'image de l'appli chinoise à succès, WeChat. Mais peut-il y arriver ?
C'est l’histoire d’un petit oiseau bleu qui voulait se muer en géant numérique. Avant son rachat de Twitter, Elon Musk s’était adressé aux employés du groupe le 16 juin 2022. Le milliardaire y donnait quelques indices sur ce qu'il entendait faire du réseau social. « En Chine, on vit essentiellement sur WeChat parce qu’il est tellement utile à la vie quotidienne. Je pense que si nous y parvenons ou si nous nous en approchons avec Twitter, ce sera un succès », a-t-il esquissé, selon les propos rapportés par les médias américains.
Pour les moins familiers des pratiques outre-occidentales, WeChat est LE réseau social en Chine. Un terme un peu réducteur pour la plateforme tout-en-un qui rythme la vie d’une population de 1,4 milliard d’habitants. Avec WeChat, ils peuvent communiquer grâce à une messagerie dédiée mais également commander un taxi, régler leurs factures d’électricité ou remplir une instance de divorce.
Elon Musk voit donc grand pour la plateforme qu'il a rachetée pour la somme mirobolante de 44 milliards de dollars en octobre 2022. Mais après un rachat tourmenté, des annonces en trombes et un changement de nom, Elon Musk est-il en mesure d’assouvir son ambition de plateforme globale ? Les professionnels sont partagés.
Proposer plus de divertissement et d’information
« Les critères [de positionnement pour un réseau social] devraient être que [les utilisateurs] soient divertis et informés. TikTok est intéressant, mais vous voulez aussi être informé sur des sujets sérieux. Et je pense que Twitter peut faire beaucoup mieux pour informer les gens », avait déclaré Elon Musk à ses employés.
Avec Twitter rebaptisé X durant l'été 2023, le milliardaire entend répondre rapidement à cette première ambition, avec davantage de diversité dans les contenus proposés. « Si vous êtes un journaliste qui veut plus de liberté pour écrire et avec de meilleurs revenus, alors publiez directement sur cette plateforme ! », a écrit le milliardaire sur son réseau social.
Un programme de rémunération des créateurs a été lancé pour les abonnés premium, avec un partage des revenus publicitaires, et les contenus exclusifs sont développés, par exemple autour du podcast. En écrivant «super podcast posté entièrement sur X !», Elon Musk semble vouloir inciter davantage de créateurs à publier le leur en natif.
Mais pour Cyril Vart, vice-président de Fabernovel, agence de conseil en transformation numérique et création de services innovants, les limites de cette transition concernent autant le contenu que la cible : « Le problème d’élargir sa cible, c’est qu’il faut trouver de nouveaux facteurs d’attractivité. Un réseau peut vite devenir un arbre de Noël en étant un peu tout et n’importe quoi. » Selon lui, X s’impose aujourd’hui davantage comme un lieu d’échange politique, d’influence et de réputation, où les politiques parlent au grand public et aux journalistes.
À chacun sa super app
Les ambitions d'Elon Musk ne sont pas si nouvelles que ça, comme le rappelle Pascal Malotti, directeur conseil de Valtech France : « C’est un vieux serpent de mer qui remonte à plus de 20 ans ! Elon Musk avait déposé un X.com pour PayPal à l’époque, avec déjà cette idée de plateforme qui peut tout faire, mais ses actionnaires l’avaient vite retoqué. »
De son côté, Meta a perdu quelques plumes avec un projet similaire. Le groupe de Mark Zuckerberg laisse derrière lui d’innombrables échecs de services périphériques qui auraient pu s’apparenter à l'ambition de bâtir une super app. « Le projet de site de rencontre à la Facebook, le service de paiement en ligne ou dernièrement le rétropédalage du fil news laissé en stand-by… Il y a un site qui répertorie les projets abandonnés par Meta et c’est un vrai cimetière », ironise Pascal Malotti.
Une gestion muskienne
Le spécialiste du numérique n’est pas très enthousiasmé : « Il y a plusieurs raisons pour ne pas croire dans ce projet, à commencer par la gestion d’Elon Musk. Que ce soit dans le management ou les annonces, il n’a fait qu’aggraver la situation de Twitter. » Dernier exemple en date, la communication maladroite sur le futur d’un X payant pour tous.
Selon lui, au moment où Elon Musk l'a racheté, le réseau social était déjà en crise en raison du faible nombre d’utilisateurs, qui stagnait entre 220 et 240 millions. Un chiffre qui n'est pas suffisant pour vivre de la publicité. Depuis, les recettes publicitaires aux Etats-Unis se sont encore davantage effondrées, baissant de 60% en neuf mois, de l'aveu même de son nouveau propriétaire.
La méthode même d'Elon Musk interroge. « Désormais, il y a plus de risques car ces dirigeants deviennent évangélistes de leurs produits et non plus seulement de la boîte », estime Cyril Vart, de Fabernovel. Dans le cas d’Elon Musk, il a cinq entreprises à promouvoir en permanence, soit autant de faux pas possibles. « Entre creuser des tunnels, envoyer des gens dans l’espace et animer un média, il y a quand même un gros stress de compétences et de variables. »
Forte concentration de plateformes
Malgré une mise en pratique très maladroite, Pascal Malotti estime que le fond du projet d'Elon Musk ne comporte pas que du négatif : « Intellectuellement, le constat d’un service technologique 360 est intéressant, avec une application pour tout faire, comme suivre du contenu, jouer ou commander un VTC… Mais il y a déjà une très forte concentration de plateformes et je ne vois pas comment une appli de microblogging [comme Twitter] peut progressivement se transformer en super app. »
Selon lui, « les plateformes ne peuvent pas tout faire et les internautes ont déjà leurs habitudes. Elles ne peuvent pas être changées en ajoutant simplement un service périphérique. » Alors faut-il voir dans le projet d'Elon Musk la chronique d’un échec annoncé ou le triomphe d’un rêve de plus de 20 ans ? La balle n’est plus dans le camp du tonitruant patron mais des internautes, smartphones à la main.