La société Ekimetrics a créé Climate Q&A, le « ChatGPT du Giec », qui permet de faire le tri parmi les rapports scientifiques sur le climat. Retour d’expérience du concepteur et d’utilisatrices.  

L’intelligence artificielle fait peur par sa capacité à remplacer l’humain, mais elle peut aussi être un outil pertinent dans le partage des connaissances sur le changement climatique. Le cabinet Ekimetrics, spécialisé dans la science des données au service des entreprises, a lancé cette année Climate Q&A (climateqa.com), immédiatement baptisé le « ChatGPT du Giec ».

Le site fonctionne comme le robot conversationnel d’Open IA, dont il reprend d’ailleurs la technologie, mais en puisant ses sources dans les derniers rapports du Giec, le groupe d’experts intergouvernemental sur le climat. On lui soumet alors une question par écrit, dans n’importe quelle langue, et il répond quasi instantanément en plusieurs points, en renvoyant à des liens pour en savoir plus. Gros plus par rapport à ChatGPT : les réponses sont sourcées, en citant les paragraphes des rapports correspondants.

« Les trois rapports du Giec de 2020 à 2022 correspondent à 14 500 pages en PDF. Personne ne les lit, pas même les scientifiques, explique Théo Alves da Costa, responsable data et IA chez Ekimetrics, à l'origine du projet. Le principe a été d’extraire chaque paragraphe par analyse d’images puis de rendre cette matière brute exploitable dans un moteur de recherche sous forme de réponses à des questions. Depuis le lancement en avril, nous avons apporté des améliorations suite aux retours des scientifiques. Nous avons inclus les notes de bas de page et nous avons introduit des reformulations. Par exemple, lorsque l'on demandait “quelles sont les causes du réchauffement climatique ?”, le moteur répondait indifféremment sur les causes naturelles et les causes humaines. Il propose donc une reformulation pour comprendre les causes actuelles depuis l’ère industrielle. » En revanche, l’outil ne permet pas de répondre à des questions précises non traitées par le Giec, comme « Quelle sera la température à Bordeaux en 2050 ? ». Il renvoie dans ce cas à d’autres sites.

S’il ne collecte pas de données sur ses utilisateurs, Ekimetrics a compté 25 000 curieux dans les trois premiers mois d’existence de Climate Q&A, grand public mais aussi journalistes, consultants et scientifiques. Valérie Masson-Delmotte, l’ancienne coprésidente du groupe 1 du Giec, a elle-même salué l’intérêt de cet outil, qui rend lisible et appropriable la masse de données des rapports scientifiques.

Des réponses précises

Vanessa Vierling, cofondatrice et CEO du cabinet de conseil en innovation Spring Lab, l’a adopté pour accompagner ses clients : « Je l’utilise pour avoir un argumentaire précis sur des questions techniques. En dermo-cosmétique, je peux lui demander quels sont les alternatives à l’avocat comme matière première naturelle, en alimentaire, quel est l’impact d’une vache du Brésil par rapport à une vache du Limousin. Les réponses ne sont pas forcément univoques mais on peut au moins trouver des arguments. »

La dirigeante a aussi recours à ChatGPT pour des recherches plus globales, mais sur le climat, l’outil d’Ekimetrics est devenu indispensable « pour contrer le climato-scepticisme et développer la culture générale des équipes. Les causes du réchauffement climatique sont nombreuses, interdépendantes et complexes. Climate Q&A permet d’avoir très vite accès à des ressources qualifiées et précises. Cela me fait gagner un temps fou », affirme Vanessa Vierling.

« C’est comme Wikipedia, on peut se perdre de liens en liens, témoigne Morgane Pomé, consultante au cabinet Talan. Je réalise un mémoire sur l’éco-anxiété dans les entreprises, et je lui ai demandé quels sont les impacts psychologiques ou physiologiques de l’éco-anxiété sur l’être humain. ChatGPT ou Bard de Google sont aussi des outils intéressants, mais Climate Q&A a le gros avantage d’être sourcé et spécialisé sur le changement climatique. Pour des clients qui ont des questions très précises, c’est précieux. »

D'autres applications à l'étude

La puissance de la technologie permet déjà d’envisager d’autres applications : par exemple, un moteur de recherche pour s’y retrouver dans l’empilement des réglementations françaises et européennes, qui représentent une somme d’informations gigantesque à traiter pour les entreprises (et les journalistes !). Avec la difficulté inhérente à cet exercice : trouver les sources incontestables sur le sujet. « Effectivement, on pourrait l’appliquer aux textes de loi, dans la perspective de la CSRD, la directive européenne sur le reporting extra-financier qui va s’imposer aux entreprises, acquiesce Théo Alves da Costa. Les directions RSE connaissent leurs sources fiables, mais les PME ne savent pas par où commencer dans leur décarbonation. »

Est-ce à dire que l’intelligence artificielle pourrait remplacer les consultants, en faisant le travail de défrichage réalisé par l’humain ? Le responsable n’y croit pas : « L’IA est un premier point d’entrée mais elle ne remplace pas l’accompagnement d’un consultant dans la transformation d’une organisation. » Ekimetrics voit déjà plus loin : remplacer l’API de ChatGPT par un moteur de recherche en open source, communautaire et participatif ; travailler avec les chercheurs pour avoir accès directement à leurs données brutes plutôt qu’à un PDF, pour zapper l’étape de conversion d’images.