En aidant les émeutiers à s'organiser ou en viralisant des images de violence, les plateformes comme Snapchat et WhatsApp ont joué un rôle dans les événements qui secouent la France depuis le 27 juin. Explications avec Tristan Mendès France, spécialiste des cultures numériques et de l’extrémisme en ligne.
Quel est, selon vous, le rôle des réseaux sociaux dans les émeutes urbaines qui secouent la France depuis le 27 juin ?
Tristan Mendès France : Pour l’instant, on n’a pas assez de recul pour mesurer précisément l’impact des réseaux sociaux sur ces émeutes. Les plateformes sociales ne font qu’amplifier un mal qui préexiste. Cela étant, on sait évidemment qu’elles ont été utilisées de façon très significative par les émeutiers. Il y a un aspect opérationnel à souligner dans cette séquence, avec l’utilisation du dispositif proposé par le réseau social Snapchat, qui permet de géolocaliser des zones de viralité sur une carte. Les émeutiers peuvent alors rejoindre facilement les lieux de pillage ou les regroupements face aux policiers. La deuxième fonctionnalité offerte par Snapchat, c’est celle qui permet de géolocaliser ses amis en temps réel. Ces deux choses ont pu faciliter l’organisation et la coordination de certains des émeutiers. La plateforme WhatsApp, de son côté, permet une viralité «affinitaire», qui correspond aux vidéos que l’on va envoyer à ses proches, ou qu’on a reçues et que l’on relaye. Je pense que ça a eu un rôle viral dans les émeutes.
Quelles sont les conséquences de cette utilisation de ces plateformes sociales ?
Les contenus concernant les émeutes sur les réseaux sociaux ont permis à d’autres communautés de venir se greffer à ce moment viral. Cette production sur les réseaux sociaux a aussi été instrumentalisée politiquement par des communautés idéologiques proches de l’extrême droite, qui ont cherché à tirer bénéfice de la viralité de ces contenus pour les relayer à leur tour. Il y a des communautés complotistes qui ont cherché à surfer sur ce moment en essayant de pousser des narratifs complotistes, en déclarant notamment que l’État était derrière les émeutes. Il y a également des acteurs étrangers appartenant à l’extrême droite qui ont essayé de récupérer le buzz de ses images pour nourrir leur propagande de guerre civilisationnelle ou de race. Je pense notamment à l’extrême droite britannique ou encore américaine. Enfin, il y a des acteurs étatiques qui ont essayé eux aussi de surfer sur ces violences. Là je pense à l’Iran, qui a interpelé la France en lui demandant de ne pas maltraiter sa population.
Est-ce qu’il ne faudrait pas encadrer davantage la diffusion de certaines informations sur les plateformes sociales ?
Certaines des informations qui circulent sur les plateformes sociales sont déjà interdites par la loi. Le problème, c’est l’application de la loi sur les plateformes. Je ne suis pas certain que les interdire soit faisable par rapport à notre droit actuel, ni souhaitable parce que les seuls pays de la planète à bloquer les réseaux sociaux sont en général des régimes autoritaires.
Après, il y a une relation ambigüe entre certains émeutiers et les plateformes. Certains veulent se mettre en scène pour faire du clic, d’autres ne souhaitent pas être filmés par peur d’être identifiés, notamment lors des pillages. J’ai vu passer des vidéos de personnes qui se faisaient malmener parce que, justement, elles filmaient les émeutes. Il faut savoir aussi qu’une bonne partie des vidéos qu’on a vu circuler ne sont pas les faits des émeutiers, mais plutôt des passants.
Quelle solution en lien avec les réseaux sociaux pourrait aider à apaiser les tensions ?
Il faut responsabiliser les plateformes pour qu’elles appliquent enfin leurs propres conditions d’utilisation, qu’elles mettent plus de gens et plus d’argent dans la modération. Beaucoup des contenus problématiques, notamment les appels à la violence, sont déjà contraires aux conditions d’utilisation des réseaux sociaux. Il faudrait responsabiliser encore plus les réseaux sociaux.