La plupart des candidats à la présidence de la République française ont créé un compte TikTok, plus ou moins actif, et au succès variable. Pourquoi le réseau social des jeunes s'habille-t-il autant les politiques ? Quel impact peut-il avoir sur la campagne présidentielle ? Éléments de réponse.
Près de 40 000 personnes suivent ses vidéos sur TikTok. Thonia Fr est l'un des visages jeunes et féminins du candidat Éric Zemmour à l'élection présidentielle de 2022. Membre des mouvements « Génération Zemmour » et « Les Femmes avec Zemmour », l'influenceuse, très populaire dans le milieu de l' ultra-droite, maîtrise tous les codes de sa génération sur le réseau social le plus en vogue du moment. Un atout considérable pour se frayer un chemin dans ce qui apparaît souvent comme une jungle inconnue pour les adultes et autres « boomers ». TikTok, c'est le site le plus visité au monde en 2021, l'application la plus téléchargée, c'est 732 millions d'utilisateurs actifs par mois à l'échelle mondiale, 11 millions en France. Un véritable phénomène qui comporte sa propre grammaire, ses usages et ses tendances.
Si les influenceurs s'activent sur le réseau, les candidats eux-mêmes ont l'impact que pouvaient avoir une présence sur TikTok. « 62 % des utilisateurs sont en âge d'électeur , rappelle Robin Coulet, fondateur et dirigeant de l'agence Conversationnel. Ce n'est pas étonnant que les politiques lorgnent ce réseau qui garantit une cible stratégique qu'il faut aller conquérir, notamment par rapport au phénomène d'abstention. »En effet, les jeunes citoyens, les moins politisés, plus polyvalents et indécis, constituent une audience malléable qu'il convient d'aller rencontrer sur son terrain numérique. Parmi les candidats, tous ne sont pas présents sur TikTok. Par ordre de nombre d'abonnés, nous avons identifié Emmanuel Macron, bien sûr, le président sortant pas encore déclaré à sa réélection à l'heure où nous écrivons, qui compte 2,8 millions d'abonnés, Jean-Luc Mélenchon (près d '1 million d'abonnés), Éric Zemmour (156 000), Christiane Taubira (115 000), Marine Le Pen (71 000), Florian Philippot (20 000), Valérie Pécresse (500), Yannick Jadot (350), François Asselineau (200), Philippe Poutou (180) et Nathalie Arthaud (160).« Depuis septembre, on observe une prise de conscience des plus gros candidats sur le fait que non seulement TikTok devient un réseau social à part entière, mais surtout qu'il y a une vraie place à prendre en étant le premier à s'y réussir. Loin du côté institutionnel que sont devenus les Twitter et les plateformes du groupe Facebook, TikTok apporte un vent de fraîcheur et de spontanéité » , analyse Jérémy Boissinot, PDG et cofondateur de Favikon, qui a publié fin décembre son Observatoire des personnalités politiques sur les réseaux sociales.
Pour autant, faut-il nécessairement être sur TikTok et à quel prix ? La plateforme qui fait la part belle au divertissement et au divertissement à la danse est-elle un espace d'expression digne pour un prétendant au statut de président de la République ? « Il est certain qu'il y a un côté désacralisation , admet Jean-Baptiste Bourgeois, directeur des stratégies de l'agence We Are Social. En comparaison avec d'autres réseaux comme Instagram ou Twitter, sur TikTok, il faut lâcher le contrôle sur l'image et au contraire travailler la proximité et l'authenticité. »Dès lors, inutile de venir face caméra réciter des soirées de son programme, ce qui fonctionnera ici sont les gags, les détournements de tendances et les challenges. On le voit chez Jean-Luc Mélenchon par exemple, que l'on a envie de comparer au même internet du « Grumpy Cat », qui a basé sa ligne éditoriale sur des punchlines en mode « râleur » contre le gouvernement en place. Comme lorsqu'il souffle ostensiblement en visionnant le discours d'Emmanuel Macron sur la présidence française du Conseil de l'UE, par exemple. Côté Éric Zemmour, le choix éditorial s'est porté sur le fait de montrer « ce qu'on ne voit pas à la télévision » . Le candidat y commente les courts extraits de sa campagne de terrain ou des extraits de passages télévisés.
Ludique et informatif
Le bon exemple en la matière, cité par tous les experts, est Jean-Baptiste Djebbari , chargé des Transports au sein du gouvernement. Sa recette : se mettre en scène autour de différentes thématiques, toujours en rapport avec son ministère, et toujours en surfant sur les différentes tendances à la mode. Exemple : lorsqu'il s'approprie la tendance « Quoi ? Suis-je ? » avec ce dialogue : « Vous y connaissez en transports ? » « Quoi ? Si moi je m'y connais en transports ? On laisse descendre les gens avant de monter. » Ou encore : sur « White Woman's Instagram - Bo Burnham », une présentation de son bureau, avec le portrait du président, des montagnes de dossiers, un carton illisible… Et une improbable statuette d'aigle argenté. Avec ses 693 000 abonnés, on peut dire que Jean-Baptiste Djebbari cartonne. Chacune de ses vidéos devenant systématiquement virale, avec une moyenne de 500 000 vues. Son cabinet assure dans la presse que ses vidéos servent à « montrer l'activité au quotidien du ministère » . Pour résumer, les bonnes pratiques à retenir de l'inspirant ministre des Transports sont : une bonne dose de créativité, une part importante d'autodérision, une veille assidue des tendances et donc une connaissance très fine des codes du réseau, le tout en respectant la dignité qui appartient à son poste.
« À l'inverse, le mauvais comportement serait d'utiliser un ton inapproprié au statut de politique », prévient Jean-Baptiste Bourgeois de We Are Social. Ce sont les mêmes mécaniques que pour les marques, les politiques doivent garder une certaine stature et ne pas sortir de leur fonction. » Et en effet, lorsque Marlène Schiappa, ministre déléguée chargée de la Citoyenneté, s'empêtre dans un bad buzz pour avoir vanté les mérites d'un lissage brésilien, on comprend que le public n'est pas du tout disposé à voir les politiques jouer les influenceurs. « Qui dit TikTok ne dit pas imposé de superficie », avise Ronan Le Goff, directeur associé de l'agence de communication digitale La Netscouade.Le format court peut tout à fait permettre aux candidats d'aborder des éléments de leur programme, de leur vision. À l'instar du président lui-même qui s'était prêté à un exercice de questions-réponses autour du thème du Covid-19 qui avait eu beaucoup de succès. » D'ailleurs, de plus en plus, on trouve sur TikTok des vidéos informatives, notamment de la vérification de fake news, de l'analyse de discours, etc. Ludique mais pas que, droit au but, avec des fonctionnalités participatives, TikTok constituent un espace d'engagement puissant… À suivre de près.