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En 2016 déjà, Stratégies imaginait la fin de Twitter. Une enquête à relire aujourd'hui alors que la question se pose plus que jamais suite au rachat de la plateforme par Elon Musk. Imaginons un monde sans tweets... pour mieux comprendre à quoi ils servent.

Les chiffres ne font pas tout. Après avoir annoncé la meilleure performance de son histoire, avec un chiffre d’affaires de 2,2 milliards de dollars et 130 000 annonceurs actifs, Twitter inquiète pourtant plus que jamais. Depuis 2013, le réseau social à l'oiseau bleu a vu 80% de sa valeur financière s’envoler en fumée. Il peine à satisfaire ses investisseurs. Pas un centime n’a été gagné depuis sa création en mars 2006. Sa perte s'élevait à 521 millions de dollars en 2015.

Pour ne rien arranger, l'équipe dirigeante vient de connaître de sérieuses turbulences. En janvier dernier, quatre vice-présidents et le directeur de Vine – l’application vidéo rachetée en 2012 - ont quitté le nid. Cette valse dévoile l’embarras du réseau social à trouver un modèle de rentabilité. Pour cela, il faut changer. Mais difficile de transformer un symbole. Les mots «tweet» et «hashtag» sont rentrés dans le dictionnaire en 2012, sans que leur définition ne mentionne… Twitter. Et si cet outil du quotidien disparaissait ! 

Un choc psychologique

Twitter est le symbole de l’homme connecté. Une personnalité se fait railler quand elle n’a pas de compte Twitter. Le réseau porte avec lui la puissance du monde moderne. Dans l’imaginaire, ne pas être sur Twitter, c’est ne pas comprendre le web. Et couper Twitter, c’est couper le Net ? «Ce serait d’abord un choc dans la planète digitale. Les réseaux sociaux, dans nos têtes, font partie du monde de demain. De ces acteurs qui ont un dynamisme et un état d'esprit qui en fait des précurseurs», augure Julien Féré, directeur de la stratégie chez KR Media.

Et si Twitter emmenait dans sa chute la confiance en l’avenir digital ? Et par là les start-up, qui vendent des promesses de beaux jours pour mieux lever des fonds ? «Je ne pense pas que cela influencerait les investisseurs, affirme Jim Edwards, journaliste d’investigation et fondateur de Business Insider UK. Twitter n’est symbolique que pour les personnes qui attendent quelque chose d’un réseau social. Au reste, ce n’est pas avec 300 millions d’utilisateurs que vous avez du poids. Il faut être plus proche du milliard, comme Facebook.» Une catastrophe, peut-être, mais limitée aux twittos ? Twitter reste circonscrit à sa communauté et n’a pas gagné d’abonnés en 2015, avec 320 millions d’utilisateurs dans le monde, dont 7 millions en France, avec moitié moins d’actifs. C’est justement tout l’enjeu de sa monétisation (voir encadré).

Un média en moins

Pour les marques, «le site a du mal à rivaliser avec des campagnes Facebook où les audiences sont parfois comparables à celles de TF1, affirme Nicolas Lévy, directeur du planning stratégique chez Marcel. Facebook a su devenir un média de masse digitalisé, surtout en intégrant mieux la vidéo.» Twitter, média d’influence, n’a pas la reconnaissance d’un grand média publicitaire. Le prochain lancement du format «first view», une vidéo déclenchée automatiquement en début de timeline disponible une journée pour les annonceurs, changera-t-il la donne ? Malgré une audience restreinte, le site fait valoir la qualité de son ciblage et a introduit la facturation à la performance en janvier 2015.

«Nous misons sur le luxe, affirme Twitter France. Notre audience CSP+ et prescriptrice correspond à celle que visent ces marques.» Comme le champagne Krug, qui s’offre en ce moment une campagne exclusivement sur Twitter. Cependant, «en termes de ROI [retour sur investissement], la majorité des annonceurs se rendent compte qu’ils préfèrent viser plus large et avoir de la déperdition», affirme Julien Féré (KR Media).

Le volume reste la clé et les ROI sont meilleurs. «En e-commerce, Twitter n’amène pas beaucoup de trafic», concède Olivier Mathiot, coprésident de France Digitale et cofondateur de Price Minister (Rakuten). Idem pour les médias. «Pour la diffusion et l'audience, ce ne serait pas tellement un enjeu, estime pour sa part Samuel Laurent, journaliste au Monde, responsable du site de fact-cheking Les Décodeurs. Twitter n'a jamais été une “machine à clics”, comme peut l'être Facebook.» Alors, s’ils ne cliquent pas, que font les twittos ? Et en cas de coupure, où iraient-ils ?

La fuite

Passé les larmes des plus émotifs, les twittos devront palier le manque par des dérivatifs. «Je pense qu’il y aurait une fuite massive vers Facebook», augure Jim Edwards. Mais pour y trouver quoi ? «Aucun réseau ne gère l’instantanéité aussi bien que Twitter», affirme Thierry Heems, responsable de clientèle chez Elan-Edelman. «Snapchat, plus personnel et divertissant, pallierait l’usage des adolescents en tant qu’outil de communication», affirme Julien Féré. Mais ils ne l’utilisent que pour une communauté restreinte et privée.

Pour beaucoup d'autres utilisateurs, le site est devenu un «reader» personnel, en plus humain. Ce qui explique qu’un abonné sur deux ne tweete pas… «Dans ma pratique professionnelle, ce serait assez ennuyeux, concède Samuel Laurent. Twitter est vraiment devenu un outil équivalent aux fils d’agences», affirme le journaliste. Cette instantanéité et cette concision ont rebattu les cartes médiatiques et le jeu des revues de presse. Les agrégateurs d’actualité ne combleront jamais cela.

La fin d'une arène unique

Le rôle démocratique de Twitter n'est plus à démontrer depuis les révolutions arabes et plus récemment les attentats de Paris. «Sans Twitter, je n’aurais pas eu la composition du nouveau gouvernement en même temps que les médias», affirme Emmanuel Robinson, directeur-conseil chez Thomas Marko & Associés. Cette horizontalité médiatique constitue la base de son succès, et fait qu’il ne peut devenir payant. «Il est devenu le symbole de la liberté d’expression, d’une nouvelle démocratie», explique Nicolas Lévy, de Marcel. C’est pourquoi on y retrouve beaucoup de personnalités politiques. «Une campagne électorale ne se gagne pas sur Twitter, mais ne peut pas se gagner sans Twitter», affirme Gilles Boyer, directeur de campagne d’Alain Juppé pour les primaires Les Républicains, interrogé par Stratégies. Il n’existe pas d’autre arène comparable à la cour des tweets, où les débats foisonnent.

«Sur les plateaux télé, à la radio, les questions des internautes se font via Twitter, note François Peretti, planneur stratégique chez La Chose. Idem pour les listings du type “le web s’enflamme” qu'on trouve sur internet.» Facebook, via son algorithme, rejoue le rôle de média en triant les informations. Twitter non. La seule ligne éditoriale étant celle de l’utilisateur qui choisit ses comptes abonnés. «C’est tout l’avantage du système de non-réciprocité – le fait de pouvoir se connecter à quelqu’un sans qu’il se connecte en retour, affirme Thierry Heems (Elan-Edelman). Et qui a donné tout son sens à la définition de l’influence où chacun peut publiquement jouer un rôle par ce qu’il a à dire.»

Un précieux outil de veille pour les marques

Cette utilisation en a fait un outil de veille très puissant et gratuit pour les marques. «En termes de “brand equity”, elles ne perdraient pas grand-chose, affirme Nicolas Lévy. Sinon un endroit de moins pour interagir avec les consommateurs. En revanche, le site a révolutionné les groupes qualitatifs. C’est un outil d’écoute des clients très important.» Il est essentiel dans la relation client.

«Il crée plus de proximité, explique Anne-Sophie Pouyau, international senior customer service manager pour L’Occitane, qui a remporté le Trophée Qualiweb Cross Media de la relation client. Contrairement aux idées reçues, Twitter est perçu comme plus humain que les canaux traditionnels. L’accès est facile, la discussion est spontanée et transparente [car publique] et traduit l'authenticité de la marque. Mais si Twitter disparaissait, nos clients trouveraient un autre média pour nous interpeller.» Via les applis de messageries comme Wechat ? «C’est sur ce modèle qu’en Asie, l’e-commerce fait sa relation client», affirme François Peretti. 

Coup de froid sur le web

Couper Twitter, c’est aussi couper le thermomètre du web. Son exhaustivité fait sa neutralité, sa concision son efficacité. «Il est devenu le passage obligé. Un buzz commence sur Reddit, mais doit être adoubé par Twitter avant d’atteindre les autres plateformes», analyse Nicolas Lévy. La communauté Twitter est peut-être restreinte, mais «sa prescription est de 149, pour un indice 100», détaille Twitter France. C’est tout le paradoxe : ce chantre démocratique est devenu prince dans l’écosystème numérique. Sa communauté, une sorte de caste d'élite informée avec ses codes.

«Toutes ces contraintes rebutent les nouveaux entrants, elles intimident. Ils pensent ne pas pouvoir émerger dans cette sphère d’influence», analyse Nicolas Lévy, de Marcel. Ou appréhendent mal le flux continu et instantané d'informations. Du coup, Twitter envisage de trier les tweets. Mais un algorithme remettrait en cause sa fonction première. Le réseau se contentera finalement de ne sélectionner que quelques tweets en haut de la timeline habituelle.

Une disparition impossible, finalement ?

«Twitter n’est pas un service public, rappelle le conseiller Gilles Boyer. Et son avenir dépendra de sa viabilité économique.» Mais «Twitter ne peut pas disparaître», affirment tous les interviewés. Ses usages l’ont désormais dépassé. «Le besoin qu’il a créé lui survivra quoi qu’il arrive, affirme Sandrine Plasseraud, fondatrice et directrice générale de We are Social. En cas de rupture trop forte dans ses fonctionnalités, ou suite à une fermeture, un autre outil naîtra. On peut imaginer un Twitter participatif 2.0, comme Wikipedia.»

Un rachat le sauvera peut-être avant pour l’intégrer dans un autre réseau social. «Dès le départ, c’était dans le projet des fondateurs de créer un outil fait pour et par la communauté, continue Sandrine Plasseraud. Les fondateurs ont toujours été à l’écoute. Sans imposer de changements, comme a pu le faire Facebook, parfois dans la douleur.» Mais ils ont l’air cette fois-ci, au pied du mur… Twitter. 

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