A l'occasion de l'élection présidentielle de 2022, Ronan Le Goff, directeur associé de La Netscouade, décrypte pour Stratégies la campagne numérique des candidats. Voici l'épisode 4, consacré aux nouvelles plateformes utilisées par nombre de candidats, TikTok et Twitch.
C’est un lieu commun de toutes les campagnes présidentielles : l’élection, dit-on, va se «jouer» sur Internet. Tous les cinq ans, un nouveau réseau apparaît dans les radars médiatico-politiques et fait saliver les commentateurs. En 2022, les analyses convergent : ce serait sur TikTok et Twitch que la campagne numérique va s’emballer.
«La présidentielle 2022 se joue aussi sur TikTok», annoncent Les Echos. Et de fait, le réseau est colonisé par les candidats. Macron, Le Pen, Pécresse, Zemmour, Mélenchon, Jadot, Taubira, Roussel, Philippot, Asselineau, Arthaud : 11 prétendants à l’Elysée possèdent un TikTok, devenu un passage obligé pour les candidats en quête de vote jeune. Alors que les 18-24 ans se sont abstenus à 84% lors des dernières régionales, le réseau apparaît aux yeux des équipes de campagne comme une (cynique) clé d’entrée vers cette réserve de voix abstentionniste.
Mais dans les faits, quel est le retour sur investissement ? Combien d’électeurs mettront un bulletin dans l’urne après avoir vu Jean-Luc Mélenchon boire un lait fraise ou Éric Zemmour faire un strike au bowling ? Les millions de spectateurs de ces vidéos à succès ont-ils seulement l’âge pour aller voter ? Qu’espèrent Yannick Jadot (350 abonnés) et Valérie Pécresse (500 abonnés) en ouvrant un compte à l’audience famélique ? Il faut s’y résoudre : à quelques exceptions près (le ministre des Transports Jean-Baptiste Djebbari), les politiques ne sont pas des influenceurs sur TikTok, un réseau où règne une grammaire très spécifique, à des années-lumière des éléments de langage calibrés pour les plateaux télé.
Les messages relayés par les militants et sympathisants
Pas question, pour autant, d’ignorer la conversation sur une appli devenue en 2021 le domaine internet le plus visité au monde (devant Google et toutes ses applications !). Les candidats ont tout intérêt à ce que des militants et des sympathisants y relayent leurs messages. Mais l’entrée dans l’atmosphère tiktokienne ne s’improvise pas, comme en témoignent les arrivées de Yannick Jadot et Valérie Pécresse. Les stratégies à courte vue des TikTokeurs de la dernière heure sont vouées à l’échec. Les réseaux sociaux se labourent sur le long terme, à travers un minutieux et patient travail de terrain.
Pour tenir le haut du pavé sur un réseau social, il faut déjà y avoir fait communauté, en y étant implanté depuis de longs mois, bénéficier du soutien de troupes solidement installées, avoir assimilé la grammaire propre du réseau et s’y sentir à l’aise, sans forcer son naturel. Trop souvent, les candidats sont sur TikTok parce qu’il faut y être, sans avoir théorisé leur présence : est-il question de travailler la notoriété ou de faire preuve de pédagogie, d’acculturation politique auprès des jeunes ?
Seule la France Insoumise peut se targuer d’avoir effectué ce travail en amont, lui permettant aujourd’hui d’afficher une stratégie cohérente sur TikTok, avec une ligne éditoriale différenciée entre le compte de Jean-Luc Mélenchon (axé autour d’un travail d’image sur sa personnalité) et les comptes Mélenchon2022 et L’insoumission (consacrés à des contenus pédagogique sur des questions programmatiques). Éric Zemmour profite de son côté de l’effervescence en ligne autour de sa candidature depuis l’été 2021 et peut ainsi se reposer sur des micro-influenceurs comme Thonia.
Une infinité de contenus d’influenceurs
Sur TikTok, la conversation sur l’élection n’est pas tant portée par les candidats que par une infinité de contenus d’influenceurs (La Minute politique, HugoDécrypte, La politique de Mat…) dont l’audience agrégée surpasse celle des comptes des candidats. En politique, il n’est pas question d’acheter un influenceur comme le ferait une marque de cosmétique. La loi électorale française ne le permet pas et ce serait probablement contre-productif. Une génération (plus ou moins) spontanée de comptes influents sympathisants, qui assure le relai de la parole, est préférable mais suppose un travail de fond qui, trop souvent, n’a pas été effectué.
Le constat est le même sur Twitch. «Il n'y a pas de campagne numérique sur Twitch», tranche le streamer politique Jean Massiet. «Pour une simple et bonne raison, c'est qu'il n'y a qu'un seul candidat à l'élection présidentielle qui a une activité sur Twitch un peu sérieuse, c’est Jean-Luc Mélenchon.» Le leader de la France Insoumise, qui a développé le format Allo Mélenchon, n’est plus tout à fait seul. Yannick Jadot a effectué son premier live Twitch le 17 janvier, teasé avec un slogan qui en dit long sur la difficulté à appréhender ce nouveau média : «On ne naît pas Twitcheur, on le devient !»
Jean Castex, invité à deviser devant l’écran de Samuel Etienne en mars 2021, n’est pas né Twitcheur… mais ne l’est pas non plus devenu. L’expérience, peu concluante, n’avait pas permis au Premier ministre de sortir de son costume étriqué d’homme politique. De prime abord, Twitch semble pourtant être un terrain favorable pour les hommes politiques : le temps d’attention est long (bien supérieur à TikTok) et la scénographie, fondée sur l’interaction, rappelle par certains aspects des formes médiatiques traditionnelles comme les questions d’auditeurs dans la matinale de France Inter ou les interviews par les lecteurs du Parisien.
Appréhension des invités
En pratique, ce n’est pas si simple. Dans son talk-show Backseat, Jean Massiet reçoit chaque semaine une personnalité politique et observe les difficultés et les appréhensions de ses invités : «Christophe Castaner, par exemple, avait préparé pendant plusieurs heures l'émission avant de venir. Après l’émission, il m’a confié avoir été beaucoup plus stressé que pour la matinale de France Inter. Cette émission est pour eux un territoire inconnu, avec une manière de parler cash qui les force à sortir de leurs phrases toutes faites calibrées pour les matinales radio.»
A défaut de devenir des influenceurs, les candidats à la présidentielle devraient au moins faire du social media training, afin d’appréhender les grammaires des différents réseaux sociaux et faire l’impasse, au besoin, si le gouffre est trop grand. Publier peu mais publier bien, à l’endroit choisi, avec une stratégie établie.
Jean Massiet acquiesce : «De manière un peu provocatrice, je dirais qu’en 2017, François Fillon avait effectué une des meilleures campagnes numériques. Simplement parce que sa campagne n'était pas trop numérique ! En la matière, ne rien faire est parfois mieux que mal faire.» Pour la grande majorité des candidats, la campagne ne se jouera pas sur TikTok ou Twitch. Et c’est sans doute mieux ainsi.
Lire les épisodes précédents :
- Episode 1 : Sur le web, la campagne pour 2022 est déjà bien lancée
- Episode 2 : Les initiatives citoyennes aux avant-postes pour réparer la démocratie
- Episode 3 : La data au coeur de la bataille présidentielle