À quelques jours de l’élection présidentielle américaine, le combat entre les candidats Harris et Trump se joue aussi sur le terrain de la publicité, à grands coups de coups bas et de dollars. 8e épisode de la chronique de Ronan Le Goff, co-directeur de La Netscouade.
« Kamala Harris soutient Israël ». La pub a inondé les comptes Snapchat du Michigan, ciblant tout particulièrement les quartiers à dominante musulmane. Pendant ce temps, le même super-PAC (comité d’action politique), financé par Elon Musk, achetait des impressions Snapchat en Pennsylvanie, autre Etat-clé, en visant cette fois la communauté juive, avec un message diamétralement opposé : « Kamala Harris soutient la Palestine, et pas notre allié Israël ». Cette publicité à deux facettes est normalement invisible du grand public, mais a été débusquée grâce à l’abnégation d’un journaliste de 404 Media. Un exemple des dérives du micro-targeting par code postal, qui se développe formidablement pendant ces élections.
An Elon Musk-funded PAC is microtargeting Muslim people in Michigan and Jewish people in Pennsylvania with opposite messaging about Kamala Harris using ZIP code targeting, according to data I pulled from Snapchat. Few things from this investigation:https://t.co/Ki38iCiIJu
— Jason Koebler (@jason_koebler) October 18, 2024
La puissance politique du « ZIP code »
Le code postal est devenu un enjeu majeur dans les campagnes politiques modernes. Ce découpage géographique, banal en apparence, est au cœur de la personnalisation des messages politiques. Chaque zone postale ayant ses propres caractéristiques démographiques, économiques et politiques, le « ZIP code » est devenu un filtre essentiel pour ajuster le ton, le contenu et le timing des publicités. Cette granularité permet aux candidats de maximiser leur efficacité tout en réduisant les dépenses inutiles dans des zones qui ne présentent pas d’enjeux stratégiques.
Conséquence : les publicités télévisées ne sont plus que la face visible de la redoutable bataille que se livrent les deux camps pour cibler les indécis et développer le fundraising. Une grande partie de la campagne se déroule complètement sous les radars, avec ces publicités digitales micro-targetées. « Les publicités dont tout le monde parle ne sont pas toujours celles dans lesquelles le plus d’argent est investi », explique le data-analyste Andrew Arenge.
Kamala Harris mise tout sur la pub digitale
Le micro-targeting n’est pas nouveau, mais 2024 marque un changement profond du rapport de force sur ce marché. En 2016, Donald Trump s’était hissé à la Maison-Blanche en usant et abusant des méthodes troubles de Cambridge Analytica et de son robinet de publicités Facebook. En 2020, les deux camps avaient joué à peu près à armes égales, dépensant chacun entre 75 et 85 millions de dollars sur Facebook et Instagram. Cette année, de manière significative, c’est le camp démocrate qui se jette à corps perdu dans la bataille de l’hyperlocal digital.
Dans la semaine décisive suivant le débat télévisé entre les deux candidats, Kamala Harris a dépensé 20 fois plus sur Facebook et Instagram que Donald Trump, a montré le New York Times. Dans certains « swing states », où la vice-présidente a particulièrement appuyé ses efforts pour convaincre les derniers indécis, la différence est abyssale. En Pennsylvanie, par exemple, les démocrates ont acheté pour 1,3 million de dollars de pubs, contre seulement 22.000 dollars pour les Républicains. À date, Kamala Harris a dépensé 76 millions de dollars, contre 13 millions pour son adversaire, d’après le décompte d’Andrew Arenge. La vice-présidente concentre ses efforts financiers sur le Michigan et la Pennsylvanie, deux États remportés par Joe Biden en 2020, dans lesquels les deux candidats sont cette année à 50/50 dans les sondages.
Cette différence d’investissement entre les deux camps inquiète certains stratèges républicains qui appellent à ne surtout pas abandonner un réseau social » à l’adversaire. Du côté de la Team Trump, plus contrainte financièrement, on se montre étonnamment serein. « La campagne de Mme Harris doit dépenser des sommes considérables en publicité numérique, ce que nous ne faisons pas parce que le principal atout de notre campagne est le président Donald Trump », se justifie Karoline Leavitt, porte-parole de la campagne du républicain, auprès du New York Times. Le micro-targeting serait inutile pour une raison… déroutante : « Des millions de personnes veulent regarder et s’engager avec Trump de manière organique - ça n’a pas de prix ». En réalité, Trump ne croit plus aux pubs digitales et a demandé à ses équipes de dépenser davantage sur ce qu’il estime être le véritable terrain de guerre, la télévision.
11 millions de dollars sur une page à 1.000 abonnés
Ce robinet de pubs digitales laisse parfois pantois, avec des budgets considérables déboursés pour des résultats discutables. Ainsi les équipes de Kamala Harris ont dépensé 11 millions de dollars sur une page Facebook avec à peine 1.000 abonnés, ont découvert, estomaqués, les journalistes de CNN. The Daily Scroll est une page d’actualités d’apparence classique. Une pure façade : il s’agit en fait de Kamala Harris qui utilise ce faux média comme un canal alternatif à son compte de campagne.
Spécificité de cette page : les équipes démocrates n’y publient pas de spots vidéos mais uniquement des articles de presse, qui vont dans le sens du narratif de leur candidate. Par exemple, la Team Harris a dépensé la bagatelle de 2 millions de dollars pour pousser cet article d’ABC News, annonçant une baisse de l’inflation sur le mois de juillet - un élément déterminant pour le vote des Américaines. On voit ici tout le problème démocratique posé par ces publicités digitales. Si les réseaux sociaux ont fait un grand effort de transparence - c’est ainsi que des journalistes américains peuvent débusquer de telles histoires - une très large part de l’activité reste souterraine. Le micro-ciblage est devenu une macro-stratégie, mais il reste difficile d’en apprécier l’exacte ampleur.
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