Dans un contexte d’explosion de la dette publique française, chaque citoyen sait bien qu’il finira par être mis à contribution. Certains seraient sans doute prêts à l’entendre… si les politiques prenaient leur part.
Combien d’années, combien de campagnes électorales, combien de débats ont vu la question du déficit public posée au milieu de la pièce et ignorée comme l’éléphant blanc ? Pour justifier cette myopie, tous les arguments étaient bons : la dette était conjoncturelle, elle avait vocation à être rapidement résorbée. Elle était souvent comparable, nous disait-on, à celle d’autres pays. Elle était même parfois saine, parce qu’elle finançait l’investissement. Elle était exceptionnelle, parce qu’elle nous avait permis de surmonter les effets dévastateurs du covid. Elle était maîtrisée, assénaient les experts, pour preuve les taux d’emprunt de la France restaient bas.
Pris bout à bout, tout cela était sans doute globalement ou partiellement vrai. C’est ainsi que pendant trois décennies, tous les politiques ou presque ont refusé d’aborder le sujet de front et que les citoyens, disons-le aussi, s’en sont aisément accommodés. Mais en six mois, la donne a changé. Sous l’effet d’un dérapage toujours inexpliqué et incontrôlé, une nouvelle peur s’est emparée du pays. Près d’1 Français sur 2, le chiffre est impressionnant, redoute aujourd’hui une faillite de l’État ; 8 personnes sur 10 jugent désormais urgent, dont 4 sur 10 très urgent, de réduire la dette. C’est quand ils espéraient sortir la tête de l’eau de la spirale inflationniste, que les Français doivent affronter le tourbillon de la dette. Si cette prise de conscience, même tardive, pèse tant sur le jugement des Français à l’égard de leur classe politique, c’est d’une part parce que l’opinion lui en impute collectivement la responsabilité, mais aussi parce que la sourde musique du « tout va mal » s’est enracinée tant sur les questions régaliennes que sur l’accès aux services publics. Comment la situation financière du pays peut-elle être si tendue alors que le citoyen a le sentiment que les missions de l’État sont moins bien assurées ou que l’argent public est mal utilisé ?
Des Français en demande d'exemplarité
Face à cette situation, les remèdes affichés par le nouveau gouvernement sont connus : baisse des dépenses et hausses des impôts sur les ménages les plus aisés et sur les entreprises. Mais chaque citoyen, instruit par les exemples passés, sait bien qu’il ne sera pas épargné par la cure d’austérité. Qu’il s’agisse d’une hausse des taxes sur l’électricité ou d’un moindre remboursement de la consultation médicale, chacun sera, différemment, mis à contribution. C’est ici que le jugement de l’opinion connaîtra sans doute une forme de cristallisation. Que la situation des finances publiques et le redressement du pays pour éviter la sortie de route appellent à l’effort, beaucoup de nos concitoyens pourront l’entendre. Une partie d’entre eux considèrera, le plus souvent à raison, que quand on a déjà du mal à boucler ses fins de mois, on ne peut pas contribuer davantage. Mais tous installeront face à l’aridité d’un texte budgétaire et aux jeux politiques sévèrement pointés du doigt, un double regard : les mesures proposées sont-elles efficaces et sont-elles justes ? Et même lorsqu’ils tendront l’oreille aux arguments légitimement invoqués par les entreprises, les secteurs professionnels, les collectivités locales, ou par les ministres défendant leurs budgets, ils se demanderont d’abord si dans une forme d’exemplarité, celui qui demande à ce que ses crédits soient préservés a pris sa part de l’effort. Faire la preuve que l’on a déjà accepté de contribuer à l’effort collectif, c’est ce qui permettra d’être audible dans le débat budgétaire qui ne sera plus cette année seulement un débat technique mais bien un débat d’opinion.