À l’image du dirigeant d'OpenAI Sam Altman, qui a tourné le dos à ses idéaux, certains entrepreneurs de la tech ne s’imposent plus de limites. Heureusement, les tribunaux sont là pour les leur rappeler.

Quelle semaine pour Google qui a décidément bien choisi son nom de famille avec Alphabet, comme l’alpha et l’oméga de la Tech d’abord. En l’espace de quelques jours, le géant a reçu ses deux premiers prix Nobel, en physique puis en chimie avec Geoffrey Hinton, Demis Hassabis et John Jumper, trois chercheurs qu’il emploie ou a employé. Il y aurait tant à dire de l’emprise sur l’avenir de notre civilisation d’une organisation dont le revenu est presque exclusivement issu de la publicité. Mais comme la lune et le doigt qui la montre, concentrons-nous sur l’avenir de la civilisation plutôt que sur le modèle économique. 

D’ailleurs, Geoffrey Hinton a démissionné en 2023 et à 75 ans (!!) de Google et disait alors « regretter l’œuvre de sa vie » et vouloir se consacrer désormais à prévenir la part « effrayante » de technologies qui ont pour effet que « les gens normaux ne pourront plus distinguer le vrai du faux ». Cette défiance était à l’origine de la création d’OpenAI en 2015, une fondation dont l’objectif était de « faire progresser l’intelligence numérique de la manière la plus susceptible de bénéficier à l’humanité dans son ensemble ». Sam Altman et Elon Musk avaient financé ce projet à but non lucratif pour lutter contre leur pressentiment que la course aux modèles d’intelligence artificielle allait devenir une course au monopole (en visant Google sans doute) et que cette technologie devait faire l’objet d’un contrôle particulièrement exigeant en matière d’éthique. 

Masculinistes et obsédés de la gonflette

Las ! Vous avez suivi le drame du licenciement de Sam Altman il y a à peine un an. Le conseil d’administration de ce qui était encore une fondation lui reprochait de leur avoir menti. Cinq jours et bien plus de rebondissements plus tard, il revenait aux commandes et bien sûr encore plus fort à la tête de cette organisation dont on ne comprenait dès lors plus très bien quel était son statut et sa mission. Octobre 2024, s’il existait encore un doute, alors que la plupart des lanceurs d’alerte, des dirigeants, des membres du conseil d’administration avaient démissionné et son équipe dédiée aux risques des produits d’OpenAI dissoute, l’organisation qui nous a donné ChatGPT, comme Prométhée le feu, a tranché. En levant 6,6 milliards de dollars sur une valorisation de 157 milliards et en réservant sans doute une part substantielle de son capital à Sam Altman, OpenAI est rentrée à la fois dans le club ultra fermé des entreprises non cotées valorisées plus de 100 milliards mais aussi dans celui bien plus banal des organisations « for profit ». 

Cette pente glissante de la Tech, fin 2024, est l’objet d’un article qui fera date de Rebecca Jennings pour le média en ligne Vox sous le titre « The cultural power of the anti-woke tech bro ». Libertariens, masculinistes, obsédés de la gonflette, conducteurs de Cybertrucks Tesla, fans de Joe Rogan et de son podcast…  le gentil informaticien, cool comme celui du clan d’Apple, ou le polard du clan PC de la publicité des années 2000, semble loin. Un peu comme un gentil Mogwaï qui deviendrait affreux Gremlin, ils sont nombreux à assumer cette virilité à la fois très conservatrice et dopée à la technologie. L’archétype est Elon Musk bien sûr. La semaine dernière toujours, le premier soutien de Donald Trump nous a présenté fièrement ses rutilants robotaxis Cybercabs pour venir nous chercher ivres dans des bars et ses robots humanoïdes Optimus pour servir des cocktails, une expérience qu’il qualifiait de « sauvage ». Mais la tendance est plus large si on pense que Zuckerberg qu’on a connu frêle et timide adolescent échappé d’un dortoir à Harvard s’affiche désormais en champion de MMA, sport de combat violent, avec une grosse chaîne autour du cou.  

Du Capitole à la roche Tarpéienne

Mais revenons à Alphabet pour tout dire de A à Z de la Tech et de l’époque. Je m’étais fait la réflexion que la firme de Mountain View anticipait peut-être la séparation de ses entreprises quand en octobre 2015, deux mois avant la création d’OpenAI, elle annonçait la création de sa maison mère pour distinguer toutes les activités du groupe. Neuf ans plus tard, octobre 2024, le Département de la Justice américain confirme un jugement d’août qui condamne sa position dominante et recommande son démantèlement. L’affaire est loin d’être conclue et bien que Microsoft ait connu la même situation sans avoir à céder ses activités il y a 25 ans, il n’en demeure pas moins un événement capital. 

D’autant plus révélateur qu’il s’accompagne d’autres oppositions entre juges et entreprises du numérique. Deux des plus fameux Tech Bros ont eu à céder devant les tribunaux ces dernières semaines. Elon Musk a finalement accepté de payer plusieurs amendes, nommé un représentant local et même supprimé des comptes qui contrevenaient aux lois brésiliennes. En France, l’arrestation de Pavel Durov, fondateur et patron de Telegram, a considérablement fait évoluer sa doctrine. Il collabore désormais avec la justice. 

Du jury des prix Nobel à celui des tribunaux, il n’y a décidément pas loin du Capitole à la roche Tarpéienne. Rien de neuf sous le soleil de Californie, certes, mais de quoi nous rassurer, ici, sous la pluie : des femmes et des hommes responsables surveillent les Tech Bros. Nous devons les inciter à ne pas relâcher leur vigilance et rester exigeants sur les « services rendus à l’humanité », comme l’avait souhaité Alfred Nobel dans son fameux testament. 

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