Dans le premier épisode de cette nouvelle chronique consacrée à l'intelligence artificielle, Ronan Le Goff, co-directeur de La Netscouade, s'intéresse aux métiers de la communication numérique qui pourraient être engloutis par l’IA.
«ChatGPT a pris leurs jobs. Maintenant, ils sont promeneur de chiens et réparateur de clim’.» Le titre de cet article du Washington Post résume la peur qui s’est emparée d’une partie du monde de la communication numérique. Les prouesses épatantes des outils d’intelligence artificielle générative, à l’exemple de ChatGPT pour les textes ou Midjourney pour les images, bouleversent en profondeur les métiers du secteur et font craindre des wagons de licenciements.
Cette peur est en partie exagérée car chacun des métiers au sein des agences de com’ numérique est en train de se réinventer au contact de l’IA. Copywriters, community managers, directeurs artistiques, graphistes ou cadreurs-monteurs, tous doivent dès maintenant repenser leurs missions et se concentrer sur les tâches les plus stratégiques, les plus «humaines» pour trouver leur réelle valeur ajoutée. Faute de risquer de se faire déborder par les machines.
ChatGPT pisse de la copie, mais les rédacteurs de contenus n’ont pas dit leur dernier mot
ChatGPT, dont l’écho a largement dépassé le monde de la communication, est un outil capable de produire des textes confondants d’authenticité, dans tous les styles d’écriture possibles, pour peu que l’on sache nourrir l’outil avec les «prompts» pertinents. De quoi faire frissonner les copywriters. La révolution est déjà en marche, l’IA a remplacé une partie de leurs tâches, en débitant à la chaîne des milliers de fiches produits, d’articles SEO et autres contenus à faible valeur ajoutée.
Toutefois ces outils atteignent vite leurs limites sur le plan rédactionnel. «Il est envisageable de confier à 100% à une intelligence artificielle la rédaction de contenus neutres tels que des descriptions de produits. Cependant, il est préférable d'éviter de lui confier des contenus engagés ou des articles journalistiques», estime Lucie Rondelet, créatrice du site Formation Rédaction Web.
Copywriter est un vrai métier et ChatGPT n’a pas validé toutes les compétences nécessaires. « Lorsque nous rédigeons pour le web, nous nous intéressons à la marque, à l'entrepreneur, au contexte actuel, aux tendances, à l'économie, à tous les éléments qui façonnent notre quotidien, ainsi qu'à notre propre culture. En France, par exemple, notre style d'écriture diffère de celui utilisé en Espagne ou ailleurs. Malheureusement, l'intelligence artificielle ne prend pas en compte tous ces éléments », note Lucie Rondelet.
L’irruption de l’IA pousse les copywriters à se concentrer sur leurs qualités proprement humaines : la capacité à donner du style à un texte, à faire des clins d’œil aux lecteurs, à produire de l’information fiable, sourcée et vérifiée. Face au règne des machines, il y aura sans doute moins de volume à produire mais plus de qualité demandée. Pour se différencier de la masse impersonnelle produite par les IA.
Les directeurs artistiques doivent savoir jongler avec l’IA… ou disparaître
L’IA bouleverse complètement le métier de DA. Il faut savoir désormais dompter ces outils. « Aujourd'hui, un directeur artistique qui ne sait pas utiliser l'intelligence artificielle est destiné à disparaître. Les tâches traditionnelles d'un directeur artistique telles que la retouche photo, l'illustration ou la création visuelle seront entièrement remplacées par l'IA. Les étapes comme le détourage et la retouche photo sont déjà obsolètes », détaille Arnaud Redard, directeur de création à La Netscouade.
Le directeur artistique moderne doit savoir jongler avec au moins deux IA : une pour le texte (ChatGPT), par exemple pour aider à écrire des scénarios de films, une autre pour les images (Dall-E, Midjourney…) afin de créer des visuels qui viennent remplacer les traditionnelles photos de stock.
Le métier se reconfigure mais n’a pas vocation à disparaître. « Ce que l'IA ne pourra jamais reproduire, c'est la capacité de l'être humain à saisir une opportunité et à la transformer pour atteindre un résultat encore meilleur. L'IA fournit un produit fini basé sur nos demandes, mais elle n'est pas capable de réfléchir et d'itérer sur ses propres propositions. Cela restera toujours le rôle du directeur artistique », estime Arnaud Redard.
Les maquettistes, trop spécialisés pour survivre ?
La révolution de l’IA pourrait être fatale pour ces professionnels chargés de définir une identité visuelle. En effet, plus les postes sont spécialisés, plus le risque est grand de se faire remplacer par un processus d’automatisation. « Le métier de maquettiste, qui a peu de valeur ajoutée, sera confronté à des difficultés. J’encourage vivement toutes les écoles d'art et de graphisme, ainsi que les étudiants, à s'intéresser dès maintenant à l'intelligence artificielle et à travailler rapidement avec ces outils. Sinon, ils risquent de rencontrer des difficultés pour trouver un emploi par la suite », considère Arnaud Redard.
Les community managers sont-ils aussi menacés ? Les IA sont certes bavardes mais peuvent-elles animer à elles seules des communautés ? Les chatbots ont fait d’indéniables progrès et sont maintenant capables de faire illusion pour répondre rapidement à des requêtes simples. Mais la présence et la sensibilité humaine restent des qualités essentielles dès lors qu’il s’agit de s’adresser directement à l’audience. Davantage que de se faire remplacer par des IA, les community managers sont surtout amenés à déléguer une partie de leurs tâches répétitives à des outils d’intelligence artificielle : analyse de données, créations de visuels pour les contenus ou automatisation/planification des contenus.
Pour Claire Duriez, directrice social media et social advocacy à La Netscouade, «la rédaction des posts par les IA comme ChatGPT aujourd’hui reste aléatoire. De fait, les IA ne sont pas capables d’absorber les subtilités de contexte dont nous avons besoin, tout particulièrement lorsqu’il s’agit de messages pour des communications corporate. En revanche, dialoguer avec ChatGPT pour apporter une touche différente et réinventer des styles de prises de parole est un exercice incontournable depuis déjà plusieurs mois». Finalement, ChatGPT est plus un binôme qu’un remplaçant pour le moment. Mais pour combien de temps ?
Les graphistes défendent leur culture visuelle face aux progrès de l’IA
Faut-il encore des graphistes alors que les IA génératives peuvent créer des images à la chaîne à partir de simples requêtes textuelles ? Le métier est challengé par l’irruption de Dall-E et Midjourney ou d’outils permettant de concevoir des logos (LogoAI, Hatchful). L’IA générative est depuis peu intégrée dans Photoshop via l’outil Adobe Firefly.
Les IA sont finalement en train de devenir les super-assistants des graphistes, les aidant à automatiser de nombreuses tâches à faible valeur ajoutée : retouches photo, création de templates, conception de maquettes, génération de bannières… Pour cornaquer au mieux ce stagiaire ultra-productif, il faut et il faudra toujours des professionnels de talents. « Si nous avons une pauvre culture graphique, si nous manquons de références et si nous ne savons pas parler aux IA, nous obtiendrons des résultats similaires à ceux que l'on trouve sur la plupart des comptes Instagram aujourd'hui », estime Arnaud Redard.
Quant à la vidéo, elle est encore (pour le moment) relativement épargnée par le tsunami de l’IA. Les débuts de l’intelligence artificielle en la matière ne sont pas toujours très convaincants. Il suffit de regarder cette vidéo de Will Smith mangeant des spaghettis pour comprendre le chemin qu’il reste à parcourir. Mais les progrès sont rapides – à l’image de ce court-métrage de 12 minutes entièrement réalisé par IA. Dans ce contexte, les cadreurs/monteurs, chargés de réaliser les différents contenus audiovisuels produits par une agence, vont sans doute devoir apprendre à maîtriser les outils d’IA génératives, qui pourront être utilisés par exemple pour générer des images d’illustration. Une intelligence artificielle, qui est déjà largement présente dans les outils de video editing.