Coupe du monde de rugby et Jeux olympiques : ce doublé réjouit le secteur de l’événementiel, au risque même de frôler la surchauffe. De quoi balayer toutes les inquiétudes après deux ans passés au bord de l’apoplexie ? Quelques réserves se font jour.
Au lendemain d’une fête organisée en juin dernier au sein de Double 2, qu’il a créée il y a vingt-cinq ans, Nicolas Dudkowski dit ne pas avoir les idées parfaitement claires. « Une summer party réussie, se réjouit-il. On a fini très tard. Notre moment à nous pour saluer une bonne année, heureux du travail accompli. » Soit un nombre d’appels d’offres en hausse de 30 % et un taux de transformation de plus de 60 % (en augmentation de plus de 10 points). À mi-parcours de 2023, les summer parties doivent battre leur plein au sein des agences de communication événementielle, des prestataires et autres organisateurs de salons, tant les voyants sont au vert, après deux années noires – crise du covid oblige – et un cru 2022 encore un peu amer, certaines entreprises ayant maintenu les dents serrées.
À la question « Comment allez-vous ? », dans les petites ou les grandes entités, à Paris ou en province, chez les agences ou les prestataires, la réponse commence toujours par un sourire. Le covid ? Oublié. La page est tournée. Le gel hydroalcoolique a disparu des tables. On ne parle même plus de phénomène de rattrapage. « Dans tout Paris, il y a des événements tous les jours, résume Frédéric Bedin, président du directoire Hopscotch global PR group, égrenant les rendez-vous à son agenda en cette semaine de la mi-juin. B to B, B to C… Les événements internationaux sont pleins, les hôtels et les avions aussi. » Un chiffre d’affaires en hausse de 12 % pour Hopscotch. « Le secteur du luxe tire l’activité en volume et en qualité », complète-t-il.
Avec 150 000 visiteurs, VivaTech détrône le CES de Las Vegas. Le Salon de l’aéronautique a attiré 400 000 curieux et professionnels. « On a vécu une parenthèse qui nous a fait prendre conscience que ménager des retrouvailles, des regroupements était essentiel », souligne le fondateur de Sensation !, Dan-Antoine Blanc-Shapira. Trente nouveaux prospects ont été enregistrés par Pierre-Louis Roucaries, directeur général de l’Office de tourisme et des congrès de Mandelieu-La Napoule, par ailleurs coprésident de l’Union française des métiers de l’événement (Unimev), en trois jours seulement. Du côté de Sensation !, sept appels d’offres sur huit ont été remportés. « C’est presque indécent », ironise son fondateur. Petits et grands raouts dopent le chiffre d’affaires du secteur – soit 9 milliards d’euros –, et de ses 40 000 emplois directs. « Le marché des petits séminaires est extrêmement dynamique, commente Frédéric Bedin. En raison du télétravail subi, l’objectif est de recréer ce sentiment d’appartenance, cette intelligence collective, dans des hôtels qui se réinventent d’ailleurs pour l’occasion. » Pour rappel, selon une étude de 2020 d’Occurrence, cabinet-conseil en communication, la performance des événements internes est de seize points plus élevée qu’une newsletter ou un intranet (96 % contre 80 % pour la satisfaction).
Les JO en ligne de mire
Chez Havas Events, on n’hésite pas à parler de « crazy spring ». Dan-Antoine Blanc-Shapira évoque, lui, « une rage d’événements ». Bref, l’événementiel a la cote. Selon le dernier baromètre clients de Lévénement, association des agences de communication événementielle, publié en janvier 2023, la dimension humaine arrive en tête de 89 % des critères de choix des clients. Directeur de Poisson d’avril, agence fondée il y a vingt-deux ans près du lac du Bourget, Benoit Rastier raconte : « Les gens sont présents. À l’occasion des 35 ans d’une entreprise, les invités sont venus avec des cadeaux en guise de remerciement. On a bricolé les tables. On veut y mettre encore plus d’humanité. »
Mais le secteur a surtout en ligne de mire des dates gravées dans toutes les têtes : 26 juillet-11 août 2024. Ces Jeux olympiques à Paris devraient atteindre des records. Foi de Frédéric Bedin. « Un événement pareil, dans la capitale française, c’est 30 % de visiteurs de plus que dans n’importe quelle autre ville au monde, détaille-t-il. C’est vrai pour n’importe quel rendez-vous, médical, scientifique. Cela se vérifie, Paris attire. Les conjoints viennent. On le sait par les réservations. Les packages VIP se vendent énormément à tous les sponsors des JO. De quoi nous pousser à remonter la taille des dispositifs habituels. » De quoi alimenter tous les acteurs de l’événementiel ? Nicolas Dudkowski table sur « 50 % des agences embarquées, les marques internationales travaillent avec des groupes… internationaux ». Une prime à la taille, donc. D’ailleurs, les regroupements sont de mise pour répondre aux appels d’offres. Deux exemples : Magic Garden avec We Love Art pour la scénographie du Palais de Tokyo ; Auditoire, Havas Events, Ubi Bene, Obo et Double 2 réunis sous la bannière Paname 24 pour la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques sur la Seine et celle des Jeux paralympiques en bas des Champs-Élysées et place de la Concorde. Mais alors, que vont devenir les autres ?
Des grains de sable
Pour autant, pas d’opérations « open bar » ou « open budget ». Béatrix Mourer, fondatrice de Magic Garden, les voit fléchir. « Les sociétés ont envie de faire des événements, mais avec de vraies restrictions à la clé, note-t-elle. Notre situation est délicate, nous sommes pris dans un effet de ciseaux. L’activité ne manque pas, mais le problème est la rentabilité. » ROI – return on investment – à tous les étages ? Selon le baromètre clients de Lévénement, le retour sur investissement est un enjeu clé pour les clients qui aimeraient pouvoir mieux l’évaluer. En effet, seuls 28 % d’entre eux estiment très bien ou assez bien le mesurer. « Évaluer la performance est un vrai gros sujet, assure Bertrand Biard, vice-président attractivité et engagements chez WMH. Le business model va devoir être transformé. Le paysage est mouvant. » Même avec un événement historique en ligne de mire, le marché est chahuté.
Une question reste en suspens : les événements annulés pour cause de JO seront-ils plus ou moins nombreux que ceux liés aux olympiades elles-mêmes ? « Je ne le sais pas, répond Frédéric Bedin. Le risque est qu’ils ne reviennent pas ou deviennent itinérants pour les prochaines éditions. » Olivier Ferraton, président-directeur général de GL Events, partage ces interrogations. « Je me méfie de l’effet trou d’air post-JO, dit-il. Dans quoi va-t-on basculer ? Il n’y a pas de vision à moyen terme. » Son choix : miser sur le développement à l’étranger, notamment au Chili ou au Japon.
Appel aux vocations
« Il est plus facile aujourd’hui de trouver des briefs que des talents. C’était déjà complexe avant le covid, la situation a empiré. » En une phrase, un expert d’Havas Events résume le malaise actuel du secteur. Pas un acteur qui ne pointe pas les difficultés de recrutement. Pas moins de 6 574 postes sont vacants, souligne l’étude « L’emploi dans l’événementiel professionnel », réalisée au cours du premier trimestre 2023 par l’Unimev. Une première du genre d’ailleurs, pour mesurer l’étendue ou la gravité de la situation. « On se débrouille avec Pôle Emploi, l’Association pour l’emploi des cadres (Apec) ou les centres de formation d’apprentis », analyse Jean Aubinat, directeur de communication de l’organisation professionnelle. Menuisiers pour faire des stands, chefs de projet, électriciens, chauffeurs, livreurs, monteurs, pros de la data, de la vidéo ou du son, logisticiens, régisseurs, manutentionnaires… les manques sont criants sur tous les métiers, qualifiés ou pas. Havas Events va rechercher 1 500 collaborateurs à l’occasion des Jeux olympiques. L’été devait permettre au groupe de mûrir une politique à l’attention de jeunes ou pas, éloignés du marché de l’emploi, pour les former. Tous les leviers sont actionnés. Un job dating a été organisé en mai dernier, Be for Event : 30 entreprises partenaires ; 100 offres d’emploi. « On a perdu deux générations par le haut, et elles ne sont pas rentrées par le bas », se désole Frédéric Bedin. Les contrats courts – le temps de l’événement – n’expliquent pas tout. 71 % des adhérents de l’Unimev rencontrent des difficultés à recruter en CDI. « “Est-ce que vous avez les équipes ?” On perçoit l’inquiétude de nos clients, précise-t-on chez Havas Events. Aussi commence-t-on à les constituer avant même de savoir ce qu’on va faire comme contenu. Même quand on s’appelle Havas, les difficultés de recrutement existent. Mais on sait aller piocher en Europe. »
« Difficile de proposer aujourd’hui à des jeunes un job qui a la réputation d’être stressant, pour lequel anticiper son lieu et son temps de travail est compliqué, constate Bertrand Biard. Cela ne coche pas toutes les cases des aspirations actuelles de cette génération. » Pour accroître la visibilité du secteur, l’Unimev a monté un partenariat avec l’Isefac, avec deux formations à la clé : un bachelor (bac +3) et un master of business administration (bac +5). Et la greffe a pris : 1 000 jeunes devaient intégrer ces deux cursus à la rentrée 2023.