50 ans dans les agences
Les années dorées de la publicité sont-elles révolues ? L'avenir de la pub appartient-il au tout-data, à l'IA, et au politiquement correct ? Avis d'experts sur les 50 ans passés et ceux qui viennent.

Georges Mohammed-Chérif, président et fondateur de Buzzman

«Le palmarès des agences françaises au niveau international s'est largement étoffé ces dernières années. Il y a encore 15 ans, nous n'avions d'yeux que pour les agences anglo-saxonnes. Aujourd'hui, il n’est plus si surprenant de voir des Grands Prix français dans les festivals les plus prestigieux. Il faut s'en féliciter. J'ai juste deux regrets. Premièrement, quand on regarde un écran publicitaire, le niveau moyen est extrêmement faible. Deuxièmement, il y a trop de campagnes "charity", des campagnes qui veulent soi-disant changer le monde. Comme si le publicitaire cherchait sa rédemption. Refaisons de la publicité qui vend VRAIMENT les produits ou les services de nos clients avec émotion, humour, surprise. Donnons du plaisir aux gens. Et faisons-les marrer bordel ! On en a plus que jamais besoin après cette crise sanitaire.»



Frank Tapiro, président de la société de conseil créatif Houtspa, cofondateur de la startup Datakalab, cofondateur et président du mouvement citoyen ACCT

«J’ai commencé la publicité dans les années 80, guidé par les “trois R” chers à Jacques Séguéla : rêve, rire et risque. On se battait pour la grande idée et on était capable de tout pour marquer les esprits et créer le buzz, et ce, bien avant l'apparition des réseaux sociaux. Aujourd’hui, les marques sont entrées en conversation avec leurs publics. La publicité est enfin responsable et durable. Nous avons supprimé les slogans, les jingles, les dialogues inutiles, les comédies musicales ringardes ou les gros jeux de mots foireux et rarement géniaux. Les spots ressemblent aujourd’hui à des moodboards de planning stratégique illustrés brillamment – et pour pas cher – grâce à des banques d’images et des musiques disponibles en stock. On a supprimé le risque de prononcer des paroles blessantes, de provoquer, de choquer, de bousculer, de moquer. On évite de rire ou de faire rire et le rêve se limite au respect des mentions légales ou autres avertissements ridicules. On est devenus bienveillants, inclusifs, non genrés, body positifs, non clivants, non retouchés, authentiques, représentatifs, normaux... En réalité, ne sommes-nous pas juste devenus chiants ?»

 

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Pascale Miguet, présidente de Zenith France

«Je n’ai jamais été fan de cet adage “c’était mieux avant”. Venant moi-même du digital, j’ai commencé ma carrière avec le bouleversement que celui-ci a entrainé dans nos métiers, dans nos façons d’accompagner les clients tout comme dans nos vies personnelles. Cette digitalisation a ouvert au contraire une multitude de possibilités et surtout nous a permis de remettre au cœur le consommateur avec lequel nous pouvons désormais interagir. En agence média, cette vision conso-centric nous a toujours dicté dans notre conseil auprès du client et c’est encore plus le cas aujourd’hui dans le contexte de plateformisations du paysage média. Cette transformation perpétuelle me passionne car elle nous demande chaque jour plus d’adaptabilité, d’inventivité et d’écoute pour proposer la meilleure stratégie à nos clients et ce avec nos partenaires.

Ma seule réserve concerne la vitesse à laquelle s’opère le changement et qui peut parfois être vertigineuse tant cela nous demande d’apprendre vite, de nous organiser vite et de décider vite. C’est peut-être ce manque de recul dans la prise de décision qui pourrait parfois me donner un sentiment de frustration mais qui est compensé par la même volonté de toutes les parties prenantes d’avancer dans le même sens. Au fond, cela reflète aussi l’urgence des problématiques que nous affrontons avec nos clients. Face à cette accélération, je perçois un réel effort commun de la filière tout entière pour avancer dans le même sens. Je finirai par une citation de Stephen Hawking que j’aime beaucoup et qui représente bien notre métier en agence média : “L’intelligence, c’est la capacité de s’adapter au changement.”»



Jérôme Denis, CEO de La Pac

«Le changement notoire reste la démocratisation des moyens de production. Désormais il suffit d'un iPhone, d'un ordinateur, de courage, et de quelques copains et vous avez ce qu’on appelle une production. La révolution qu’a connue la musique à la fin des années 80 et 90 avec les home studio, le hip hop et la musique électro, l'image l'a connue 10-20 ans après. Est-ce que cela est mieux qu’avant ? Oui, d’un point de vue des possibles; plus de chances, plus de possibilités, moins de barrières à l’entrée, un marché plus démocratique. Dans les faits, c’est évidemment plus nuancé. Surproduction d’images communes, passage d’un marché de valeur à un marché du volume. On peut parfois avoir le sentiment que le “pratique” remplace le “talent”. Pour moi, produire c’est créer des conditions. Aujourd’hui la difficulté réside moins dans le fait de faire aboutir techniquement une production que d’aligner les intervenants autour d’une même énergie. En 2021, on est plus que jamais dans une démocratie participative. Probablement qu’il y a 30 ans, le rapport de force était différent. C’est la différence majeure de mon point de vue. Il demeure de nombreux invariants pour une société de production : sourcer et développer les meilleurs talents et réalisateurs, être créatif et agile pour développer les solutions de production adéquates, sécuriser la chaine de fabrication et de droits, participer à l’émergence des réalités sociales et culturelles contre les esprits conservateurs… Tout ceci n’a pas changé, et n’est pas prêt de changer. Et c’est tant mieux.»

 

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Séverine Autret et Olivier Lefebvre, coprésidents et partners chez Fred&Farid Paris

«Que celui qui regrette le temps où la télévision en noir et blanc était réservée aux consommateurs les plus riches lève la main ! Dans notre métier, le principal progrès de ces 50 dernières années, c’est la démocratisation de la consommation. Mais il est vrai qu’avant, c’était aussi plus simple de faire de la pub. L’explosion conjointe du mobile et des réseaux sociaux a changé à jamais la façon dont on crée et on adresse nos messages… Aujourd’hui, on peut les diffuser à plus de 6 milliards d’individus, directement dans la paume de leur main et à deux clics de l’acte d’achat. C’est dingue ! Forcément, cette évolution a eu des conséquences dans la façon dont les agences travaillent. Finis les processus de production longs et coûteux ; l’agilité dans la fabrication et les moyens constitue le nouveau Graal. Mais la pub n’est vraiment puissante que si on l’associe à un point de vue stratégique fort sur la marque. C’est clairement l’enjeu numéro un de compétitivité pour les agences, à la fois pour être le partenaire idéal des annonceurs et pour continuer à recruter des talents. En mettant notre “business intelligence” au service des clients, le champ des possibles est infini pour redonner à la créativité son rôle central dans la croissance des marques. Et puis quand la pub entre en résonance culturelle avec les gens, c’est aussi un moyen d’éduquer, d’amuser, d’émouvoir et parfois même de changer les comportements pour le meilleur.  Et quand on aime ce métier, c’est jubilatoire.»

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