Christophe Coffre, coprésident en charge de la création de Havas Paris
«Les grandes marques, qui ont toujours bien communiqué, entretiennent cette tradition vertueuse. Elles croient en la publicité, en son pouvoir et en la nécessité de bien la faire. Dès lors, une bonne agence se définit de nos jours par sa capacité à être à la hauteur de ces annonceurs : les surprendre et les pousser au maximum dans un cadre donné tout en restant en permanence dans la justesse. Ce n’était pas mieux avant. C’est juste différent. Aujourd’hui, on relève un nouveau rapport au temps, plus immédiat, de nouveaux supports et formats, de nouvelles générations qui ne perçoivent pas les choses comme nous, qui ne rient pas, ne sont pas émerveillées des mêmes choses et qui sont surtout visuellement plus cultivées que jamais ! Pendant très longtemps, tout a changé sauf la publicité. C’est à la pub qu’il appartient dorénavant de changer. C’est à cette seule condition qu’elle redeviendra le creuset des choses les plus étonnantes et novatrices. Mais à mon sens, rien n’est perdu. Une bonne idée reste une bonne idée. Et le Graal reste toujours le même : trouver l’idée qui correspond à son époque.»
Olivier Altmann, cofondateur d'Altmann+Pacreau
«Quand on vieillit, on pense souvent que c’était mieux avant. Mais c’est surtout parce qu’avant on était plus jeune et insouciant. Maintenant, il est vrai que les conditions de travail se sont dégradées – contraintes de timing, de budget, rapport de force entre annonceurs et agences... Sans parler de la progression des rémunérations qui n’est plus ce qu’on a connu par le passé. À l’inverse, Internet a ouvert un champ créatif incroyable, les clients nous autorisent désormais à avoir des idées dans des domaines qui n’étaient même pas imaginables. Les pubs peuvent être interactives et partagées en un instant dans le monde entier sans avoir besoin d’un plan média conséquent. Et le besoin de grandes idées pour faire grandir et piloter des marques n’a jamais été aussi vital dans ce monde en perpétuel chamboulement.»
Lire aussi : La pub, est-ce que c'était mieux avant ? 2/3
Georges Bermann, président fondateur de Partizan
«Partizan travaille beaucoup pour le marché américain et nous constatons une évolution chez l’annonceur qui fait directement appel aux producteurs dans le domaine de la fabrication de contenus. Tant au niveau de la création qu’au niveau de la production. Les agences ont un rôle différent. Cela donne beaucoup plus de souplesse dans le processus, cela va plus vite, et au final cela coûte bien moins cher. C’est une évolution intéressante qui s’est amplifiée pendant la pandémie. Et non, ce n’était pas mieux avant. Le monde change, c’est excitant.»
Pierre Berville, ancien coprésident de l'agence Callegari Berville
«Pour les années 80, on me permettra de citer mon livre J’enlève le haut. Les dessous de la pub à l’âge d’or : “Internet n’existe pas. La télé-réalité et le télé-achat n’envahissent pas les écrans. Les quotidiens essaient de faire leur travail d’information sans cacher leurs inclinations. Les hebdos et les mensuels travaillent les sujets en profondeur au moyen d’enquêtes fouillées et de prises de position documentées... Outre ce qu’on lit dans les livres, on se parle dans les bistrots. Il y a encore des commerces en centre-ville et même dans les villages. Les marques et les entreprises ne sont pas aux mains de quelques conglomérats globaux. Les penseurs et les auteurs sont respectés. Les intellectuels servent à quelque chose… Les postiers et les agents EDF, eux, croient encore à la notion aujourd’hui disparue de service public et se décarcassent pour faire plaisir aux usagers (on ne dit pas clients). Les pompiers acceptent d’aller chercher les chats en haut des arbres. Pour quelque temps encore, l’État est plus puissant que le Capital… Les habitudes et la morale étaient différentes d’aujourd’hui au-delà de l’imaginable.”
Quarante ans plus tard, la communication s’est adaptée à son nouvel écosystème. Dans leur majorité, des annonceurs de plus en plus hiérarchisés ont été rendus méfiants par les cost-controllers, une révolution numérique tumultueuse et la terreur du bad buzz. Ils n’ont plus ni l’autonomie ni la confiance nécessaires pour acheter les belles idées. Et la com est devenue plus triste, plus timorée, moins décontractée, otage des bons sentiments et de la dictature du last-clic.
Conclusion : “Je suis parfaitement au courant que dire “C’était mieux avant” est un truc de vieux con. Eh bien oui, j’assume. Je suis vieux. Et je suis con. C’était mieux avant.” (Même ouvrage.)»
Lire aussi : La pub, est-ce que c'était mieux avant ? 3/3
Arnaud Dupui-Castérès, dirigeant fondateur de Vae Solis Communications
«La communication corporate a profondément changé. Il y a vingt ans, elle était principalement opérée par des filiales des grands acteurs de la communication publicitaire. Et elle comprenait beaucoup de choses – en gros, tout ce qui n’était pas de la publicité : communication événementielle, financière, RH… Tous ces budgets se géraient dans les agences, qui apparaissaient comme des fabricantes d’outils (un événement, un journal interne…). Aujourd’hui, l’expertise du conseil stratégique s’est beaucoup renforcée. Comment parler à l’interne, à la presse, aux actionnaires, aux parties prenantes… Voilà les questions qui se posent. Nous, nous ne sommes pas une agence mais un cabinet de conseil. Ce mot dit beaucoup sur le recrutement des profils (des gens qui n’allaient plus dans la communication, d’anciens journalistes, d’ex-fonctionnaires…), la relation aux clients, le mode opératoire, et même le mode de rémunération, par honoraires. La référence est le cabinet d’avocats. La fête ? Plutôt dans les agences web, les agences de pub.
Nous observons, je ne dirais pas une accélération du temps, mais une réduction des délais. Quand j’ai commencé à travailler, proposer une veille et une disponibilité permanentes nous procurait un avantage compétitif incroyable. Lorsque nous étions contactés, une réponse par fax le lendemain matin répondait à l’attente des clients. Aujourd’hui, à 15 heures le même jour, ils vous relancent par mail. Cette veille existe toujours, nous sommes sollicités sur des choses un peu moins urgentes et graves mais qui peuvent le devenir. Les acteurs sont plus vigilants car une amplification des faits est toujours possible.»