Au printemps dernier, Adidas a interrogé l’agence Raymonde sur le lancement de son dernier modèle, une basket upcyclée. « Plutôt que d’organiser une soirée, on a proposé la création d’un jardin potager qui a été coconstruit avec les habitants d’un quartier », raconte Hugo Meunier, fondateur avec Antoine Baume de l’agence ainsi que du collectif de jardiniers Merci Raymond. Le résultat, c’est une friche de 400 mètres carrés inaugurée début juin à Bagnolet que les riverains vont désormais pouvoir s’approprier. La marque aux trois bandes a financé l’opération et profité de la journée inaugurale, début juillet, pour mettre en avant sa nouvelle chaussure. Voilà l’illustration de ce que réserve désormais, en cette période post-covid, la filière événementielle : des projets qui mettent au premier rang la question de la responsabilité sociale des entreprises (RSE) et leur capacité à intégrer les sujets environnementaux et sociétaux dans leurs actions de communication.
Le rôle décisif de la crise sanitaire
« Conjuguer éphémère et durable, deux notions qui peuvent paraître antinomiques, c’est un sujet ancien, cela fait déjà cinq ou six ans que nous avons des outils fonctionnels pour mesurer notre impact et des normes pour encadrer nos actions », remarque Bertrand Biard, le fondateur de Manifestory, dont l’agence est en cours de certification à la norme ISO 20121, référence en matière d’événements responsables. La crise sanitaire a joué selon lui un rôle décisif dans la prise de conscience de ces enjeux. « Nous avons gagné trois à cinq ans sur l’évolution des usages en matière de RSE », estime-t-il. Pour Bertrand Biard, les annonceurs ont compris que les événements physiques étaient indispensables, le distanciel n’étant pas viable à terme. Mais ils ont aussi exprimé leur désir que ces événements, à leur retour en présentiel, se réinventent. « Les clients veulent revenir à quelque chose de beaucoup plus simple et de beaucoup plus sobre, de moins exubérant. Ils souhaitent retourner à l’essence même de ce qu’est un événement, c’est-à-dire se retrouver et se réunir, confirme Hugo Meunier. La crise sanitaire a rendu plus visible ce besoin profond, il a pu s’exprimer. On y serait venus de toute façon, mais cela s’est fait de manière radicale. » Chez Hopscotch, Isabelle Luoni, directrice de la performance, en charge de la question de la RSE pour ce poids lourd du marché, se souvient des débuts de la discipline quand, dès 2008, elle initiait une politique d’achats responsables chez ce qui s’appelait encore Le Public Système. « Entre 2011 et aujourd’hui, nous avons certifié comme responsables treize de nos événements grâce à la démarche ISO », indique-t-elle. C’est le cas par exemple de l’université d’été du Medef de 2020, qui a pris place sur l’hippodrome de Longchamp. L’événement avait notamment banni les gobelets en plastique ou en carton au profit de gourdes en verre que les 5 000 participants à la manifestation pouvaient aller remplir à des fontaines pendant les trois jours où ils étaient présents. Depuis l’automne dernier, l’agence a franchi une étape supplémentaire. Désormais, « tout ce qui sort d’Hopscotch, que ce soit une campagne de communication, une opération digitale ou un événement, est certifié ISO 20121, affirme Isabelle Luoni. On s’est dit qu’on n’allait pas attendre la demande de nos clients ou que le contenu de leur événement s’inscrive dans une démarche de RSE et rende donc, à ce titre, pertinent de le certifier. Maintenant, on le fait d’office. »
S’interroger davantage
Cette politique volontariste, au-delà d’un engagement citoyen sans doute sincère des professionnels, est aussi poussée par le marché. « De plus en plus d’appels d’offres exigent des agences qu’elles soient certifiées », constate Béatrice Eastham, qui dirige le cabinet de conseil en développement durable Green Événements depuis 2009. Celle-ci remarque que pendant la crise son propre chiffre d’affaires est resté stable. « C’est la preuve que s’il y a bien un poste que les annonceurs n’ont pas coupé pendant cette période, c’est celui de la RSE », observe-t-elle. Pour cette experte, « la crise sanitaire a complètement ancré le sujet », mais elle a également amené à s’interroger davantage, aux côtés de la question climatique qui montait déjà en puissance avant la pandémie, sur la dimension sociale des événements. « Nous portons auprès des filières de l’événementiel et du tourisme des sujets comme le zéro déchet et le net zéro carbone, mais nous défendons aussi le thème de l’impact social des événements, avance Béatrice Eastham. L’événement, c’est une filière humaine qui sollicite beaucoup de métiers, notamment en free-lance, et une main-d’œuvre pas forcément qualifiée. C’est à nous de tendre la main à des populations qui peuvent parfois être éloignées de l’emploi. » Isabelle Luoni sent aussi monter cette thématique des inégalités sociales, qui selon elle se sont encore creusées avec la crise. « Toute agence événementielle aujourd’hui se doit de favoriser l’inclusion. Chacun doit prendre sa part. Quand vous êtes organisateur d’événements, vous effectuez des achats externes, mais vous faites aussi travailler beaucoup d’indépendants, scénographes, webdesigners, DJ, illustrateurs. Dans ces talents-là, vous pouvez avoir des gens issus des minorités ou présentant des handicaps, qu’ils soient visibles ou non. C’est un devoir pour nous de traiter du sujet de la diversité. Quand on parle d’entreprise inclusive, voire contributive, il ne faut pas que ce soit simplement un mot », plaide-t-elle, estimant nécessaire, pour être créatif, innovant et se démarquer, d’incarner une certaine « représentation du paysage français avec toutes ses différences ».