Dossier Création publicitaire
Pour inventer une pub drôle, il faut un certain courage, au-delà du talent… Comment faire une blague qui fasse rire d’un bout à l’autre de la planète ? Si l’humour est universel, pourquoi parfois l’incompréhension est-elle au rendez-vous ?

« Why aren’t more funny ads winning awards ? », s’interrogeait Campaign Asia début juillet 2021, après les derniers Cannes Lions. En français : pourquoi est-ce qu’il n’y a pas davantage de pubs drôles qui gagnent des prix ? Si en concevoir une est en soi un pari - art de la comédie, sens du timing, prise de risque -, créer une pub drôle destinée à voyager et à séduire un large public au point de mériter un prix peut apparaître plus compliqué encore. Car dans ce cas, impossible de prendre certains raccourcis, de s’appuyer sur des implicites culturels. À cela s’ajoute qu’il est a priori plus facile de toucher quelqu’un par le biais de ce qui lui est proche ou connu. Enfin, la contrainte temporelle n’arrange rien. Il n’est pas évident de faire comprendre une particularité locale en une minute ou moins.

Des pubs qui voyagent

Du côté des annonceurs, l’humour n’est pas la voie privilégiée - il faut rappeler aussi que toutes les stratégies de marque ne s’y prêtent pas - et cela ne va pas en s’améliorant. La peur de la prise de risque, du bad buzz, de se couper d’une partie du public ou d’apparaître trop clivant explique cette frilosité. Et le Covid n’a rien arrangé, accélérant l’envie de miser sur l’émotion et la bonne cause pour séduire, au détriment du divertissement et de la légèreté.

Pour toutes ces raisons, faire une pub drôle facilement exportable peut s’avérer délicat. Mais pas forcément compliqué. « Pour bien faire voyager une publicité, j’aurais tendance à miser sur l’humour car c’est universel, même si cela a ses limites comme pour les jeux de mots », explique Dimitri Guerassimov, coprésident de VMLY&R France et directeur de la création multiprimé. Et de citer la pub culte « Whassup » de Budweiser qui, détournant l’expression anglaise What’s up, a fait le tour du monde. Celle-ci a d’ailleurs été déclinée en 2020 version confinement.

Skittles, des campagnes référentes

« L’humour est le plus petit dénominateur commun », abonde Jean-Christophe Royer, directeur de la création de Publicis Conseil. Alexis Benoît, directeur de création d’Ogilvy Paris, enfonce le clou : « Nous sommes habitués à intégrer la contrainte et à faire des pubs qui voyagent ». La globalisation du monde y compris culturelle peut faciliter la compréhension du public. C’est particulièrement vrai pour les campagnes venues des États-Unis dont la culture reste dominante, renforcée par l’influence des plateformes comme Netflix et Disney+ ou de succès mondiaux comme Game of Thrones. Un univers de référence global se crée de cette façon, avec des mécaniques, des archétypes… Un terreau fertile pour faire voyager l’humour. Avant même l’émergence du phénomène, les campagnes Skittles aussi référentes, avec leur humour décalé voire absurde, peuvent faire rire partout.  

Des insights qui parlent à tout le monde

Car voilà ce qui explique que faire voyager une publicité humoristique n’est, aux yeux des créatifs interrogés, pas si compliqué. C’est même le contraire. Elles misent sur des insights qui parlent à tout le monde. Comme dans « Coïncidence », cette publicité australienne de 2013 pour la bière Carlton Mid, où plusieurs couples se retrouvent sur leur lieu de vacances « par hasard » alors que les garçons voulaient passer des vacances entre copains. « Avec un petit côté macho… », commente Alexis Benoît. Par ailleurs, la langue constitue la première barrière théorique à l’exportation de l’humour. D’où l’intérêt de limiter les passages parlés. Dans « Silence the stain », conçue pour le produit détachant Tide, une tache sur la chemise d’un candidat durant un entretien d’embauche se met à parler plus fort que lui au recruteur, de façon incompréhensible, créant une situation comique.

Circonstances improbables

Autre option, déléguer la prise de parole. « Les marques sont d’accord pour communiquer sur le ton de l’humour mais elles le font indirectement, en laissant la main à des influenceurs », indique Sébastien Zanini, directeur de la création et directeur général de Gyro:Paris. Autant de facteurs qui font que l’humour apparaît non seulement accessible mais également ouvert à tous les secteurs. En témoigne une publicité de juin 2021 pour l’assureur néerlandais Centraal Beheer, où un homme sorti de prison pourrait de nouveau se trouver accusé à la suite notamment d'un enchaînement de circonstances improbables. Ce n’est d’ailleurs pas la première incursion de cet annonceur dans ce registre.

Les interdits diffèrent d'un pays à l'autre

Reste qu’il existe, aussi, un humour qui s’exporte mal. D’un pays à l’autre, les interdits ne sont pas les mêmes, ni les particularismes régionaux. Or l’humour peut servir à les dénoncer, les apaiser ou s’en servir pour faire passer un message. Au risque de tomber dans les clichés, quelques traits culturels ressortent : on entend parler du côté particulièrement « déjanté » des pubs thaïlandaises, de la poésie et du spectaculaire des spots chinois, du fait que les réclames japonaises soient teintées de burlesque et de la culture manga. Côté américain, la parodie, l’autodérision, la présence de stars, l’emprunt aux mécaniques des blockbusters feraient vendre. Mais tout cela reste un point de vue local…

Suivez dans Mon Stratégies les thématiques associées.

Vous pouvez sélectionner un tag en cliquant sur le drapeau.

Lire aussi :