Business
Un temps pionnières en matière de tech, les agences de communication ont pour beaucoup rendu les armes face aux entreprises de services du numérique. Une évolution irrémédiable ?

Fut un temps, pas si lointain, où les agences misaient sur la tech. Ou tout du moins le revendiquaient. En 2021, le constat est diamétralement différent. D’année en année, de mois en mois, le marché tend à se fracturer. D’un côté, des agences qui peinent à répondre à l’accélération des enjeux technologiques. De l’autre, des entreprises de services du numérique -Capgemini, IBM, Accenture…- qui captent l’intégralité ou presque de ce florissant business. De là à dire que le divorce est bientôt consommé entre tech et communication ? « Le marché a tendance à se diviser en deux et ce phénomène s’accélère », confirme en préambule un ancien haut dirigeant, bien placé pour se prononcer et qui préfère donc garder l’anonymat. Un état des lieux que fait également Grégory Pascal, ex-président de la délégation Digital de l’AACC. « Il y a désormais un gouffre entre les agences et les ESN. Et il faut reconnaître que le sujet semble quelque peu déserté dans les agences classiques », analyse sans détour celui qui, pour avoir développé avec succès l’agence Sensio dès 1998, fait figure de visionnaire dans le secteur.

 

Modèles hybrides

« La réalité, c’est que durant des années, s’appeler Publicis, Havas ou DDB ‘‘suffisait’’ pour accompagner une marque dans sa transformation digitale. Aujourd’hui, ce n’est plus possible. Les technologies et les méthodologies de travail deviennent tellement complexes qu’il faut à la fois disposer de la taille, des outils et des experts adéquats », souligne encore en off cet ancien dirigeant d’agence, qui en veut pour preuve l’évolution récente des compétitions. « Quand le groupe automobile Stellantis résilie l’ensemble de son réseau de distribution en Europe, il ne va pas confier sa transformation digitale à une agence de communication », illustre-t-il. Mais au milieu de cet océan de nouvelles a priori peu encourageantes pour les agences, s’élèvent des archipels d’optimisme. En premier lieu, les acteurs spécialisés, souvent rachetés à prix d’or par les réseaux internationaux pour refaire leur retard. Un choix qu’ont par exemple fait Publicis et Havas avec les acquisitions respectives de Sapient ou, à une échelle moindre, de Fullsix. À la clé, une stratégie qui, après avoir longtemps peiné à convaincre sur le plan de l’intégration, commence à porter ses fruits sur le volet new business. Seconde typologie d’acteurs : les sociétés indépendantes au positionnement résolument hybride et ayant atteint une taille critique permettant de se positionner sur des sujets de transformation d'ampleur. Artefact, Fabernovel ou encore Emakina pour ne citer qu’eux. En tout et pour tout, une grosse poignée d’entreprises qui tentent de tenir la dragée haute aux leaders et à une concurrence plus protéiforme que jamais, startups studios et ESN de nouvelle génération comme Theodo en tête. Sans oublier le rôle central en termes de publicité et d’IT des Gafam, avec qui il vaut mieux entretenir d’étroites relations. Comment en est-on arrivé là ? « Il existe finalement assez peu d’acteurs réellement digital native qui ont eu le temps nécessaire pour développer leur modèle et le déployer », éclaire Stéphane Distinguin, CEO de Fabernovel, en écho à une fenêtre historique ainsi qu’au positionnement innovant -et même franchement tech à ses débuts- de la société (350 salariés pour environ 40 millions d’euros de chiffre d’affaires annuel).

 

Consolidation du marché

Autre élément à prendre en compte : « la consolidation en cours du marché qui va se poursuivre fortement », pronostique le fondateur de Fabernovel, dont « le pôle tech, composé d’ingénieurs et de développeurs, représente 40% de l’activité ». Mais même à une échelle moindre, « d’autres modèles existent », juge Lionel Cuny, à la tête de l’agence Insign, présente à Paris, Lyon, Tournon-sur-Rhône, mais aussi Los Angeles et Dakar depuis peu. « Cela répond à une conviction profonde. Dans un contexte où l’agilité et la rapidité sont devenus des éléments clés, il faut à tout prix garder le contrôle. Quand on externalise quelque chose, on veille à ce que cela ne corresponde pas à un sujet stratégique ou à une expertise core business », milite le dirigeant, dont l’agence travaille depuis plusieurs mois à la refonte de la plateforme d’Interflora . « C’est bien simple, on possède autant de profils créatifs que de profils tech, soit une cinquantaine de collaborateurs dans les deux cas », ajoute-t-il. Dernière typologie d’acteurs : les agences digitales indépendantes de taille plus modeste, dont le quotidien se limite régulièrement à des tâches moins nobles et moins rémunératrices. Mais évoquer le sujet sans parler d’attractivité serait éluder un aspect fondamental, tant les profils idoines se retrouvent courtisés de toutes parts. Une difficulté à laquelle sont confrontés au quotidien les dirigeants d’agences hybrides.

 

Le sens de l’Histoire ?

« C’est un cercle vicieux. Outre les salaires qui atteignent des sommets, quand une agence créative commence à perdre la main sur ce type de sujets, l’exode des talents menace. Les patrons de ces structures ont du sable dans les mains », synthétise toujours en off cet ancien haut dirigeant. « Il y a un effet ciseau avec une pression à la hausse sur les salaires et une pression à la baisse sur les prix », appuie Lionel Cuny. Une fois ce tour d’horizon effectué, subsiste toutefois une interrogation majeure. À l’exception des acteurs de premier plan intégrés par les réseaux internationaux, le combat est-il perdu d’avance pour les agences de communication ? Pas obligatoirement, à en croire Stéphane Distinguin. « Le sujet de la transformation numérique pour la transformation numérique est finie. Le juge de paix sera dorénavant l’innovation sectorielle », prophétise-t-il. En d’autres termes, spécialisez-vous ou apprêtez-vous à rencontrer de sérieuses difficultés. « Lorsqu’on prend du recul, c’est le sens -assez logique- de l’Histoire. Les agences de publicité et de communication s’occuperont toujours du volet communication digitale, réputation ou influence, tandis que tout ce qui est construction de plateformes et plateformisation du business reviendra à la concurrence », conclut l’ancien haut dirigeant. Plus qu’une question de temps, là encore ?

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