Fabrication de visières en impression 3D, adaptation des masques de plongée Decathlon en respirateurs, réaménagement des espaces de travail… Les designers et les « makers » ont été parties prenantes de la lutte contre le Covid-19. Mais si ces créateurs ont su répondre à l’urgence, ils sont impliqués depuis longtemps dans la réflexion sur un monde plus juste, plus responsable, plus durable. Les agences de design, qui travaillent au quotidien sur les packagings ou les lieux de vente, sont conscientes de leur responsabilité et préconisent des solutions techniques moins polluantes. Elles n’ont plus le choix, puisque le respect des normes sociales et environnementales fait partie des exigences de leurs clients. « Les grandes entreprises, elles-mêmes très surveillées sur les questions RSE (responsabilité sociétale des entreprises), attendent des engagements de leurs fournisseurs, explique Marie Reynaud, directrice du développement de Lonsdale. Par exemple, les appels d'offres des Jeux olympiques de Paris 2024 demandent des bonnes pratiques à tous les intervenants en termes d’éco-conception et de réduction des émissions de carbone. » « Il y a deux ans, le premier critère de choix était encore le prix. Aujourd’hui, les clients s'interrogent davantage sur le bilan carbone d’un projet, témoigne Patrick Roux, directeur général de Saguez & Partners, qui réalise une grande part de son activité dans l’immobilier. Ils ne vont plus au moins-disant. Je dirais que le volet RSE pèse 10% à 20% dans la décision finale et va passer rapidement à 30-40%. »
Avant même la crise sanitaire, les incendies géants en Australie fin 2019 avaient marqué les esprits des décideurs. « Dès 2015, la COP21 a été un révélateur. La problématique RSE est devenue une composante importante de chaque brief », confirme Philippe de Mareilhac, directeur général du groupe Team Créatif. La généralisation de l’éclairage LED, moins consommateur d’énergie, de colles sans solvants, de plastique recyclé a permis de répondre aux cahiers des charges. Mais ce n’est pas suffisant. « On réfléchit désormais à la deuxième vie des projets. Tout programme architectural est pensé pour être optimisé dans la durée. Un immeuble de bureaux doit pouvoir être transformé en logements et inversement », explique Christian de Bergh, directeur du design de Babel, membre du réseau RSE Agences Actives, créé par l’AACC et Afnor Certification. Grâce aux innovations techniques, le calcul du bilan carbone n’est pas toujours favorable au recyclage, souligne Patrick Roux : « Il est parfois moins vertueux que le neuf, c’est le cas dans les moquettes par exemple, avec les nouvelles normes. De même, le béton recyclé n’est pas forcément de bonne qualité, mieux vaut travailler à partir du bâtiment existant. »
Experts en stratégies RSE
Parce qu’elles ne peuvent pas être multispécialistes, les agences design s’entourent d’experts en stratégies RSE : Terra Incognita et Phenix pour Lonsdale, Haatch pour Team Créatif… Centdegrés s’est aussi rapprochée de Quantis, société de conseil en développement durable, pour mieux accompagner ses clients de la cosmétique sur la réduction des packagings. Elle a créé le prototype Noco (pour No Compromise), une marque de shampoing sans silicone, présentée dans un flacon en PET recyclé, de forme rectangulaire pour prendre moins de place. « Les entreprises ont beaucoup fait de greenwashing. Ce partenariat nous permet de répondre de façon plus experte et quantifiée », affirme Élie Papiernik, cofondateur de Centdegrés. Landor travaille avec l’ONG Plastic Planet pour identifier les matériaux alternatifs aux plastiques et les mettre à disposition de ses créatifs dans un catalogue open source. « Sur ces problèmes complexes, il faut s’entourer des bons partenaires, voire repérer les futurs talents », soutient Luc Speisser, président de Landor Europe, récemment promu global innovation officer des agences Landor et Fitch au sein du groupe WPP.
Rapprochements entre concurrents
Il s'agit là d'une démarche collaborative adaptée à une nouvelle économie moins compétitive. « Plutôt que de se lancer dans des appels d’offres, on a proposé des rapprochements avec des concurrents, comme Patteblanche en RSE, Aristophane en communication éditoriale, en acceptant de partager le budget, témoigne Aurélia Carré, directrice conseil de Pixelis. Nos points de vue se complètent et nos clients nous encouragent. » Parfois, le rapprochement se traduit par des acquisitions, comme lorsque Change rachète Quadrature, une agence spécialisée en RSE. Pulp a fait le choix de créer le poste de responsable RSE, confié à Ségolène Giraudier. « On croit à l’intelligence collective, confie Anna Andersson, directrice de création associée. On a créé une méthodologie pour aider nos clients à s’emparer de ces sujets. C’est ainsi que nous avons lancé la marque Récoltons l’avenir avec Marque Repère, non pas à partir d'un brief mais en discutant du fait que beaucoup d'agriculteurs étaient en train de se convertir au bio. »
Une des nouvelles responsabilités des agences de branding est d’aider les dirigeants à cibler les engagements qui ont du sens par rapport à leur activité. « Beaucoup de clients se sont noyés dans la logique RSE, car ils ont ouvert plusieurs dossiers (recyclage, végétalisation, réduction des déchets…) sans travailler leur singularité. Actuellement, une de nos missions est de les aider à hiérarchiser leurs priorités selon qu’ils sont nés dans l’écologie ou qu’ils y sont venus récemment », relate Anne Henry, directrice du planning stratégique de CBA. L’agence a créé un outil de mesure de la performance de ses réalisations, l’Empreinte Utile. De même, Change a créé le Benevolence Index, qui mesure l’utilité de la marque et la responsabilité de l’entreprise. Car les entreprises n’ont plus seulement besoin de communiquer sur leurs actions mais bien de quantifier leur efficacité en termes d’attractivité, de préférence, d’engagement sur les réseaux sociaux…
Les agences se transforment alors en cabinets de conseil en transition environnementale, comme W, qui lance l’offre Contributing Advisory. « Nous sommes aux côtés des dirigeants pour faire le tri parmi une accumulation de concepts qui correspondaient à une financiarisation de l’économie et qui ne sont plus adaptés à un monde qui doit se mettre au régime, explique Denis Gancel, président fondateur de W. Les marques ont une vision, des valeurs, une raison d’être. À nous de mettre des mots et de la création sur ces engagements. »
Remise en question en interne
Les agences s’appliquent aussi à elles-mêmes cette remise en question. La plupart a entrepris des actions a minima, comme la distribution de gourdes réutilisables ou la mise en place du tri sélectif, mais les jeunes salariés en demandent plus. Cela devient même un enjeu de recrutement. « En entretien d’embauche, on me demande s’il est permis d’amener son repas. Les jeunes diplômés sont très sensibles aux messages de Greta Thunberg », souligne Anne Hemery, responsable des ressources humaines de Saguez & Partners. L’agence est pionnière dans ses locaux de Saint-Ouen, avec un bâtiment rafraîchi sans climatisation, une cuisine locavore, un atelier de réparation de vélos ou encore l’embauche de chômeurs longue durée de la commune. Un groupe de travail développement durable sensibilise les 130 collaborateurs aux bonnes pratiques, comme l’utilisation du moteur de recherche Ecosia, associé à un programme de reforestation.
Chez Lonsdale aussi (230 personnes), des salariés sont à l’initiative du groupe Mieux Mieux, qui propose tous les mois des défis : tri, troc, détox numérique... De son côté, Pixelis est certifiée B Corp, un label très exigeant en termes d’impact social et environnemental, tandis que Team Créatif France est en voie de certification. « Nos clients Bonduelle, Fondation Lactel sont très sensibles à cette démarche », souligne Philippe de Mareilhac. Sans aller aussi loin, Dragon Rouge a reçu le label Or de la plateforme EcoVadis, qui évalue les performances RSE des entreprises. Elle est également partenaire de la Fondation Ellen MacArthur pour promouvoir les messages sur l'économie circulaire.