Zéro. C’est, sauf exceptions, le nombre de tournages de films publicitaires qui ont pu se tenir dans des conditions normales en France durant les huit semaines du confinement. Mi-mars, tout un pan de l’activité publicitaire, celui de la production, s’est ainsi retrouvé à l’arrêt quasiment du jour au lendemain et reste encore aujourd'hui dans une grande incertitude pour la suite. « Je fais ce métier depuis 1987 et je n’ai aucun exemple de crise similaire », relate Arno Moria, dirigeant fondateur de la société de production Insurrection.
Si ces tournages ont aujourd’hui repris, c’est dans le respect strict de consignes sanitaires. « Il faut, collectivement, être bien conscients des changements à opérer pour recommencer à produire », avertissent, dans un communiqué commun daté du 6 mai, l’AACC et l’APFP, représentant respectivement les agences de communication et les producteurs de films publicitaires. En plus du risque sur la santé, « le risque est juridique et financier en cas de problème dû au non-respect des mesures de sécurité, sans parler du risque sur l’image. Il convient alors que les conditions de production garantissent une sécurité optimale à tous », complètent les instances représentatives, qui ont, dans la foulée, publié 84 recommandations pour une reprise des tournages et prises de vue dans des conditions acceptables pour assurer la sécurité des personnes. Parmi ces recommandations figurent des règles pour gérer le matériel de tournage, le nettoyage et la désinfection des espaces tout au long de la production d’un film, la gestion des équipes ou encore le comportement à adopter sur un plateau.
« Gros enjeu sur le local »
Si un début de reprise sous conditions se profile, il n’en reste pas moins que les entreprises du secteur, « empêchées » de produire durant cette période, ont été éprouvées. Les sociétés de production, dont beaucoup de TPE et PME, ont été fragilisées financièrement par cette absence d’activité sur huit longues semaines - même si la réponse à des appels d’offres, le montage de films déjà tournés ou la préparation de nouveaux projets ne se sont pas entièrement arrêtés. Certaines aussi avaient de l’avance de trésorerie, d’autres, aux structures légères, se sont adaptées. Alors qu’elles doivent désormais se relancer, ces maisons dépendent par ailleurs du retour des budgets communication chez les annonceurs, largement coupés depuis le début de la crise. Elles dépendent aussi de la volonté des marques de réinvestir dès à présent le terrain publicitaire. Enfin, si la reprise s’annonce, les bouleversements traversés ces dernières semaines ont conduit le secteur à s’interroger sur ses méthodes de fonctionnement.
« Sauf impossibilité majeure, les tournages devront être réalisés en France », recommandent l’AACC et l’APFP. « Il y a un gros enjeu sur le local », résume Juliette Lambert, fondatrice de Mirror Mirror. Une façon de créer de la valeur localement et de contribuer à la relance économique tout en gardant la maîtrise sur les coûts de production, alors que la prise en compte des nouvelles règles liées au Covid-19 devrait, selon l’AACC et l’APFP, entraîner une augmentation de ces coûts de 10 % à 30 % en moyenne. « Pour parler de ce que je vis aujourd’hui [le 20 avril], les appels d’offres concernent surtout les talents français et les tournages en France. Nous sommes prêts à pouvoir répondre à des appels d’offres relocalisés », observe Elsa Rakotoson, fondatrice de Frenzy Paris, qui a, dans un communiqué post-confinement, réaffirmé l’importance de cette relocalisation également défendue par l’AACC et l’APFP. « [C’est] une nécessité pratique, économique et sanitaire. C’est également un engagement éco-responsable et moral. »
Météo favorable
Tourner en France : c’est dans cette optique que Solab a ouvert, en avril, un bureau à Marseille. « Un lancement pour garder confiance dans les mois qui viennent », appuie son cofondateur Nicolas Tiry. La société, qui tournait déjà dans cette ville, ne doute pas de ses atouts : localisation au bord de la mer, présence de routes côtières, météo favorable… « C’est à trois heures de Paris, il y a beaucoup de décors, le climat y est aussi bon voire meilleur qu’à Barcelone », complète Edouard Chassaing, autre cofondateur. Selon l’évolution de la situation, ce bureau sera pérennisé ou non. Conçu comme une réponse au déconfinement, il permet, en tout cas, de reprendre les tournages rapidement.
« Embouteillage »
Cette ambition de tourner localement s’inscrit aussi dans un contexte où les déplacements à l’étranger restent difficiles : l’avenir dira si elle est tenable sur le long terme et si le choc de la crise associé aux préoccupations écologiques qui existaient précédemment conduira à une modification durable des pratiques. « La France ne peut pas accueillir tous les tournages français : il y a des sujets et des économies qui ne fonctionneront pas, il y aura embouteillage, un manque de techniciens, de matériel et de décors, note Jérôme Denis, dirigeant de La Pac. C’est pourtant le plus beau challenge qui est offert à notre marché. » Par ailleurs, la relocalisation apparaît possible moyennant « l’équivalent d’un crédit d’impôt sur les tournages réalisés en France », revendique Arno Moria.
En lien avec cette réflexion sur l’écologie, la crise du Covid-19 pourrait ainsi accélérer l’essor d’une production plus verte. Au-delà de la question du coût carbone d’un voyage en avion par exemple, le secteur se penchait déjà sur son impact environnemental. Moins de camions, plus de trains, moins de gobelets en plastique sur les tournages… Les pistes d’amélioration existent. Cette préoccupation pourrait aussi se traduire dans les films. « Nous nous dirigeons vers beaucoup d’éthique dans les messages publicitaires », relève Hugo Legrand-Nathan, dirigeant de Birth.
French touch
Autre changement à l’œuvre, celui des talents. « Il y a une tendance que le confinement va renforcer : depuis l’année dernière, le marché a davantage envie de tourner avec des réalisateurs français ou proche européens », constate Jérôme Denis. Fini la course aux réalisateurs internationaux multi-primés ? Quoiqu’il en soit, d’autres profils semblent avoir davantage de chances qu’auparavant d’émerger, dans ce mouvement de fond qui consiste à promouvoir les talents les plus proches. Comme une réponse, côté agences, à la rationalisation des coûts, et un choix face à des manières de production différentes. La tendance sera sans doute forte tant qu’il sera compliqué pour les réalisateurs étrangers de venir en France et pour les équipes de se déplacer à travers le monde. L’avenir dira si elle perdurera.
Les tournages du confinement
Tandis que le confinement a mis un coup d’arrêt aux tournages, certaines marques se sont attachées, durant la période, à continuer de communiquer. Pour cela, il leur a fallu utiliser les moyens à disposition, à savoir la post-production. Certains métiers mal connus de ce territoire de la production ont pu bénéficier d’un coup de projecteur. « C’est la revanche des premiers confinés, interpelle Raphael Kenzey, fondateur de Raise Up. De nouveaux talents vont émerger. » Côté formats, le digital avait déjà fait exploser la demande en contenus, par exemple en matière d’animations. Le confinement aura peut-être donné un coup d’accélérateur. Mais il aura surtout mis en lumière les avantages des tournages en remote, c’est-à-dire à distance, moyennant une caméra et une connexion internet. « Le remote devra être utilisé pour limiter la présence sur les lieux de tournage », recommandent d’ailleurs l’AACC et l’APFP. Une technique qui, au-delà de l’aspect sécuritaire, permet de réaliser des économies de budget, non pas sur l’artistique mais sur la logistique (déplacements…), sachant que l’annonceur et l’agence peuvent également, par ce biais, suivre un film sans se rendre sur le plateau.