« Je ne connais pas aujourd’hui un grand acteur de l’événementiel qui ne discute pas pour améliorer sa compétence sportive, tous les leaders cherchent à se structurer. » Le constat que dresse Lionel Malard, dont le cabinet de conseil Arthémuse accompagne de nombreux acteurs de l’événementiel, est lié à ce que tous désignent comme un événement extraordinaire, de ceux qui n’arrivent qu’une fois au cours de l’existence : accueillir les Jeux olympiques dans son pays. Une vraie opportunité de business pour ces agences d’événement ou de communication, à condition de se muscler en compétences sportives.
Double 2 a ainsi racheté l’an dernier Alizeum, l’organisateur des Étoiles du sport, une manifestation qui rassemble le gratin des sportifs français de haut niveau. « Nous ne nous sommes pas rapprochés d’Alizeum uniquement pour occuper une place prépondérante dans la perspective de 2024. Nous étions déjà un acteur référent dans ce domaine, par exemple avec l’organisation du Mega Jump de Taïg Khris. Nous l’aurions fait sans les JO, mais, il ne faut pas se le cacher, cela a joué, car les Jeux sont une opportunité de dynamiser toute la filière du sport », note Thomas Deloubrière, cofondateur de Double 2. Pari gagnant en tout cas pour son agence de 70 personnes qui fait partie, avec Aimko, Hopscotch, Egg et Havas Events/ Havas Sports & Entertainment, des agences événementielles short-listées par Paris 2024. Ces heureux élus sont les seuls à être consultés à chaque appel d’offres du comité d’organisation des Jeux olympiques (COJO). Et c’est justement Double 2 qui a raflé les premières mises, notamment le 23 juin dernier avec l’organisation de la « Journée olympique » qui avait vu rien moins que la privatisation de la place de la Concorde pour présenter, entre autres animations, les nouvelles disciplines olympiques.
L’annonce la plus spectaculaire a été faite par le groupe Publicis. L’agence des Champs-Élysées a officialisé en avril la création de Publicis Sport, une entité placée sous la responsabilité de Pascal Crifo, président de Blue 449, l’agence média du groupe. Elle est dirigée par Guillaume Cossou, ancien champion du monde de karaté débauché chez Lagardère Sports. « Nous en parlions depuis des années chez Publicis, mais le sujet s’est accéléré car la perspective des JO en France pouvait offrir des opportunités de croissance intéressantes ; et parce que nous nous sommes rendu compte que dans beaucoup de briefs autour de la RSE, le sport pouvait être un formidable raccourci pour exprimer les valeurs d’une entreprise », explique Pascal Crifo. L’agence, qui s’appuie sur les compétences du groupe, vise à la fois les clients de Publicis et des prospects. Elle travaille déjà pour Accor (un client de la maison) dans le cadre de son partenariat avec le PSG, et cherche à recruter deux ou trois chefs de projet.
Autre acteur de l’événementiel, MCI France a récemment fait évoluer son organisation pour se structurer en quatre pôles d’expertise : congrès, event, santé et sport. « Nous n’avons pas attendu les JO pour nous intéresser au sujet, nous avions déjà anticipé le fait qu’on pouvait avoir les Jeux à Paris », indique Antoine Alexandre, directeur général de l’organisateur qui avait notamment accompagné la délégation française lors de la désignation de la ville hôte à Lima, en 2017, soit 500 personnes à prendre en charge pendant quatre jours. Fort d’une dizaine de personnes et s’appuyant sur 60 bureaux dans le monde, MCI est lui aussi en phase de recrutement. « On est sans arrêt en veille en fonction du business et des appels d’offres. On doit être de plus en plus créatifs pour imaginer des dispositifs qui fassent le buzz, et les talents sont très disputés dans ce domaine », assure Antoine Alexandre.
Des budgets annexes
Certains, pour l’instant, restent toutefois à l’écart de ces grandes manœuvres. Pour Ubi Bene, ce sont les circonstances qui dictent l’attentisme. Du fait du départ en mai 2018 de son dirigeant Thierry Reboul pour occuper le poste de directeur de la marque, de la créativité et de l’engagement au COJO, « l’agence n’a pas le droit de toucher aux JO avant Tokyo, précise son dirigeant actuel Michaël Courcoux. Nous verrons ensuite s’il y a une opportunité de faire bouger la liste d’agences référencées. » Le responsable affirme « être prêt à dégainer » quand ce sera possible. « Nous n’avons pas besoin de nous structurer davantage en sport dans la mesure où nous maîtrisons déjà les sujets, à la fois en conception et en production », estime-t-il.
De fait, Ubi Bene avait été l’une des principales agences sollicitées par le comité de candidature lors des événements organisés avant l’obtention des Jeux. En attendant un éventuel retour comme prestataire du COJO, l’agence peut aussi viser les budgets des partenaires des Jeux. « À côté de chaque “jumbo event” comme les JO, il y a toute une série de “side events” qui alimentent le business », explique le consultant Lionel Malard. Il cite comme exemple le partenariat de Perrier avec Roland-Garros. Cette année, quelques jours avant le tournoi, la boisson pétillante avait fait la une des médias en réinstallant une tyrolienne à la tour Eiffel. Pour les JO, le même phénomène se produira immanquablement avec des partenaires soucieux d’investir en opérations d’activation une somme comparable à celle de leur ticket d’entrée.
À la recherche de gros sponsors
En juin dernier, un coup de tonnerre a toutefois retenti, menaçant d’enrayer la belle mécanique attendue par le marché. Total s’est vu refuser par la maire de Paris Anne Hidalgo la possibilité de devenir l’un des sponsors majeurs de Paris 2024. Et, alors que les droits pouvaient être activés dès le début de l’année 2019, le COJO, qui a besoin de 1,2 milliard d’euros pour boucler son budget, n’a ferré qu’un seul gros poisson : Banque populaire Caisse d’épargne (BPCE).
Quel contraste avec la période passée, quand la candidature parisienne avait su embarquer avec elle une quinzaine de sponsors enthousiastes ! « Le problème, c’est qu’à l’époque le ticket d’entrée était à 2 millions d’euros. C’était accessible pour beaucoup et assez facile à justifier en termes de retombées. Là, à 130 millions d’euros, il faut commencer à démontrer par A+B à quoi cela va servir à votre entreprise », analyse Bruno Bianzina, directeur général de Sport Market, une agence de marketing sportif qui avait accompagné Suez, Elior, la RATP et la Française des jeux lors de la candidature de la capitale. D’autres se posent aussi des questions sur la présence de Thierry Reboul au sein du COJO. « C’est le créatif le plus reconnu dans l’événementiel. Son embauche n’est-elle pas le signe que le comité d’organisation va vouloir conserver en son sein la capacité à créer et produire des événements ? » s’interroge Lionel Malard.
En attendant que les partenaires sortent du bois, peut-être après les Jeux de Tokyo, le label « Terre de jeux » lancé par Paris 2024 devrait donner aux agences du grain à moudre. Il doit permettre à n’importe quelle collectivité de France ou de Navarre de s’associer à l’événement en faisant labelliser sa politique sportive. « C’est un nouveau marché intéressant, indique Bruno Bianzina. Nous accompagnons déjà la ville de Saint-Germain-en-Laye sur ce dossier, car pour elle le label est un préalable pour candidater comme centre de préparation aux Jeux olympiques. »
Pour d’autres enfin, nul besoin d’avoir développé une compétence spécifiquement sportive pour décrocher le gros lot. C’est la belle histoire qui est arrivée à l’agence Buzzman, qui a gagné l’appel d’offres pour le film mettant en scène la vision de Paris 2024, « Le sport peut tout changer », diffusé en juin dernier. « Nous n’avions pas beaucoup de références sur ce type d’annonceur, ce n’est clairement pas là-dessus qu’on s’est fait remarquer, mais on y croyait et le sujet nous inspirait », raconte Julien Levilain, le directeur général de cette agence publicitaire. Le banquet des Jeux olympiques est ouvert à tous.
Marketing sportif : un guide pour s’y retrouver
L’association Sporsora, qui fédère plus de 220 acteurs de l’écosystème du sport, a eu l’heureuse idée de publier un guide, téléchargeable sur son site, qui recense l’ensemble des acteurs de la filière. Conseils en politique de partenariat pour les annonceurs, recommandations aux détenteurs de droits en commercialisation de droits médias, en activation, en relations presse… Tous les prestataires sont listés en fonction des différents métiers, de manière à mieux se retrouver dans un secteur qui s’est « énormément professionnalisé et complexifié », note Magali Tezenas du Montcel, la déléguée générale de l’association. Une bible indispensable pour évoluer dans ce domaine.