Vous avez rejoint le groupe Havas à le rentrée 2017 en tant que CEO d’Havas Creative France. Un an et demi après, quel bilan faites-vous de votre action ?
Je suis issu du digital, c’est le cœur de mon savoir-faire, même si j’ai beaucoup appris de la publicité en étant chez DDB. Il y a quelque chose qui m’a toujours guidé, c’est l’expérience client au sens plein du terme. Quand je suis arrivé chez Havas, la première chose que j’ai faite est d’aller voir les clients -en particulier les plus importants- pour comprendre leurs attentes et adapter notre offre et nos réponses à leurs problématiques. J’ai fait cela pendant trois mois. C’est vrai que dans les grands groupes, les adaptations des offres se font aussi du fait d'histoires internes. J’ai redit à toutes les agences que si nos clients font appel à Havas Creative, c’est pour renforcer leur leadership via la création. C’est un enjeu fondamental parce que la création, on le sait désormais, c’est ce qui fait la différence devant la multiplication des médias, des supports, des points de contact, tous ces messages dont on est abreuvés au quotidien. Si un message n’est pas un minimum créatif et différent, il n’existe pas.
Concernant le volet des agences créatives, du changement a eu lieu à l’exemple de l’intégration de Humanseven au sein de Havas Paris. Pourquoi un tel choix ?
La création permet d’accroître le business des marques. Et pour attirer les meilleurs talents, il faut être créatif. C’est pour ces raisons que le choix a été fait de fusionner Humanseven et Havas Paris. Le 11 mars, toutes les équipes seront réunies sous la bannière Havas Paris, qui va développer de nouvelles offres et clarifier les offres existantes tout en mettant l’accent sur une création plus sociale, au sens médias sociaux. Avec 500 personnes, Havas Paris sera plus puissante et couvrira encore plus de métiers. Car aujourd’hui, il faut jouer soit la carte de l’hyperspécialisation, soit la carte de la puissance. On est dans un modèle intégré chez Havas Paris, avec de nombreuses expertises: création, influence, brand content, édition, shopper, transformation RH, sans parler de celles lancées récemment autour de la blockchain ou des problématiques de litigation. Mais il y avait un déséquilibre entre l’influence et la création. L’arrivée de Humanseven va rééquilibrer les choses. Surtout, Havas Paris dispose d’une nouvelle feuille de route consistant à se reconcentrer sur la création de manière à gagner des prix prestigieux. En 2018, l’agence a remporté pour près de 20 millions d’euros de new biz avec des gains comme Boulanger, La Banque Postale, Ikea et Natixis.
Tout comme les annonceurs, les agences se retrouvent challengées par de nouveaux acteurs. Comment Havas y fait-il face ?
Nous voulons construire les marques et leur business dans la durée, avec la capacité de générer des communautés de marque. C’est là que le lien avec Vivendi est évident, autour du brand content et du contenu, devenu majeur. Avec Vivendi, on a accès à Gameloft, Universal Music, Canal +, Editis aussi depuis peu, cela permet d’élargir encore le scope. Les médias sociaux ne sont pas la solution à tout, la télévision et l’affichage non plus. Il faut arriver à jouer avec et souvent, dans les briefs ou les pitchs, l’orchestration n’est pas abordée. Cela débouche typiquement sur un film de 30 secondes ou de l’affichage. Attention, je ne suis pas en train de dire que la TV et l’affichage, c’est le vieux monde. Mais il existe de nouveaux médias très puissants. Il est impossible de faire une campagne sur Instagram comme on la conçoit sur Facebook. On ne peut plus décliner, il faut s’adapter à l’expérience média. On remarque par ailleurs que tous les secteurs d’activité sans exception sont challengés, que ce soit par les réseaux sociaux, le e-commerce, les influenceurs ou les attentes des consommateurs qui changent. Et nous aussi, il faut qu’on s’adapte. C’est pour cela que 2018 a été une année d’investissement et de transformation. C’est lourd, c’est dur. L’exercice 2019 sera plus agressif.
À commencer par le lancement de Cortex, une entité réunissant le planning stratégique sur les volets créa et média ?
On fusionne les plannings stratégiques des agences pour créer une entité qui s’appelle le Cortex. Cette entité regroupe 40 planneurs, soit le planning stratégique média et le planning stratégique création. Les planneurs sont tous regroupés sur un même plateau afin de mêler la culture créative et la culture média. Le but, c’est de dire qu’au-delà des méthodes de travail des créatifs, on prend en compte directement l’orchestration média. Une phrase résume le mieux possible la raison d’être de Cortex: le planning intégré au service d’une création augmentée. Je suis convaincu qu’il n’y a pas de création sans stratégie. Le planning stratégique, c’est le nerf de la guerre. Il n’y a qu’à regarder le planning stratégique de BETC -qui est exceptionnel- pour s’en convaincre. Pareillement pour DDB. C’est la raison pour laquelle il faut être encore plus fort à ce niveau-là. Car cela permet de faire monter le niveau créatif par ricochet. Je suis par ailleurs convaincu que la création et l’orchestration média ne peuvent plus être séparés. L’hybridation est en marche. Pour en revenir à Cortex, l'hybridation va se faire naturellement même, si dans un premier temps, chacun possède sa propre expertise de prédilection. C’est transformatif: ça touche le P&L, le management, le travail des équipes au quotidien. Pour l’instant - et ce n’est a priori pas amené à évoluer- la direction de Cortex est confiée conjointement à Sébastien Emeriau (directeur du planning stratégique et de l’innovation chez Havas Media) et Benoît Lozé (directeur du planning stratégique du nouvel Havas Paris). Ce planning stratégique unique, Havas est le premier grand groupe à le mettre en place. Le Cortex crée un lien plus fort entre Havas Creative et Havas Media, il y en a besoin ! Il faut que les équipes travaillent ensemble au-delà de la rhétorique et que les cultures se nourrissent réciproquement tout en se respectant. Pour faciliter sa mise en œuvre, le système de bonus a été revu.
Le paysage créatif du groupe est-il amené à évoluer en 2019, que ce soit par le biais de nouveaux rapprochements et/ou d’opérations de croissance externe ?
On est sur deux dossiers, l’un très avancé et l’autre qui a démarré sur de bonnes bases, mais je ne peux strictement rien dire de plus. Cela concerne des compétences qui peuvent nous faire défaut ou des leviers de croissance sur lesquels on compte investir. Cela pourrait typiquement concerner Havas Helia, qui a été lancée au premier trimestre 2018 sur le volet data/CRM en s’appuyant notamment en partie sur les équipes issues de Fullsix Data. Sachant que si un client veut être accompagné dans sa transformation digitale, il peut aussi s’appuyer sur Ekino et Fullsix, qu’on a repositionnées sur l’expérience client digitale pure et dure.