En juin dernier, le Conseil d’État a publié une étude très commentée préconisant l’ouverture des professions de santé à une certaine forme de publicité. Actuellement, le secteur est régi par l’article 19 du Code de la santé publique, qui stipule que « la médecine ne doit pas être pratiquée comme un commerce ». L’Ordre des médecins rappelle que la santé n’est pas un bien marchand mais un service, et que les praticiens doivent s’interdire tout démarchage commercial. Le Conseil d’État a cependant relevé que la réglementation actuelle pouvait ne « plus répondre totalement aux attentes d’un public demandeur de transparence sur l’offre de soins […] L’essor rapide de l’économie numérique a rendu obsolètes certaines des restrictions actuelles en matière d’information dans le domaine de la santé […] De plus en plus de patients recherchent des informations sur l’offre de soins sur internet et les réseaux sociaux, tout en doutant parfois de leur pertinence. » En début d’année, l’Autorité de la concurrence a émis un avis similaire, au nom de la conformité au droit européen.
L'effet Doctolib
« De manière globale, il est interdit aux médecins de faire de la réclame, de distribuer des tracts publicitaires ou de faire des encarts promotionnels, rappelle Florent Chapel, directeur associé de LJ Communication, agence de communication de crise très présente sur la santé. En revanche, cela ne signifie pas qu’ils n’ont pas le droit de communiquer. Ils peuvent diffuser des informations dans la presse, faire l’objet d’un article, d’une interview... Ils peuvent donc se construire une réputation. » Pour Éric Phélippeau, fondateur de By Agency, « la position du Conseil d’État est la conséquence directe de Doctolib ». Cette plateforme de prise de rendez-vous médicaux en ligne, qui référence 70 000 professionnels, a facilité la vie des patients et des praticiens, mais a aussi habitué le public à rechercher des informations médicales sur internet avec des conséquences imprévues : les médecins sont désormais notés sur Google, comme un restaurant sur La Fourchette. Les professions réglementées sont répertoriées sur le moteur de recherche aux côtés de spécialités non assujetties aux mêmes contraintes, qui peuvent, elles, acheter des mots-clés (ostéopathes ou naturopathes par exemple). Le même problème se pose pour les pharmacies face aux parapharmacies de grandes surfaces.
Cette distorsion mérite d’être corrigée, même si les docteurs ne vont pas être autorisés à acheter des encarts publicitaires en 4x3 ou à distribuer des tracts dans les boîtes aux lettres. Le Conseil d’État propose de permettre aux métiers de santé dotés d'un ordre professionnel, comme les médecins, les sages-femmes ou les chirurgiens-dentistes, d’élargir leur communication à trois domaines : leurs compétences et pratiques professionnelles - par exemple le recours à une formation ou la participation à un réseau de santé publique -, leur biographie professionnelle (âge, langues parlées...), et enfin les informations pratiques relatives à leur exercice, comme les horaires de leur cabinet ou les équipements dont il dispose. En revanche, l’institution se prononce contre la publicité sur le nombre d'actes réalisés « compte tenu de la difficulté d'interprétation de ce type de données ». Elle exclut aussi la notation des prestations par les patients et toute comparaison tarifaire avec un confrère.
Prises de position des internautes
Rien de révolutionnaire donc, et les budgets sont trop limités pour représenter un nouveau marché pour les agences de communication santé. Mais la maîtrise de la réputation en ligne, face à la montée en puissance des infox et des notations, peut être un champ d’action pour des agences spécialisées. Déjà, la mutuelle professionnelle MACSF propose une garantie e-réputation proposant de confier à un prestataire le déréférencement d’un contenu litigieux posté sur internet ou de le noyer dans des messages positifs. Les médecins, comme toutes les professions, pourraient aussi bénéficier de formations à l’utilisation des réseaux sociaux, tant les prises de parole y sont anarchiques. D’après l’étude Santé Connect 2018 d’Ipsos, seul 16 % des médecins généralistes considèrent l’e-réputation comme importante. « Comme les groupes pharmaceutiques qui sont encore très frileux pour s’exprimer au-delà du cadre du produit, les professionnels de santé sont obligés de composer avec le paysage digital, sous peine de subir les prises de position des internautes », estime Camille Nagyos, directeur associé d’Ultramedia, une agence qui réalise avec Linkfluence un baromètre des leaders d’opinion de l’industrie pharmaceutique (Sanofi, MSD et Pfizer étaient sur le podium en 2018). « Les professionnels de santé sont probablement ceux qui lisent le plus grand nombre de mensonges et d'erreurs relatives à leur domaine d'expertise sur les RS [réseaux sociaux]. Tout le monde possède un corps, alors plein de gens croient savoir mieux que ceux qui ont étudié le sujet pendant dix ans », écrivait un internaute agacé sur Twitter en février dernier.
L'arrivée d'Amazon et d'Uber
En dehors de la publicité classique avec achat d’espaces, des solutions existent pour augmenter sa visibilité en ligne voire accroître sa patientèle sans démarchage proactif : rédiger un blog ou des contenus sur LinkedIn Pulse, alimenter une page Facebook avec des animations saisonnières dans le cas d’une pharmacie (concernant les produits non remboursés uniquement). Déjà, certaines officines proposent des conseils en nutrition liés à la vente de compléments alimentaires. De même, la vente de médicaments remboursés est autorisée en ligne si elle est adossée à une pharmacie physique avec un titulaire. La grande crainte du secteur est l’arrivée sur le marché de la livraison de médicaments par Amazon et Uber, aux moyens autrement plus importants qu’un groupement de pharmacies. Le Plan santé 2022, qui ouvre la possibilité aux pharmacies de proposer des services de téléconsultation, offre déjà aux praticiens l’opportunité d’embrasser la digitalisation de l’économie, sous peine de se voir « ubérisés ».