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En raison de la pénurie des compétences, de nombreuses agences data doivent sortir des techniques de recrutement traditionnelles pour attirer data scientists et autres développeurs dans une jungle de l’embauche sans merci.

Inquiets pour l’avenir de vos enfants ? Misez tout sur la data. Le jackpot y serait, paraît-il, assuré en raison d’une demande littéralement exponentielle. « Il faut comprendre que la révolution de la donnée concerne aujourd’hui tous les secteurs d’activité sans exception, et ce, dans tous les départements de l’entreprise », rappelle Jeanne Allanic, manager talent et acquisition de la plateforme conseil spécialisée Sutter Mills. Et si les vocations analytiques sont évidemment appréciées, c’est surtout sur les profils techniques des data scientists, data engineers, data architects et autres développeurs que l’on compte pour faire parler ce nouvel or noir des organisations.

Data labs

Dès lors, les annonceurs montent des data labs en un temps record, quand les sociétés de conseil doivent, elles, faire face à de fortes croissances, stimulées par des demandes plus importantes. Résultat : 89 recrutements supplémentaires en 2018 pour Tradelab, 75 pour Sutter Mills, 60 pour Fifty-Five ou encore 50 pour Quantmetry. Les écoles françaises forment-elles assez d'étudiants pour répondre à la demande ? Probablement pas pour le moment, notamment en raison du facteur inédit du temps réel, explique Jean-Baptiste Bouzige, CEO de la société de conseil en data sciences Ekimetrics : « Les besoins des entreprises et les profils recherchés ont jusqu’à présent évolué plus vite que la capacité des écoles à fournir ces profils. » Jeanne Allanic le confirme : « il devient par définition difficile de trouver des seniors sur des métiers nouveaux qui s’inventent chaque année. Conséquence, à quatre ans d’expérience, un profil devient expert. »

Salaires mirobolants

La concurrence n’en est que plus rude. Ici comme ailleurs, les Gafa, leur savoir-faire et leurs salaires mirobolants déséquilibrent le secteur. Mais pour Marie Galtier, directrice des ressources humaines de la plateforme programmatique Tradelab, ils sont loin d’être les seuls : « la data science touchant tous les domaines de notre vie, cette génération en quête de sens est aussi tentée par la médecine, les institutions publiques, la fintech… Pour la première fois, la concurrence est partout. » Y compris là où on ne l’attend pas, comme dans l’entrepreneuriat, les start-up ou même dans le statut de freelance, nouveaux idéaux de millennials en quête de liberté, et qui siphonnent un peu plus encore le vivier des candidatures.

Si les agences data tirent encore leur épingle du jeu, elles ne le doivent qu’à la qualité et la multiplicité de leurs problématiques, très séduisantes pour les candidats. Elles doivent en revanche tabler sur des salaires qui flambent, avec, pour commencer, un tarif réglementaire de 50 000 euros minimum pour s’offrir un junior débutant. Un phénomène d’autant plus vrai, selon Jean-Baptiste Bouzige, « qu’il est encouragé par la situation d’intensité capitalistique du secteur. Des salaires parfois déraisonnables sont proposés par des entreprises qui lèvent des fonds importants sans objectif de rentabilité à court terme. »

Un enjeu de rareté

Au-delà de la question financière, encore faut-il trouver la perle rare. Et sur ces sujets, tous les moyens sont bons. Beaucoup, comme Sophie Milochevitch, group chief people officer de l’agence Artefact, internalisent leurs ressources de chasse : « nous connaissons probablement mieux ces métiers complexes que la plupart des cabinets eux-mêmes et il est financièrement plus intéressant pour l'entreprise d'internaliser l'activité de recrutement et d'approche directe. »

D’autres, comme Quantmetry, vont jusqu’à créer leur propre salon de recrutement pour trouver chaussure à leur pied. « Créé en 2013, DataJob est le premier salon dédié. Nous accueillons 3 000 participants et près de 80 employeurs, comme Vente-Privée ou Le Bon Coin, nous ont rejoints dans l’aventure », raconte la responsable communication, Justine Deshais. D’autres enfin, à l’image d’Ekimetrics, remontent aux origines, en nouant des partenariats académiques forts : chaire à l’École des Mines, propositions de stages ou de sujets de recherches dans d’autres écoles d’ingénieurs, l’entreprise de data sciences ne lésine pas pour nouer le dialogue. Cas extrême, celui de l’entreprise canadienne de services numériques CGI, qui a tout simplement monté sa propre école de développeurs, U’Dev campus, accessible à 180 bacheliers français par an.

À cet enjeu de rareté, s’en ajoute un autre tout aussi complexe, celui de la séduction. Et pour Sophie Milochevitch, ce nouvel enjeu a bien changé la donne : « les processus d’approche sont totalement inversés. Les techniques de recrutement ont aussi profondément évolué. Il faut aller chercher les candidats, les convaincre et travailler en permanence l’image de la société pour faire découvrir son savoir-faire et sa proposition de valeur. La marque employeur et la promesse intellectuelle deviennent essentielles. Le fait de pouvoir s’adapter au candidat aussi. »

 

Pour faire face à la tension qui prédomine, il existe d’autres moyens, notamment en favorisant l’évolution de ses ressources internes. « Des data engineers peuvent devenir data scientists, et des statisticiens des data analysts. Sur 200 personnes, nous avons d’ailleurs eu 40 mobilités internes cette année », confirme Marie Galtier. Et, pour Jean-Baptiste Bouzige, il s’agirait même d’un atout : « un salarié reçoit chez nous 45 formations dès la première année. Quand un junior sait que ses compétences techniques seront obsolètes à cinq ans, cela devient un avantage concurrentiel. » À condition seulement, pour les entreprises, d’apprendre à recruter différemment, en cherchant, au-delà des expertises, des personnalités capables d’adaptation dans ces métiers perpétuellement effervescents. Reste que les choses pourraient bientôt se réguler avec la création de formations spécialisées performantes. Ne restera alors que le meilleur de cette guerre des talents, à savoir un rapport humain employeur/employé probablement plus vrai.

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