Il avait prévenu. «Vous ne trouverez personne qui ne dise pas du bien de lui. Antoine créé naturellement une sympathie forte, il a cette espèce de charisme et de capacité à fédérer les gens autour de lui en interne comme en externe.» De Montréal (Canada), Jacques-Hervé Roubert, président du réseau d'agences interactives Nurun, a plaisir à vanter son patron France, Europe et désormais Chine, Antoine Pabst, qu'il a recruté en 2004.
Quelques années plus tôt, en 2000, cet ancien publicitaire, québécois d'adoption avait revendu sa Web Agency française Cythere à Quebecor, acte fondateur de ce qui allait devenir, par croissance externe, le réseau international Nurun (1 200 personnes dans six pays sur trois continents). Sa prédiction était juste. Ses collaborateurs et ses clients, ne parlons pas de ses amis, aiment cet homme.
«Ce type a beau être excellent, il a beaucoup d'humilité et tient ses promesses sans jouer la servilité, dit son client Patrick Ropert, directeur de la communication de SNCF. Et ses équipes sont à l'image de la culture qu'il diffuse dans son agence, des gens engagés dans le travail bien fait, sérieux mais qui ne se prennent pas au sérieux, ce qui est rare dans le métier, et qui partagent des valeurs communes aux nôtres.»
En mars 2011, Nurun a remporté, en finale contre DDB, la refonte et la stratégie digitale de SNCF.com, sorti en juin 2012. Une des plus grosses compétitions de l'année apportant la preuve, s'il le fallait, qu'un «pure player» digital – expert des plates-formes technologiques – ayant intégré le planning stratégique et la création, pouvait parfaitement gérer en interne un tel projet. «Les résultats dépassent tous nos objectifs en visiteurs, en durée, en pages vues et en conversion», dit Patrick Ropert.
«Un développeur»
En huit ans, Antoine Pabst a développé l'agence Nurun et l'a fait grandir de 60 à 200 personnes (20 millions d'euros de marge brute), avec une croissance de 16% depuis trois ans. Nurun est aujourd'hui (avec Fullsix) la plus grosse agence interactive indépendante française, avec comme clients B&You (Bouygues), L'Oréal Paris, EDF, Yves Saint Laurent et Ecosystème.
«Il m'a bluffé, lance son ancien associé dans Sales Machine, Pierre de Perthuis. Je n'avais aucun doute sur ses qualité managériales ni sur sa connaissance des métiers du marketing. Mais, à la quarantaine, prendre la tête d'une agence numérique et devenir l'une des figures du digital sans être un “geek”, c'est exceptionnel.» Antoine Pabst n'était pas, en effet, promis à ce destin. Quoique.
Son ancien directeur général, Clément Delpirou, directeur d'Infopro Digital, se souvient que dans les premières présentations, son patron s'emmêlait entre Java, HTP et My SQL, et en plaisantait lui-même. «Il écoute vraiment et a toujours envie d'apprendre, son intérêt n'est jamais feint.»
Sa carrière commence dans la promotion chez Piment (DDB) et se poursuit dans le marketing direct chez Wunderman Cato Johnson (Y&R), avant de basculer dans la folle aventure de Sales Machine, une agence qu'il fonde avec trois associés en 1993.
«Notre offre maillait toutes les disciplines du hors-médias pour trouver des solutions innovantes, raconte Antoine Pabst. C'était totalement inédit et assez proche des enjeux d'intégration du digital aujourd'hui.» Visionnaire? A l'époque, Sales Machine défendait le concept de la «creative business idea» avec pour slogan: «Vendre est l'acte le plus créatif.» «On s'est bien amusé» se souvient Pierre de Perthuis, qui planche aujourd'hui sur un projet de banque alternative.
En 1997, les fondateurs revendent leur boutique à Havas et restent au-delà de leur «earn out», trois ans de plus. Nous sommes en 2003 et cette fois, c'est décidé, Antoine Pabst arrête de «bosser dans la communication». Alors, le digital? «J'ai pensé à lui pour Nurun car c'est un entrepreneur, un entraineur et un développeur avec le sens du business, avec un intérêt du client plutôt que des Lions à Cannes», raconte Jacques-Hervé Roubert, publicitaire défroqué, ancien directeur général de Young & Rubicam.
«Un patron singulier»
«Créer sa boite, puis s'intégrer chez Havas, aller ensuite sur un nouveau métier et le développer, sans rien lâcher sur ses convictions et ses valeurs, c'est une capacité d'adaptation rare», souligne son ami Henri Lavaure, directeur général d'Australie.
Ses valeurs? Sans doute d'abord le travail. Il est capable de se mettre à l'entrée de l'agence le matin pour apostropher les retardataires d'un «t'as pas du boulot, toi? Bah, alors, rentre chez toi.» C'est bourru, rugueux, sans conséquence, mais c'est dit… C'est son côté un peu «surgé» paternaliste. «Je peux piquer des colères et mettre des claques dans le dos pour dire que je suis content», avoue-t-il. «C'est un patron singulier, sans posture, il a son bureau au milieu des équipes et croit à l'aventure collective avec bienveillance sans jouer au gourou», raconte Raphaël Roy, directeur Business Innovation de Nurun, ancien responsable des médias et du digital chez Procter & Gamble.
«J'aime les gens, je crois à la force du collectif qui prime sur l'individu», confirme l'intéressé, ancien rugbyman qui a mené une jolie carrière en 2e division nationale. «Attention on jouait 3e ligne L, la ligne arrière des intellos, qui ont une vision du jeu», précise Eric Camel, patron d'Angie, un copain d'enfance. «Les traits de caractère de ce poste sont ceux d'Antoine, poursuit-il. Endurance, concentration sereine, goût du combat, pas du conflit. Un type bien, cash, mais fin, pas une brutasse de première ligne!» Notre rugbyman, étudiant en histoire puis en droit des affaires à Nanterre, milite un peu à la LCR, puis chez les mao. «C'est un monstre de sensibilité», confie Henri Lavaure. «Pudique avec un charme fou, fidèle en amitié, il a remis le pied à l'étrier à certains», raconte Jean-Pierre Audour, ancien patron d'Eurocom, qui l'a accueilli dans l'équipe de rugby des publicitaires.
«Il est dans la vie comme sur le terrain, ajoute Bruno Tallent, directeur général de Being (TBWA), autre compagnon de jeu. C'est un gentleman avec un joli geste de passe comme une offrande.» Un esthète bien planté, vosgien d'origine et gourmand, bon ami de ces grands chefs de la «bistronomie» que sont Yves Candeborde, Stéphane Jego et Christian Etchebeste.
La curiosité aux autres
«La culture de notre réseau favorise l'entrepreneuriat, les initiatives et l'humain, explique Laure Garboua, directrice générale de Nurun. Antoine est un leader qui laisse la place aux autres, en transmettant son enthousiasme, sa confiance et son engagement». Il croit à la «fonction sociale de l'entreprise » et veille au «respect de la diversité dans les recrutements»
La réussite de Nurun, c'est aussi sa curiosité des autres qui pousse Antoine Pabst à rechercher des talents hors cadre et à devancer les besoins de l'agence en créant des postes nouveaux, comme le pôle Business Innovation confié à Raphaël Roy (ex-P&G), la direction des concepts créée par Iona McGregor (ex-TBWA, aujourd'hui chez Marcel) et reprise par Henri Jantet (ex-Australie), ou le pôle architecture de l'information, ouvert il y a quatre ans avec Sam Woodman, aujourd'hui chez Adobe.
«J'aime me mettre en danger et recruter des gens plus forts que moi», dit Antoine Pabst. «On a tout fait pour être une agence intelligente, plus cérébrale que créative», ajoute-t-il. La prise de position actuelle du réseau sur l'innovation, avec le déploiement d'une méthodologie («design thinking») basée sur l'anthropologie ne peut que réjouir notre 3e ligne.
Dates clés
1 octobre 1957. Naissance à Paris.
1982. DEA de droit des affaires, licences d'histoire et de communication à Nanterre.
1983. Directeur de clientèle chez Piment (DDB).
1987. Directeur général adjoint de Wunderman Cato Johnson (Y&R).
1993. Cofondateur de The Sales Machine.
1997. Rachat par Euro RSCG (Havas).
2004. PDG de Nurun France et directeur général Europe et Chine.